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Le sujet
Tout comme Le Cidre de Narhuit ou
l’Acrobate (CB n°29), ce scénario propose
une quête-souvenir. Ayant rêvé d’une
cloche funèbre, les voyageurs vont être
pris du désir intérieur d’entendre sonner
le glas. L’intérêt d’une telle quête, outre
les péripéties du voyage, est de poser un
épineux dilemme. Qui dit glas, dit généralement
deuil ou catastrophe. Et de fait,
les voyageurs auront le choix: tout tenter
pour empêcher le deuil, c’est-à-dire sauver
la victime potentielle, mais se priver
du glas, et donc échouer dans la quête;
ou bien laisser faire, s’en laver les mains,
et réussir.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement de tester l’altruisme des
personnages.
C’est un peu plus retors. Il y a promesse de récompense
sonnante et trébuchante à qui sauvera la victime. Et la
quête prend dès lors une autre tournure: agir et toucher la
récompense, mais se priver des points d’expérience de la quête;
ou ne rien faire et s’enrichir intérieurement, mais au détriment de
la bourse. Quel que soit le choix, il ne peut se faire que «la mort
dans l’âme».
Bréhaigne
Tout a commencé par le franchissement d’une déchirure du rêve.
Quand les voyageurs reprennent leurs esprits, ils constatent
qu’ils sont sur une grève de sable gris. L’air est saturé d’odeurs
marines. C’est le soir, vers la fin de l’heure de la Lyre, et dans
l’obscurité de la nuit presque complète, ils ne voient que des
masses sombres de rochers au-delà de la plage. Sur la droite, le
rivage s’élève graduellement.
A une centaine de mètres, une tour
se dresse à l’extrémité d’un promontoire, noire sur le ciel indigo,
telle un phare aveugle.
Bréhaigne est un îlot rocheux situé à 3km de la terre ferme
proprement
dite. Entre le continent et l’île, la baie est très plate,
donnant une grande étendue à la marée, mais peu de profondeur.
Comme le mont Saint-Michel, l’île peut être atteinte à pied
(presque) sec à marée basse. A marée haute, par contre, elle
redevient île véritable. Les marées hautes ont régulièrement lieu
aux heures du Vaisseau et de la Lyre, et les basses à la
Couronne et l’Araignée. La marée atteint son maximum au milieu
de l’heure indiquée et reste étale jusqu’à la fin de l’heure.
D’environ 100m de long sur 50m de large, l’îlot n’est constitué
que de rocher et de sable. Il n’y a pas un gramme de terre, et
rien n’y pousse. La partie ouest, la plus
basse, est constituée d’une plage de sable
découverte même à marée haute. C’est à
l’endroit marqué d’une étoile que se retrouveront
les voyageurs. Vers l’est, le rocher s’élève
progressivement pour former un promontoire
en à-pic d’une douzaine de mètres de
haut. C’est là, dans une vieille tour battue par
les vents, que vivent les seuls occupants du
lieu: la princesse Anaïs et son jeune serviteur,
Renart.
Une longue attente
Cinquante ans plus tôt, par une fin de journée
venteuse, une nef lourdement chargée
abordait à ce même rivage. A bord, outre l’équipage et quelques
serviteurs, se trouvaient deux amoureux: le prince Ikor de
Roskovie et la princesse Anaïs, fille du roi d’Amerlique. Les deux
pays étaient en guerre et Ikor venait d’enlever Anaïs. Fuyant les
vaisseaux lancés à leurs trousses, Ikor crut reconnaître un certain
îlot nommé Bréhaigne. Il y fit débarquer la princesse, lui
assurant qu’elle y serait plus en sécurité, et, en compagnie d’une
poignée de serviteurs, l’installa dans la vieille tour avec les
quelques meubles qui se trouvaient à bord de la nef, entre
autres un fort beau virginal de bois de rose (1). Puis Ikor reprit la
mer, promettant à la princesse qu’il reviendrait la chercher dès
que les choses seraient clarifiées. Tout cela se passait il y a
cinquante
ans, et la princesse attend toujours.
En vérité, ni la Roskovie ni l’Amerlique n’appartiennent à ce
rêve. La nef d’Ikor avait franchi une déchirure, et en a probablement
franchi une seconde. Quant à l’îlot, vestige oublié du
Second Âge, peu importe son vrai nom: depuis l’erreur d’Ikor,
ses habitants le nomment Bréhaigne, et il n’y a personne pour
les contredire. La côte, en effet, est vide de population.
Au fil des ans, les serviteurs d’Anaïs ont disparu, qui de sa belle
mort, qui emporté par les sables mouvants. Il ne reste plus
aujourd’hui que Renart, un garçon de dix-huit ans, né sur l’îlot.
Sa mère, une des servantes de la princesse, est morte de fièvre
alors qu’il avait dix ans, et il n’a jamais connu son père qui a
disparu
dans les sables peu avant sa naissance. Pour le jeune
homme, le monde se résume donc à l’îlot battu par les flots, à la
baie qui l’entoure, et à la princesse. Sa principale occupation
consiste à trouver assez de nourriture pour leur subsistance.
Purée d’algues, quelques moules, une mouette imprudente abattue
à la fronde, tel est le maigre ordinaire.
En véritable natif, Renart sait déceler les pièges de la baie et
rien ne l’empêcherait de quitter définitivement l’îlot inhospitalier.
Mais il ne saurait abandonner la princesse, et cette
dernière ne partira pas. Tout le jour durant,
elle reste à la haute fenêtre à guetter une
voile à l’horizon, et le soir, elle s’assied
au clavier de son virginal pour jouer le Branle du Carillon. C’était
«leur
danse», à elle et au prince. Or pour Renart, rien n’est plus
merveilleux
que le son du vieil instrument, et plus que tout, c’est cet
émerveillement
qui le retient à Bréhaigne.
Non, il ne saurait abandonner la Damoiselle ni renoncer au Branle
du Carillon!
La tour
La tour fait 15m de haut (5m par niveau), avec des murs de
pierre
de 75cm d’épaisseur, et un toit d’ardoises. Au sud et à l’est, elle
donne directement sur l’à-pic du promontoire.
1. La partie servant de hall d’entrée
ne comporte qu’un rez-de-chaussée.
Les portes ont disparu depuis longtemps,
leur bois utilisé comme combustible. Sous la
fenêtre, une sorte de foyer a été aménagé avec des pierres.
C’est là que Renart fait du feu quand il trouve des bouts d’épave.
2. Rez-de-chaussée de la tour proprement dite, où dort Renart
sur un matelas d’algues. Quelques gamelles et ustensiles originaires
de la nef. Dans l’angle N-E, une trappe non couverte
révèle un puits d’eau salée. Il s’agit de l’ancienne cave, complètement
envahie par la mer à marée haute.
3. La salle du premier étage est vide, nue et grise. L’âtre, bouché,
n’a pas été allumé depuis des années, la fenêtre n’a plus
de carreaux. La porte donnant sur la terrasse est la seule qui
subsiste de toute la tour.
4. Le toit du hall d’entrée forme une terrasse crénelée. Des
baquets y sont disposés pour recueillir la pluie, seul
approvisionnement
en eau douce de Bréhaigne.
5. C’est au dernier étage que vit la princesse Anaïs, entourée de
quelques meubles. Autrefois confortable, la pièce sombre peu à
peu dans la décrépitude. On y trouve encore un grand lit, à la
couverture incrustée de sel et aux draps abritant d’étranges colonies
d’algues parasites, une table avec de la vaisselle d’étain,
trois chaises, le virginal au bois de rose devenu verdâtre, un
coffre contenant quelques nippes, et un métier à broder. Quand
elle n’est pas à guetter à la fenêtre ou à jouer du virginal, la
princesse
brode un portrait idéal du prince Ikor, «une surprise»…
Anaïs ne quitte plus la chambre du haut. Petite, à peine 1,50m,
blonde aux yeux bleus, elle ne fut jamais bien grosse, mais
maintenant âgée de plus de soixante-dix ans, c’est devenu une
silhouette si frêle et si émaciée qu’il semble qu’un courant d’air
suffirait à l’emporter. Sa peau très pâle a acquis la transparence
de la cire, ses cheveux sont comme du coton blanc, et quand
elle est au virginal, ses doigts frêles courent sur les touches
comme deux araignées blanches affolées. Seuls ses yeux ont
conservé toute leur couleur. Quand elle vous regarde bien en
face, de son regard qui ne cille pas, on dirait qu’ils crient, tels
deux myosotis de lumière: «Il ne peut pas m’avoir oubliée, n’estce
pas?…» Et ses larmes sont aussi claires qu’au premier jour.
Pauvre petite princesse…
L’hospitalité
Les voyageurs seront accueillis par Renart, non sans une
intense stupéfaction.
Puis il grimpera prévenir la Damoiselle. C’est un jeune homme
fluet, roux avec des taches de rousseur, vêtu de nippes rapiécées. Sa
dévotion envers la princesse est manifeste.
Celle-ci recevra les voyageurs avec dignité, assise à son métier à
broder, flottant dans les plis de son ancienne robe blanche, que le
temps a marbré de jaune.
Il ne devrait pas falloir longtemps pour comprendre que la princesse
n’a plus toute sa tête. Elle croit fermement au retour du prince, comme
s’il ne
l’avait quittée que de la veille. Elle croit l’Amerlique toute proche
et en demandera
nouvelle aux arrivants. Qu’importe ce qu’ils lui répondront,
elle interprétera les réponses à sa convenance. Les
vérités les plus élémentaires (son isolement, sa pauvreté) ne
l’atteignent pas. Elle parle de ses serviteurs, comme si Renart
n’était que l’un d’entre eux. Puis, très grande
dame, elle offrira son hospitalité. Le dîner consistera
en une purée de goémon aux moules, avec au dessert, la
rare friandise d’une lune de mer. Rien que d’en parler, les yeux
de Renart brillent de convoitise. La lune de mer est la même
chose qu’une étoile de mer, sauf qu’elle est en forme de croissant
de lune.
Après le dîner, auquel la princesse touchera à peine, il y aura un
intermède musical, et les voyageurs devront subir le Branle du
Carillon pendant une heure entière. Comme son nom l’indique,
c’est une danse dont les accords imitent un carillon de clochettes.
Elle est en soi plutôt insignifiante. Le malaise provient de
ce qu’il manque des cordes au virginal, par ailleurs désaccordé.
Jouer un jet d’OUÏE/Musique à +4, et en cas de succès, faire un
jet de Moral en situation malheureuse.
Le Branle du Carillon est une musique amerlicaine et aucun des
personnages, même musicien, ne peut la connaître. Faire en
sorte de les en dégoûter plutôt que de les amener à s’y intéresser.
Rien ne doit leur faire supposer le rôle majeur qu’elle est
destinée à jouer.
Au Gardien des Rêves d’improviser cette partie très jeu de rôle
en développant à sa guise le pitoyable et l’absurde de la situation.
Hormis des divagations sur une supposée Amerlique, la
Damoiselle ne sait rien du monde qui l’entoure, et tout ce que
pourra mentionner Renart du continent, c’est un «chemin», qui
s’en va vers le nord. Mais il ne l’a jamais suivi que sur deux ou
trois kilomètres et ne sait pas davantage où il mène.
Puis les voyageurs pourront dormir dans la grande salle (n°3).
Naturellement, rien ne sera fourni pour leur coucher, hormis la
pierre nue et ils devront se débrouiller avec leurs propres manteaux
ou couvertures. La princesse, cependant, semble insomniaque.
Elle s’est remise au virginal. Et tandis que les voyageurs
sombrent dans le sommeil, leur parviennent encore les lugubres
accords assourdis: ding, dang, dung…
Un rêve souvenir
Tous les voyageurs vont faire le même rêve. Citadins, ils se
trouvent
sur la place publique d’une ville, parmi une foule d’autres citadins,
chacun arborant un air grave et bouleversé. Et de fait, provenant
d’un clocher tout proche, se déversent les funèbres
accents d’un glas. Quel deuil, quel malheur signale-t-on ainsi?
Aucun rêveur ne pourra le dire au réveil. Mais ce n’est pas le
plus important. L’important, c’est la certitude profonde qui naîtra
en chacun d’eux, que ce rêve était en fait un souvenir, l’écho
d’une vie antérieure. Et chacun pourra se demander: «Mais qui
étais-je, dans ce rêve antérieur? Qui étais-je sur cette place à
m’inquiéter tout comme les autres?…» Et une autre certitude
naîtra alors dans le coeur de chacun: que s’il pouvait maintenant,
dans ce rêve-ci, réellement entendre sonner le glas, il pourrait
reprendre son rêve interrompu et se souvenir de cette incarnation
passée. Nul doute alors qu’il pourrait bénéficier à nouveau
d’une ancienne expérience. Et chacun se sentira empli de l’importance
de cette quête personnelle.
En termes de jeu, les voyageurs ont trois mois pour entendre
sonner le glas, peu importe où et pour quelle circonstance exacte,
du moment qu’il s’agit d’un glas véritable. C’est-à-dire, entendons-
nous bien, qu’il ne suffit pas d’entendre une cloche grave
sonner un rythme lent, il faut qu’il y ait une vraie raison malheureuse
(deuil, catastrophe, etc.) pour cela. Les rêveurs recevront
alors 35 points d’expérience à répartir directement dans les
compétences
de leur choix inférieures à l’archétype.
Les Landes
Le lendemain, Renart acceptera de les guider jusqu’à la côte à
marée basse, c’est-à-dire durant l’heure de la Couronne. Au
Gardien des Rêves d’improviser le chemin suivi par le garçon,
en mettant l’accent sur les deux principaux dangers: les sables
mouvants, et les Vaseux. Malgré les précautions (et peut-être
parce qu’ils sont trop nombreux), les voyageurs peuvent effectivement
attirer l’attention d’une de ces entités. Utiliser le Vaseux
moyen, page 78 des règles. En ce qui concerne les sables mouvants,
il n’y a rien à craindre tant qu’on suit Renart, mais privé
de lui et d’une manière générale, la survie dans la baie (Srv en
Marais) est de difficulté -5.
Avant de les quitter, Renart mettra les voyageurs sur le «chemin
». Il s’agit d’un vestige de route, au tracé difficile à suivre
sous la mousse et les herbes. La voie avait apparemment pour
but de mener à Bréhaigne. Dans les cas les plus difficiles, on
peut la repérer avec VUE/Srv en Ext à 0.
Entre le delta de l’Assoape, à l’est, et la chaîne des basses et
hautes Grognaffes, à l’ouest, les landes de Breh sont incultes.
Rochers moussus, fourrés d’épineux, arbres tordus par les
rafales constituent un paysage sauvage et répétitif.
Vers le nord, la route est jalonnée de ruines: dalles et pierres
croulant sous la végétation. Il s’agit d’anciens villages
abandonnés depuis des dizaines voire des centaines
d’années. Il n’y a rien à y trouver, sinon la
certitude qu’il n’y sonne même plus de glas depuis
longtemps.
Normalement, et pour peu qu’ils explorent
quelques ruines, ce n’est pas avant le lendemain
midi que les voyageurs devraient arriver à Edax.
Edax
Ce n’est qu’un petit village aux maisons de bois,
construit sur les ruines d’un site plus ancien,
vivant d’un peu de culture et d’élevage de moutons.
Son autarcie est complète et sa moyenne
d’âge élevée: personne n’a moins de 40 ans.
L’explication en est que, l’année dernière, tous les
jeunes ont été pris ensemble du désir du Voyage et sont partis.
«Dans vingt ans, voire moins en cas d’hivers à Groins, dira un
vieux, Edax ne sera plus que ruines à son tour…»
Mais en l’occurrence, autarcie ne veut pas dire ignorance complète,
et l’on sait qu’une grande cité se trouve au-delà de la forêt:
Toll, la cité des Sept Cents Cloches, ainsi appelée en raison du
nombre de ses cloches. Lors, si un voyageur demande: «Même
le glas?…» On lui répondra: «Glas, tocsin, chamade, premier et
second service, rien n’y manque…» De quoi redonner un sens
au voyage et à la quête.
Toutefois, les contacts avec Toll sont rarissimes, et l’on ne sait de
la ville que ce qu’en racontent de rares voyageurs. Il faut dire
qu’entre la cité et Edax se dresse la terrible forêt de Krokengriffe:
le pire rassemblement de prédateurs au mètre carré qui ait
jamais été rêvé par les Dragons! Si les voyageurs ont le courage
de s’y aventurer, ils peuvent espérer atteindre le pont de Myde
au bout de deux ou trois jours. Ce pont enjambe l’Assoape, une
large rivière coulant vers le sud. Surtout ne bien traverser qu’au
pont, ne pas tenter de passer à la nage: les abominations aquatiques
sont encore pires que celles qui se faufilent entre les
arbres de la forêt. Après le pont, la route est paraît-il meilleure,
et au bout d’un autre jour de voyage, on arrive enfin dans la plaine
de Toll…
Krokengriffe
C’est effectivement une effroyable forêt de branches emmêlées,
d’impénétrables fourrés dominés par des rochers moussus et
surplombant des ravins de hautes fougères. Les arbres tombés
disparaissent sous l’enchevêtrement des ronces parmi l’inextricable
toile d’araignée des lierres et des lianes chevelues. Des
grappes de fleurs jaunes et pourpres exhalent des parfums
âcres, tandis que des colonies de champignons se rassemblent
silencieusement entre les racines des arbres moribonds. Dans
les frondaisons, d’invisibles oiseaux s’interpellent de cris
rauques; les insectes vrombissent, omniprésents: frelons,
guêpes noires, mouches luisantes…
Dans la pénombre glauque, il est difficile de repérer le tracé de
la route abandonnée, d’autant que loin d’être droite, elle contourne
les caprices du terrain, les rochers et les brusques à-pic.
D’une manière générale, Srv en Forêt y est de difficulté -5; et
dans le meilleur des cas, les voyageurs ne peuvent espérer
mettre moins de 7 heures draconiques pour atteindre le pont
(5km/h dr environ).
Les rencontres sont laissées à la discrétion du Gardien des
Rêves (fauves, loups, entités de cauchemar, serpents, insectes
venimeux, etc.), l’essentiel étant non pas d’exterminer les voyageurs,
mais de les dégoûter à jamais de cette forêt en sorte que,
une fois à Toll, l’idée d’y retourner les fasse vraiment frémir.
Le pont
Comme on s’en doute, le pont de Myde est en ruine. Il n’en
reste
de chaque côté que le tronçon d’une arche: quelques mètres de
maçonnerie croulant sous la mousse et le lierre. La rivière fait
80m de large.
Grosso modo, les voyageurs ont deux choix: soit ils construisent
un radeau, soit ils continuent, hors route, à longer la rive droite.
La première solution, quoique longue, est la meilleure. La seconde,
qu’ils choisiront probablement, est un piège. Dans tous les
cas, un examen attentif de l’Assoape les dissuadera de traverser
à la nage: on y voit flotter entre deux eaux des formes ondulantes,
serpentines, un rien tentaculaires, suggestives de monstruosités
répugnantes. Si les voyageurs faisaient fi de ces avertissements,
improvisez des cauchemars aquatiques, et cela sans
aucun remords: ils étaient prévenus!
Construire un radeau demandera de posséder au moins une
hache et des cordes. Avec épée en guise de hache, appliquer un
malus de -2 aux jets suivants, et si l’on doit utiliser des lianes en
guise de corde, ajouter encore un -1. Pour chaque heure de travail
effectif, jouer DEXTÉRITÉ/Charpenterie à 0 ou
DEXTÉRITÉ/Srv en Ext à -2, un jet par travailleur, puis noter les
points de tâche obtenus selon les réussites: Ech. T. -4/Echec
0/Norm. +1/Sign. +2/Part. ou Crit. +3.
Outre qu’il procure -4 points de tâche, un Echec Total confère un
malus définitif de -1 à tous les jets suivants, et ceci aussi bien pour
le fauteur que pour les autres, le travail étant saboté pour tout le
monde. Tous les personnages peuvent travailler ensemble ou seulement
partie d’entre eux, chacun apportant ses points de tâche à
la somme collective. Le radeau sera achevé dès que 8 points de
tâche auront été additionnés au bout d’un quelconque nombre
d’heures. Des personnages habiles peuvent y parvenir en une
heure; des maladroits peuvent ne jamais y arriver. Naturellement,
durant tout le temps de la construction, les voyageurs peuvent être
harcelés par des prédateurs, et retardés d’autant.
Une fois le radeau correctement terminé, on supposera la traversée
sans problème.
Les dongs
Du pont de Myde jusqu’à la lisière nord, la rive droite de
l’Assoape est constituée d’un vaste marais de brume et de boue
(Srv en Marais -6). Ses prédateurs les plus féroces sont
d’énormes crapauds sauriens, 2m de long, 80 kilos, aux larges
mâchoires bien plantées de crocs, dénommés «Dongs» à cause
du son qu’ils produisent en gonflant leur jabot: imitation parfaite
d’un tintement de cloche.
En les entendant au loin, dans la brume, les voyageurs penseront
découvrir un clocher isolé (!), et leur déconvenue sera proportionnelle
à leur bévue quand les monstres sanguinaires se
rueront sur eux. Sans parler des autres dangers propres aux
marais bourbeux. INTELLECT/Zoologie à -5 permet d’identifier
les Dongs de visu; mais auparavant, aucun moyen de deviner
que les tintements ne proviennent pas de vraies cloches.
Devant l’ampleur du marais, il est probable que les voyageurs
délégué ensuite faire demi-tour et choisir la solution du radeau.
Toll
De l’autre côté du pont en ruine, la route est effectivement
mieux
conservée, en sorte que les voyageurs devraient maintenant rallier
Toll ne moins de deux jours (40km).
La cité des Sept Cents Cloches mérite bien son nom. Construite
de part et d’autre de l’Assoape, elle est entourée de remparts
donc chaque tour est en fait un énorme beffroi, et entre les
murs, rares sont les bâtiments, publics et privés, qui ne s’ornent
de clochers, campaniles ou clochetons.
Chaque heure du jour, mais aussi chaque événement, commémoration,
tendance, est souligné du carillon approprié, qui, s’il
ne paraît qu’abrutissement confus pour l’étranger, est parfaitement
explicite pour le Tolléen: perpétuel fracas sonore qui le renseigne
sur la vie de sa cité.
C’est aux Clochards qu’il est dévolu de faire sonner les cloches,
chacun étant attaché à un ou plusieurs clochers. Autrefois véritable
travail, ce n’est plus aujourd’hui qu’une charge honorifique,
véritable titre de noblesse héréditaire, le travail lui-même étant
délégué à des subalternes. Les Clochards sont les aristocrates
de la ville, et le Grand Clochard en est le souverain.
C’est au centre de la cité, dominant le Cloche-pont (le plus beau
des trois ponts de pierre), à l’extrémité de la place du même
nom, que se dresse le palais du Grand Clochard, avec ses vingtquatre
clochers ajourés et le dôme du Grand Bourdon. Il y vit
avec son épouse, la Grande Clocharde, et leurs deux enfants, le
Grelot et la Grelotte.
Or l’une des premières nouvelles qu’apprendront les voyageurs
en arrivant à Toll, c’est que la Grelotte, de son prénom
Elzémone, tout juste âgée de seize ans, ne va pas bien, pas
bien du tout même — et pour tout dire, on ne serait pas surpris
si on se réveillait demain matin en entendant le Grand Bourdon
sonner le glas…
La Morterêve
Elzémone souffre d’une Morterêve. C’est une maladie
psychosomatique
mortelle, généralement provoquée par un rêve, et qui se
traduit par un désir, un remords, un regret, si lancinant et despotique
que le sujet dépérit et meurt s’il ne parvient à l’exaucer.
Or voilà déjà un mois que la Grelotte est alitée. Complètement
anorexique, c’est à peine si on arrive à lui faire prendre un peu
de miel ou de lait. Et tout ça parce qu’elle a rêvé d’une musique
et n’a plus qu’un seul désir: l’entendre interprétée parfaitement!
Réduite à une affreuse maigreur, la peau blême et luisante d’une
mauvaise sueur, la tête noyée dans son grand oreiller de
plumes, elle tente parfois d’en fredonner quelques notes. Elle en
murmure le titre, puis ses grands yeux cernés implorent en silence:
si personne ne peut la lui jouer, elle en mourra.
Mais personne ne connaît cet air dans la région, bien qu’une
véritable cour de musiciens se soit succédée au palais durant
les dernières semaines. C’est à se demander si la Grelotte ne l’a
pas entièrement imaginé. Elle dit que ça s’appelle le Branle du
Carillon!…
Le Grand Clochard a finalement promis une bourse de 35 pièces
d’or à qui jouerait cet air à la satisfaction complète de sa fille, sur
luth, harpe ou clavicorde, harmonie complète et juste mélodie.
35 pièces d’or!
De quoi attirer tous les gratteurs de mandole dans la chambre
d’Elzémone. «C’est pourquoi, précise l’ordonnance, quiconque
jouera mal ou ne jouera point la bonne musique, en sorte qu’il
aggravera l’état de la Grelotte Elzémone par acte de faux espoir
et de lèse-assonance, celui-là sera condamné à être sonné;
placé sous la cloche-bourelle, laquelle sera battue et rebattue
jusqu’à ce que la cervelle lui sorte par les oreilles. Qu’on se le
dise.»
Enfin, au moment où les voyageurs apprendront ces nouvelles,
un communiqué du docteur Bledius, médecin du palais, annoncera que dans
le meilleur des cas, il reste dix ou douze jours à vivre à la jeune
fille.
INTELLECT/Médecine à 0 permet de savoir ce qu’est une
Morterêve et que l’horreur de cette maladie mortelle provient
effectivement de ce qu’il n’y a aucun remède autre que la satisfaction
du fantasme qui l’a engendrée. Aucun rituel de guérison
magique ne peut non plus être appliqué. Si un voyageur demande
à voir le docteur Bledius et réussit un jet
d’ELOQUENCE/Médecine à 0, celui-ci acceptera de conduire ce
«confrère» au chevet de la Grelotte. Là, le personnage-médecin
pourra se convaincre de la véracité de ce qui a été dit. Plus
encore, en tendant l’oreille vers les lèvres émaciées de la jeune
fille, il pourra reconnaître la mélodie murmurée. Le Branle du
Carillon est bien celui que jouait la princesse Anaïs de
Bréhaigne.
Suites et fins
Tel est donc finalement le dilemme. Les voyageurs peuvent
s’installer
à Toll et attendre placidement que le temps passe. Dans douze
jours au plus tard, le Grand Bourdon sonnera le glas, et dans la
cité attristée par le deuil, ils seront les seuls à être intimement
satisfaits. Ou bien ils tentent de sauver la pauvre fille, mais alors,
adieu le glas, adieu la quête-souvenir!
Bien que le morceau ait été joué plusieurs fois, aucun personnage
ne peut prétendre s’en souvenir au point d’en connaître parfaitement
la partition. Il n’y a dès lors qu’une seule solution: retourner à
Bréhaigne et prendre des leçons. Cela signifie affronter à nouveau
la forêt, la rivière, les landes, puis les sables mouvants et les
Vaseux de la baie. Cette fois, point de Renart pour les guider. La
princesse acceptera de leur enseigner le morceau, mais tout en
leur faisant supporter son délire, une rude mise à l’épreuve des
nerfs. Il n’est évidemment pas question qu’elle quitte Bréhaigne et
les accompagne.
Pour jouer le Branle, il faut obligatoirement un instrument à cordes
capable de produire des accords. L’apprendre demandera une journée
entière et un jet d’OUÏE/Musique à 0. Selon la réussite du jet,
noter le bonus d’apprentissage: Crit. ou Part. +3/Sign. +2/Norm.
+1/Echec -2/Ech. T. -4. Pour le jouer ensuite, réussir
DEXTÉRITÉ/Musique à 0 + bonus d’apprentissage. En cas d’échec
lors de l’exécution, on peut recommencer à -1; et ainsi de suite
jusqu’à
la réussite ou l’Echec Total.
Dix jours ne devraient pas être de trop pour retourner à Bréhaigne,
apprendre le morceau, et revenir à Toll. Hélas! quand les voyageurs
franchiront à nouveau les portes de la cité, quel que soit le
temps écoulé pourvu qu’il n’excède pas douze jours, les cloches
se mettront lourdement à sonner, et sans erreur possible, battront
le glas… Dans les rues, ce ne seront que regards consternés,
mines apitoyées. «Pour qui sonne le glas? demanderont les voyageurs.—
Hélas! répondra-t-on, elle est morte et nous l’aimions
tant! — Qui est morte? La Grelotte? — Non, l’année! C’est le dernier
jour de l’année tolléenne, que l’on marque toujours en sonnant
le glas. Mais demain, on sonnera la Grande Volée en l’honneur de
l’année nouvelle et ce sera beau jour de fête!…»
Ainsi, si le branle est joué correctement auprès de la Grelotte, la
jeune fille guérira, la récompense sera versée, et la quête-souvenir
néanmoins satisfaite. Les voyageurs auront gagné sur tous les
tableaux.
Noter enfin que le calendrier sera analogue si les personnages
choisissent la lâcheté. Environ dix jours plus tard, le glas sonnera
pour marquer la fin de l’année. Mais le lendemain, il sonnera à
nouveau pour la mort de la Grelotte, pour faire honte aux voyageurs
et leur faire regretter ce qu’ils auraient pu gagner.
RENCONTRES
Anaïs, née à l’heure de la Lyre
71 ans, 1,47m, 32kg.
TAILLE 06 VOLONTE 19 VIE 08
APPARENCE 10 INTELLECT 10 ENDURANCE 27
CONSTIT 09 EMPATHIE 10 VITESSE 10
FORCE 05 ELOQUENCE 11 + dom -2
AGILITE 06 REVE 17 Protection -1
DEXTERITE 10 CHANCE 13
VUE 12 Mêlée 06
OUIE 11 Tir 11
ODORAT 07 Lancer 08
GOUT 03 Dérobée 10
Esquive niv -2
Chant 0/Discours 0/Discrétion 0/Broderie +4/ Musique virginal
+3/Botanique -2/Légendes +3/Lire & Ecrire +3.
Renart, né à l’heure du Roseau
18 ans, 1,64m, 48kg.
TAILLE 07 VOLONTE 09 VIE 10
APPARENCE 10 INTELLECT 08 ENDURANCE 19
CONSTIT 12 EMPATHIE 14 Vitesse 12
FORCE 11 ELOQUENCE 07 + dom 0
AGILITE 13 REVE 12 Protection 0
DEXTERITE 11 CHANCE 13
VUE 11 Mêlée 12
OUIE 11 TIR 11
ODORAT 12 LANCER 11
GOUT 05 Dérobée 13
Gourdin niv 0 init 06 + dom -2
Corps à corps niv 0 init 06 + dom (0)
Esquive niv 0
Discrétion 0/Srv Extérieur (rivages) +6/Srv Marais (Bréhaigne)
+10/Natation +6/Légendes -5.
Dong
TAILLE 12 VIE 13
CONSTITUTION 14 ENDURANCE 27
FORCE 16 VITESSE 14/32
PERCEPTION 12 + dom +2
VOLONTE 08 Protection d4
REVE 11
Griffes & crocs 13 niv +4 init 10 + dom +3
Esquive 10 niv 0
Esquive/saut 13 niv +4
Excellent sauteur, sa compétence de saut lui donne une seconde esquive
de saut acrobatique.
scénario & plans - Denis Gerfaud
illustration - Rolland Barthelemy
(1) Instrument de musique à clavier et à cordes pincées,
voisin de l’épinette.
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