INTERVIEW

LES GENS qui font le Jeu : Denis Gerfaud

Article paru dans Casus Belli N° 30

Il était une fois un brave bûcheron qui avait un fils, pris de passion pour les voyages. Kah-il — tel était son nom — décida un beau jour de partir à l’aventure, il marcha pendant des jours et des nuits, bravant les dangers d’un monde devenu sauvage et inquiétant. Un matin, il arriva au pied d’un château aussi majestueux que ceux que l’on décrit dans les contes. Or, en ce temps-là, vivait dans ce palais une fière princesse... (En réalité, elle n’avait pas tellement de raisons d’être fière, car elle était quelque peu alcoolique, et sujette à de violentes crises d’hystérie ; mais son père, qui voulait s’en débarrasser, se gardait bien de dire mot à ce sujet).

La princesse était fort intriguée par les légendes prétendant que le monde n’était qu’une illusion, issu du rêve de mystérieux Dragons. Elle promit donc d’offrir sa main à celui qui réussirait à lui apporter une griffe du Dragon !

Le jeune Kah-il, qui n ‘avait pas froid aux yeux, décida de tenter sa chance et pour être sûr de réussir, alla demander conseil au puissant Jehr-Fô, chevalier de Ny, Roi-magicien fort aimé de ses sujets car il régnait dans la justice et l’équité.

Après un jour et une nuit, Kah-il arriva devant le pont-levis du château du légendaire personnage. Là se dressait le comité d’accueil ; une longue silhouette vêtue de sombre, les bras solennellement croisés, de longs cheveux noirs en halo autour de son visage. La silhouette leva le menton pour demander d’une voix caverneuse :

  • Quel est ton nom ?
  • Kah-il, répondit celui-ci avec assurance.
  • Quelle est ta quête ?
  • Trouver une griffe de Dragon.
  • Quelle est la couleur des déchirures du rêve ? demanda le gardien à toute vitesse.
  • Quand on y entre ou quand on en sort ? répliqua Kah-il innocemment.
  • C’est bon, entre, soupira l’homme d’un ton déçu, car Kah-il l’avait tout de suite reconnu comme le magicien de Ny avec ses énigmes facétieuses.


A l’intérieur du château, Kah-il exposa en détail le but de son voyage, tandis que le magicien lui offrait un verre de jus de floum. Kah-il s’efforça poliment de l’avaler, tout en maudissant intérieurement l’inventeur du breuvage. Il décida de créer ce jeu surtout parce que de tous les autres jeux existants déjà à cette époque, aucun ne le satisfaisait vraiment au niveau des règles. Le jeu ne fut bien sûr pas créé d’une seule pièce les premiers jets de dés furent lancés au cours d’une campagne intitulée « Rêve de Dragon », en l’an 1983 du mois de « septembre » de cet univers. Puis il commença à le rédiger en l’an 1984 du mois de « décembre », car au fur et à mesure des parties, les règles commençaient à prendre forme. Les écrits ayant trait au Rêve l’ont toujours fasciné. Et un des grimoires qu’il relisait sans cesse et lit certainement encore, s’appelait « Alice aux Pays des Merveilles » ou « De l’autre côté du Miroir ».

Denis Gerfaud cherchait à inventer un monde qui ne ressemble à aucun lieu ni époque connus, un monde qui se créerait sans cesse, se transformant, comme le Ying se transforme en Yang et vice-versa. Pour ma part, je suis convaincu qu’il croit à l’existence des Dragons comme nous y croyons tous... mais je ne suis jamais parvenu à établir lequel des deux était là le premier le créateur du jeu, ou les Dragons... Là-dessus, Kah-il remercia poliment le magicien, enfourcha son cheval et s’en retourna au château du Roi. Mais contrairement à ce que l’on serait en droit d’attendre, il refusa tout net la main de la princesse, sous prétexte qu’elle lui avait sérieusement pris la tête avec ses histoires de griffes... En revanche, il suivit aveuglément les conseils du mage Jehr-Fô de Ny, sans penser une seconde que lui et l’inventeur du jeu onirique pourrait bien ne faire qu’une seule et même personne... Depuis, a-t-il traversé une déchirure du rêve, rame-t-il désespérément au fin fond des marais à la recherche de la sortie, tel le joueur en prise aux scénarios inénarrables de l’inventeur ?
Nul ne le sait ; car on ne l’a jamais revu depuis...

Extrait des « Chroniques et légendes oniro-ironiques parallèles » compilées par Nancy Sénétaire