INTERVIEW
LES GENS qui font le Jeu : G.J. Arnaud
° 03 juillet 1928 Saint-Gilles-du-Gard (France)
† 26 avril 2020 La Londe-les-Maures (France)
Article paru dans Casus Belli N° 33
GJ Arnaud ne fait pas partie du monde du jeu. Il n’avait donc
pas à priori sa place dans nos colonnes, réservées jusqu’à présent à la
gent ludique. Mais voilà ! Il y a quelque temps est sorti un jeu de
rôle, tiré d’un des ouvrages de cet auteur : « La Compagnie des Glaces
». Alors que le domaine anglo-saxon est laborieusement mis à sac, à
commencer par Lovecraft, en poursuivant par James Bond, Elfquest, Star
Trek et j’en passe ; ce jeu est la première tentative d’adaptation
d’une série résolument française.
Et puis fichtre, voilà un homme qui depuis 1951 a écrit près
de 300 romans, en passant du Polar à la S.F, en effleurant au passage
le Gore et le cul. Qui, depuis six ans nous distille un volume du
gigantesque feuilleton qu’est « La Compagnie » au rythme d’un tous les
deux mois.
Et l’on voudrait qu’on ne parle pas d’un tel personnage ? D’un
homme qui aime à la fois les gens et les trains ? Parce qu’il écrit
pour les premiers en parlant des seconds ? Alors accrochez-vous plutôt
avec nous à la grande rame des questions réponses.
En voiture !
- C.B. : Un certain nombre de vos romans ont été
adaptés au cinéma ou à la télévision. Mais c’est la première fois que
l’on en tire un jeu. L’avez-vous ressenti comme une adaptation de plus,
ou comme un événement un peu particulier ?
- G.J.A :
Je n’ai pas vraiment l’habitude des jeux. Je connais les échecs, les
dames, à la rigueur le Risk. Quant au jeu de rôle, j’en avais tout
juste entendu parler. Et puis, le cinéma, la télé, la bande dessinée,
c’est assez différent du jeu. J’ai vu là quelque chose d’un peu
original. Je me suis dit qu’après tout une tranche de mes lecteurs
devait se situer dans la frange des joueurs. Depuis, une étude m’a
montré que ceux-ci avaient entre 16 et 25 ans principalement. Ce qui
semble le confirmer.
- C.B. : Est-ce que vous avez joué à la Compagnie ?
- G.J.A. :
Oh non ! Actuellement, je navigue d’interviews en émissions de télé,
avec la sortie du numéro 2000 du Fleuve Noir Spécial Police. Mais j’ai
quand même pris le temps de le lire, avec ses deux gros livrets. Je
dois dire que je ne m’y connais pas et cela me semble un peu complexe.
Mais ce qui m’intéresse là-dedans, c’est le travail fantastique de
recherche que cela a dû être à travers mes bouquins. Tous les détails à
propos des combinaisons isothermes, par exemple. Je me demande même si
ça ne va pas m’aider moi-même. Me permettre de me rappeler plus
facilement de certaines données. Parce que j’ai beau prendre des
notes...
- C.B. : Vous travaillez plus sur l’histoire
que sur des données techniques, à l’inverse d’un jeu de rôle. Notamment
les changements de climats, on a l’impression que l’on sort plus
facilement des trains, au fur et à mesure des volumes.
- G.J.A. :
Là, ça dépend beaucoup plus des Compagnies en fait. On avait commencé
en Transeuropéenne, où, dès que les gens sortent des trains, ils sont
suspects. Alors que dans la suite, on évolue dans des Compagnies plus
libérales, où l’anarchie règne.
- C.B. : Il y a quelques années, vous disiez ne pas aimer la
science-fiction parce qu’elle éloignait des problèmes quotidiens.
- G.J.A. :
Je le pensais vraiment, maintenant moins. C’était l’époque où j’étais
écologiste, anti-nucléaire. On vivait vraiment ça et je voulais plutôt
le faire passer à travers le Polar. Mais avec la Compagnie, j’ai
vraiment besoin de la Science-Fiction. J’avais bien commencé à inventer
un pays imaginaire, mais c’était tout de suite trop petit, trop étriqué.
- C.B. :
Et le phénomène de la série, avec la Compagnie des Glaces ? Il est venu
tout seul ou vous aviez déjà prévu de nombreux volumes ?
- G.J.A. :
Dès le départ, je pensais à une série, mais je voyais plutôt dix
volumes. Puis avec les nombreux personnages et les intrigues, ça c’est
compliqué, il fallait que je développe. Surtout, je suis un grand
admirateur des feuilletonistes du 19ème siècle. C’était aussi un défi
que de reprendre cette tradition. On me disait que je n ‘y arriverais
pas, que les lecteurs n’accrocheraient pas. Mais j’ai misé sur le
plaisir du lecteur, sa mise en haleine et je crois avoir réussi. Je me
suis surtout imposé un rythme de parution d’un volume à peu près tous
les deux mois. Parce qu’il ne faut pas décevoir l’attente. C’est une
forme d’honnêteté.
- C.B. : Tous ces trains, et maintenant les dirigeables, on
a l’impression de redécouvrir un nouveau Jules Verne.
- G.J.A. :
Je dois dire que je n’ai lu que très peu de science-fiction, mais je
revendique tout à fait l’influence de Jules Verne. Et les trains sont
une passion chez moi, l’ambiance des gares, des wagons-couchettes, des
wagons-restaurants. J’aime bien aussi toutes les illustrations des
trains anciens. Il y a des gens qui ont fait une étude sur la
Compagnie, et ils m’ont dit qu’en fait j’écrivais de la science-fiction
rétro.
- C.B. : Vous avez un plan pour la suite de l’histoire ou
vous travaillez au fur et à mesure ?
- G.J.A. :
Non, tout est assez précis. Il y a de nombreux éléments, les Roux, les
Rénovateurs, la Voie Oblique. Je procède par petites touches. Je pense
aller jusque 50 ou 56 volumes. Dans le prochain par exemple, on va
apprendre que Frère Pierre est devenu Pape, et que sa première action
est d’interdire la procréation des Roux. Ce qui va poser de nombreux
problèmes.
- C.B. : Vous êtes attiré par l’écriture d’autres romans de
SF.
- G.J.A. :
Oui et non, j’ai déjà l’idée d’une autre série. Mais je suis vraiment
très impliqué dans le monde des glaces et je me demande, quand la série
sera terminée, si je n’écrirai pas des histoires sur la genèse de ce
monde, des nouvelles sur des habitants de ce monde en transformation.
- C.B. : Merci !
Note. Point intéressant pour les lecteurs potentiels. La
Compagnie des Glaces est la seule série du Fleuve Noir à avoir jamais
bénéficié de rééditions dans le sein de la collection. Il est donc
possible de se procurer les livres sans passer par les bouquinistes.
Nous en sommes actuellement au volume n° 27 : « Le Clochard Ferroviaire
».
Interview réalisée par Pierre Rosenthal