Le sujet
En explorant une caverne nouvellement révélée par une
avalanche, les voyageurs vont tomber sur un vestige du Second Âge et
découvrir un miroir. Détection d’Enchantement et Lecture d’Aura Magique
leur révéleront que l’objet est magique.
Il permet de réfléchir la lumière du soleil même quand celui-ci
n’est pas directement visible, par exemple dans une maison, une grotte,
ou par temps couvert. Le problème est que la maîtrise du miroir est
soumise à une condition : « refléter la lumière du soleil sur le
cœur d’un krunderznap ». Or personne ne saura de quoi il s’agit...
Parallèlement, un village voisin est terrorisé par un monstre nocturne,
tapi le jour dans une caverne obscure, mais qui, selon la croyance,
pourrait être anéanti par la lumière du soleil. Serait-ce le fameux
krunderznap ? Certains indices amèneront, à tort, les voyageurs à le
penser et à se heurter à un inutile dilemme : comment tuer le monstre
avec le miroir si celui-ci ne peut être maîtrisé qu’une fois le monstre
tué ?... La vérité sera peut-être découverte si les haut-rêvants
songent à utiliser le rituel d’Hypnos Conjurer l’Oubli et l’utilisent à
bon escient. On pourra alors apprendre que « krunderznap» est le nom
donné à une petite fleur des cimetières, une sorte de pissenlit. Dès
lors maîtriser le miroir, anéantir le monstre, gagner la gloire et la
reconnaissance des villageois ne sera plus qu’un jeu d’enfant.
Tshikita
Vers la fin du Second Âge vivait une magicienne nommée
Tshikita, puissante parmi les puissantes. Elle était par ailleurs fort
belle et nombre de ses sortilèges visaient à entretenir cette beauté
célèbre. Mais comme la plupart de ses pairs, c’est surtout dans la
conception d’objets magiques qu’elle excellait. Il faut se souvenir
qu’à cette époque les magiciens usaient et abusaient de leurs pouvoirs
et créaient des quantités d’objets magiques au gré de leurs caprices —
ce qui avait particulièrement le don d’irriter le sommeil des Dragons,
tant et si bien qu’ils finirent par se réveiller pour les chasser de
leurs cauchemars. Mais on n’oublie pas si facilement ce qui a été rêvé
une fois. Le merveilleux castel de Tshikita disparut avec le Grand
Réveil, mais une fois rendormis, les Dragons ne purent s’empêcher d’y
rêver encore. La différence, c’est que, tout comme un puzzle qui a volé
en éclats, ils n’en révèrent plus que quelques fragments, éparpillés au
gré des rêves, en y associant parfois le souvenir de la beauté de la
magicienne.
C’est ainsi que sa mémoire s’est perpétuée sous la forme d’un pan
de falaise qui affecte exactement la forme d’un sein de femme. Dans le
village voisin, quoiqu’on en ignore le pourquoi, on appelle ce rocher
le Téton de Tshikita. Ce que l’on ne sait pas, c’est que juste
derrière, un minuscule fragment de la demeure de la magicienne s’est
également retrouvé rêvé, encastré dans la montagne. Et tout au fond, se
trouve toujours intact un de ses objets magiques.
Les voyageurs
Au commencement de cette histoire, les voyageurs marchent vers
le nord dans une région de collines escarpées, pentes boisées
entrecoupées de massifs rocheux aux falaises abruptes. Une fois de
plus, ils se sont débrouillés pour se retrouver hors des routes et des
chemins (gris rêve, déchirure) et l’on peut penser qu’ils ont hâte de
retrouver un semblant de civilisation. D’autant que le temps est
déplorable, avec pluie, grêle et vent pour principaux compagnons. Seule
consolation, le paysage offre une abondance de sites remarquables :
cascades, ravins vertigineux, rochers évoquant des formes fantastiques,
telle par exemple la protubérance rocheuse de cette haute falaise. On
dirait exactement le contour galbé d’un sein de femme
L’avalanche
La ressemblance avec un sein est si évidente que les voyageurs
ne peuvent manquer de la remarquer. Au moment où tout commence, ils se
trouvent à cinq ou six cents mètres du rocher en question. Il est situé
en aval, c’est-à-dire plus au nord, à mi-hauteur de la falaise ouest
(sur leur gauche). La falaise fait une trentaine de mètres de haut, le
sein en fait sept ou huit, sa base étant à une dizaine de mètres du sol
de la vallée. Toutes ces constatations sont automatiques, c’est-à-dire
sans jet de dés. La falaise est constituée d’un grès brun beige assez
lisse, ce qui donne au sein une apparence délicatement hâlée.
Les voyageurs en seront sans doute à regretter que les
« caprices de la nature » n’aient pas poussé plus loin le travail
de sculpture, lorsqu’un autre motif de regret s’imposera brutalement.
Cela commencera par une détonation sèche, suivie d’un grondement
crescendo. Et dans un nuage de poussière et de gravats, le bout du sein
s’écroulera dans la vallée en une soudaine avalanche. Après dispersion
des poussières, et quand ils jugeront qu’ils peuvent s’en approcher
sans danger, les voyageurs constateront que toute l’extrémité s’est
détachée, comme le bout décapité d’un œuf à la coque.
Note. Il est important que l’avalanche ait lieu en présence des
voyageurs. D’une part pour justifier qu’ils soient les premiers sur les
lieux, mais surtout pour pouvoir leur montrer le sein avant sa
destruction. Il faut en effet qu’ils puissent le mentionner comme tel
au village pour avoir accès aux informations ultérieures.
La caverne
Vue/Srv en Montagne à 0 pourra convaincre les voyageurs qu’il
ne s’agit finalement que d’une ordinaire avalanche due à l’érosion.
Leur plus grande surprise sera de constater que l’intérieur du sein est
creux. Une sorte de caverne s’ouvre maintenant dans la falaise, entre
les bords déchiquetés de ce qui reste du mamelon. L’ouverture, à peu
près ronde, fait 3m de diamètre; elle est située à 10 m de haut. D’en
bas, même en prenant du recul, on ne voit qu’un trou sombre.
Le pied de la falaise n’est maintenant qu’un amoncellement de
blocs de pierre en équilibre instable, et les voyageurs hésiteront
peut-être à s’en approcher. Quel intérêt peut en effet présenter la
cavité nouvellement révélée ? C’est alors qu’un jet de Vue/Srv en
Extérieur à 0 pourra révéler un détail insolite : des éboulis dépasse
une sorte de piquet de bois torsadé.
De près, les voyageurs constateront qu’il s’agit d’un pied de
table artistiquement sculpté. Un peu plus loin entre les gravats, on
distingue d’autres parties du meuble fracassé. Etrangement, le bois
n’est pas vermoulu. C’est comme s’il avait séjourné à l’abri. Et
d’ailleurs, les débris ne sont pas intégralement sous l’avalanche, mais
semblent faire partie, comme si la table était elle aussi tombée du
sein rocheux, comme si elle avait été contenue à l’intérieur de
celui-ci. Et c’est en effet la vérité.
Pour accéder à l’ouverture, il faut réussir 2 jets
d’Agilité/Escalade à -5, un tous les 5 m. Le bord de l’ouverture est
instable et aucun grappin lancé d’en bas ne restera accroché
solidement. Par contre, une fois parvenu dans la caverne, le premier
grimpeur pourra facilement arrimer une corde. En s’aidant de celle-ci,
les autres n’auront besoin de réussir qu’un seul jet
d’Agilité/Escalade à -2.
La caverne fait 8 m de long sur 3 à 5m de large et présente une
curieuse conformation mi-naturelle, mi-artificielle. Le mur de droite
est visiblement fait de pierres cimentées, tandis que la paroi gauche
est de roc et irrégulière. De même le sol est constitué de dalles à
droite et de roc brut à gauche. Le plafond est entièrement de roc
naturel. Il est à 3 m à droite et descend progressivement jusqu’à 50cm
à gauche. Tout près de l’ouverture, se tient une chaise de bois
sculpté. Elle est propre, en bon état, à peine poussiéreuse. Les motifs
sculptés sont de la même inspiration que ceux de la table brisée, en
bas. De toute évidence, il s’en est fallu de peu que la chaise ne suive
le même chemin que la table.
Tout cela constituera probablement une énigme pour les voyageurs;
mais plus étonnant encore, l’étrange caverne se termine, au fond, par
une porte aux moulures ouvragées, avec une poignée élégante, comme une
porte d’appartement. Il n’y a pas de verrou et quoiqu’elle frotte
terriblement sur le sol, les voyageurs parviendront à la pousser.
Derrière, il n’y a qu’un mince passage de 5 m de long, dont la largeur
rétrécit progressivement de 1 m à quelques centimètres. A gauche et au
plafond incliné, c’est le roc; à droite, le mur vertical est toujours
maçonné.
C’est sur ce mur que se trouve accroché le miroir, à 3m de la
porte. Le problème, c’est qu’à cet endroit le passage fait à peine 30cm
de large. Seul un personnage de Taille 6 ou moins, non encombré, pourra
aller le prendre. Par ailleurs, vu de la porte, on voit bien qu’un
objet ouvragé est accroché au mur, mais il faut s’en approcher de près
pour distinguer qu’il s’agit d’un miroir.
Il se peut qu’aucun des voyageurs n’ait la taille requise pour se
faufiler dans le passage. Comment faire alors ?... Derrière les dalles
du mur et du sol, il y a à nouveau le roc. Aucun travail de
descellement n’aboutira. Par ailleurs, si des transmutations
élémentales de terre en air ou en eau étaient utilisées pour agrandir
le passage, nul ne saurait garantir la solidité de l’ensemble; et
l’histoire pourrait bien se terminer par une seconde et définitive
avalanche. Le plus simple est d’aller demander l’aide d’un(e) mince
adolescent(e) du village voisin. La difficulté, naturellement, c’est
qu’à ce stade de l’histoire, les voyageurs ignoreront probablement
qu’il y a un village voisin
La table
Les voyageurs auront peut-être envie de fouiller les décombres
au bas de la falaise, en quoi ils n’auront pas tort malgré les risques
encourus. L’éboulement est instable et chaque chercheur devra réussir
un jet de Dérobée/Escalade ou Srv en Montagne à -2. En cas d’échec de
l’un d’eux, nouveau glissement des blocs de pierre. Tous ceux qui se
trouveront alors parmi l’éboulement devront tenter un jet de Chance.
Réussite : jet d’encaissement à -4; échec : à zéro; protection maximum
: 1d2.
La table fracassée possédait un tiroir contenant trois feuilles de
parchemin couvert de formules draconiques. Les trois formules ont une
difficulté de lecture de -2. Il s’agit des rituels suivants :
O/H/N Détection d’enchantement ; O/H/N Lecture d’Aura
Magique ; H Conjurer l’Oubli
Le miroir
C’est un miroir rond (20 cm de diamètre), en argent poli. Dans
un médaillon du pourtour est enchâssée une gemme rouge (pureté 6,
taille 5). Une fois maîtrisé, le miroir permet de capter et de
réfléchir la lumière du soleil même si celui-ci n’est pas directement
visible, c’est-à-dire même si un obstacle s’interpose entre lui et le
miroir. Le soleil doit cependant être levé, c’est-à-dire entre
mi-Vaisseau et mi-Lyre. Il faut également que le miroir soit
convenablement orienté. Cela peut se faire par tâtonnements jusqu’à ce
que la lumière désirée en jaillisse soudain. Son utilité évidente est
de servir de projecteur souterrain.
La gemme dépense 1 point de rêve par réflexion et/ou heure
d’utilisation continue. Le miroir peut par ailleurs être utilisé comme
tout miroir normal. Tous ces renseignements seront fournis par une
Lecture d’Aura Magique correctement effectuée. Le pouvoir provient
d’une Grande Ecaille de Narcos. Mais ladite lecture fera surgir un
problème inattendu. La gemme possède également une Ecaille de Maîtrise.
Expliquons rapidement de quoi il s’agit. Un objet magique ne peut
être maîtrisé qu’en ayant une idée de son pouvoir et en l’utilisant
comme il (l’objet) doit être utilisé. Or certaines Grandes Ecailles de
Narcos, de par leur nature, demandent que l’on pose également sur la
gemme une Ecaille de Maîtrise, faute de quoi l’objet ne peut
fonctionner. L’effet de cette écaille fait, d’une part, que le créateur
ne maîtrise pas automatiquement son objet, d’autre part qu’il ne peut
le maîtriser que dans certaines conditions, et même chose pour d’autres
après lui. Par exemple utiliser l’objet dans un certain lieu au moment
de la maîtrise, ou en présence d’une certaine créature, d’un certain
spectacle, etc. Chaque Ecaille de Maîtrise est spécifique à la Grande
Ecaille de Narcos à laquelle elle correspond. Certaines Grandes
Ecailles demandent une Ecaille de Maîtrise, d’autres non. Une Ecaille
de Maîtrise posée sur une gemme n’a aucun effet si elle n’est pas
nécessaire. Annuler une Ecaille de Maîtrise n’annule pas la Grande
Ecaille, mais brise et empêche la maîtrise (et donc le fonctionnement
de l’objet). Une Lecture d’Aura Magique effectuée dans la case exacte
où a été posée l’Ecaille de Maîtrise révèle précisément les conditions
à remplir pour maîtriser l’objet. Le jet de maîtrise reste quant à lui
normal, -1 par aile active.
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En ce qui concerne le miroir de Tshikita, la maîtrise
ne peut se faire qu’en commençant par réfléchir réellement le soleil,
mais pas sur n’importe quoi. Il faut « renvoyer la lumière du
soleil sur le cœur d’un krunderznap ». En cas d’échec du jet de
maîtrise, on peut recommencer normalement 12 heures plus tard, mais
toujours sous condition d’être en présence d’un krunderznap, le même ou
un autre, sur qui braquer la lumière du soleil.
La Lecture d’Aura Magique donnera au total les indications suivantes :
Inertie totale 15 / Enchantement en G7, 35 r dont 21 actifs /
Permanence en E6 / Autonomie*** en F8 / Purification en I6 / Alliance
en G5 / Ecaille de Maîtrise (Monts Salés B1 0) R-7 r 7 / Grande Ecaille
de Narcos Miroir de soleil*** (Monts de Vdah M3) R-14 r 11 / Jet de
Maîtrise : -3.
Si aucun des haut-rêvants ne possède déjà Détection
d’Enchantement et Lecture d’Aura Magique, le temps de les apprendre
avec les parchemins de la table, il peut se passer un certain temps
avant que le miroir ne se révèle magique; et cette découverte risque
même de n’être faite qu’à la fin du scénario.
Krunderznap
C’est le nom donné à une certaine variété de pissenlit, aux
racines plus minces et plus molles que celles des pissenlits
ordinaires, comme si elles étaient continuellement sucées par quelqu’un
ou quelque chose. La fleur, dont le cœur est d’un beau jaune d’or,
ressemble à celle du pissenlit ordinaire. Les krunderznaps poussent
principalement dans les cimetières. Pour l’intérêt du scénario, on
supposera qu’aucun voyageur ne possède cette connaissance, quel que
soit son niveau en Botanique. Plus encore, on ne peut même pas savoir
qu’il s’agit d’une plante.
Bizarte
Plus au nord, l’étroite vallée finit par déboucher dans une
plaine arrosée par une rivière. De leur point de vue encore surélevé,
les voyageurs pourront apercevoir la route qui la longe, et dans le
lointain, les toits du village de Bizarte. Au-delà s’étend une sombre
forêt.
Situé sur la rive sud de l’Ayponje, Bizarte est un petit
village agricole à l’air accueillant, avec ses chaumières entourées de
granges et de jardinets fleuris, sa Place du Pont ombragée de grands
arbres, où donne une confortable maison des voyageurs, et même avec son
petit cimetière où les tombes disparaissent sous les fleurs de toutes
sortes et où il fait bon se promener aux heures chaudes de la journée.
Les Bizartiens sont aimables, quoique un peu réservés, secrets et
pensifs. Normalement, les voyageurs devraient y trouver bon accueil.
Au nord, la grande forêt doit son nom aux nombreux
champignons qui y poussent : les fluths, ou champignons siffleurs. Ces
champignons élancés, oblongs et presque sans chapeau, poussent par
groupes de 4 ou 5, reliés ensemble à la base. L’un d’eux émet de temps
à autre un léger sifflement mélodieux, et toute la difficulté consiste
à reconnaître lequel. Car dans un groupe de fluths, seul le siffleur
est bon, les autres sont vénéneux. Quoique non mortels, ils rendent
très malade. Le siffleur en revanche est non seulement comestible, mais
délectable. Intellect/Botanique à -4 pour avoir connaissance de ces
champignons, et Ouïe/Botanique au Srv en Forêt à -3 pour identifier le
siffleur dans un groupe.
Les plus proches voisins de Bizarte habitent Panik et Perpeth,
respectivement situés à 2 et 4 jours de marche.
Si les voyageurs ne font que passer à Bizarte sans poser de
questions ni mentionner l’avalanche, ils risquent de perdre tous les
bénéfices de cette histoire. Dans le cas contraire, s’ils mentionnent
l’étrange rocher en forme de sein, on pourra leur répondre qu’il s’agit
du Téton de Tshikita, mais on sera bien en peine d’expliquer pourquoi.
Il en a toujours été ainsi. Cependant, s’ils réussissent alors un jet
d’intellect/Légendes à -4, les voyageurs pourront se remémorer un
quatrain des Oniries d’Astrodomus. Cet astrologue de la fin du Second
Age avait prédit la catastrophe du Grand Réveil et le sort réservé à
la plupart des grands noms du haut-rêve. Méprisé et tourné en dérision
à son époque, il s’est révélé depuis avoir vu juste dans un nombre
troublant de cas. Ne disait-il pas au sujet de Tshikita :
« Tshikita balayée comme fétu de paille
En montagne encastrée avec que sa quincaille
Tant jambes que tétons aux pluies battant sans trêve
Gigante morcelée aux quatre coins du rêve. » |
S’ils n’en ont pas encore eu l’idée, les voyageurs devraient
dès lors avoir une bonne raison de supposer que le miroir est magique
et procéder aux rituels de lecture. L’ordre dans lequel se succédera le
reste des événements dépendra essentiellement de leur connaissance ou
non des conditions de l’Ecaille de Maîtrise.
Le monstre
Dès la venue du soir, les villageois verrouillent soigneusement
portes et fenêtres. L’hôtesse de la maison des voyageurs fera de même,
prévenant : « Une fois la porte barrée, plus question de la
rouvrir avant l’aube !...» Les voyageurs apprendront alors le pénible
secret des Bizartiens.
Ce secret, la raison de leur manque de gaieté, c’est la présence
d’un monstre hideux, terré dans une caverne dans les collines du sud,
qui vient parfois terroriser le village. Le monstre ne date pas d’hier;
aussi loin qu’on s’en souvienne, il a toujours été là, mais il est
réputé invincible et nul villageois n’a jamais eu le courage d’aller
lui régler son compte une fois pour toutes. Il faut dire que le
monstre, ennemi de la lumière, ne sort en quête de proie que par les
nuits très noires. Alors on s’en accommode. Ce serait dommage de
partir, la vallée est si fertile Il suffit de bien se barricader quand
les nuits sont sans lune, de se boucher les oreilles quand il hurle et
d’éteindre les chandelles. La moindre lumière provoque en lui une folie
destructrice, du moins en ce qui concerne celle du feu, car la lumière
du soleil, par contre, aurait le pouvoir de l’anéantir instantanément.
Ce dernier fait est important et intriguera probablement les
voyageurs. Les villageois seront bien en peine d’expliquer d’où ils
tirent ce savoir. C’est comme pour le nom du téton rocheux, c’est
quelque chose qu’on s’est toujours dit, qu’on s’est répété de père en
fils. Le doyen du village, un vieillard édenté et tremblotant nommé
Angus, confirmera même : « Quand j’étais gamin, un étranger est
venu de l’ouest. Il venait de très loin, de Perpeth et même d’au-delà,
Il avait entendu parler du monstre et de la récompense, et venait pour
l’occire avec son épée et son grand bouclier. Je me souviens que mon
père a haussé les épaules, — il n’y a qu’un seul moyen d’anéantir le
monstre, a-t-il dit, c’est de l’exposer à la lumière du soleil. Et
comme sa caverne est profonde et qu’il ne sort que la nuit, il n’y a
rien à faire. — J’irai quand même, a rétorqué l’étranger dégainant son
épée, montrez-moi le chemin de sa tanière. On le lui a montré, sans
trop s’approcher quand même. On l’a vu entrer. Et il n’est jamais
ressorti ». Puis devant l’allure (peut-être martiale ?) des
voyageurs, le vieillard ajoutera :
« Mais la récompense tient toujours... »
De telles informations susciteront probablement des questions.
Comment s’appelle le monstre ? A quoi ressemble-t-il ? Quelle est la
récompense ?
« Ici, on l’appelle le Bandersnatch, répondra le vieil Angus. Mais
l’étranger téméraire lui donnait un autre nom, je ne me souviens plus
lequel ». Si la Lecture d’Aura a déjà été faite et si on lui
demande si cet autre nom ne serait pas krunderznap, par hasard ?, il
répondra : « Krunderznap ? En effet, je me souviens que l’étranger
a prononcé plusieurs fois le nom de krunderznap, mais je ne me souviens
plus s’il voulait parler du monstre. C’était il y a si longtemps... En
ce qui concerne son apparence, c’est difficile à dire. On ne l’a jamais
bien vu. Mais imaginez un crapaud plus grand qu’un bœuf, avec une tête
de cheval, des ailes de chauve-souris, une peau écailleuse, des griffes
comme des dagues et des pointes barbelées sur le dos... Quant à la
récompense promise autrefois, nous n’avons point de raison de nous en
dédire : à quiconque anéantira le monstre hideux, le village
reconnaissant offrira sur le champ une échelle, deux bottes de paille,
une carpe et douze chandelles ». Si les voyageurs font la moue,
les Bizartiens admettront que cette promesse date de plusieurs
générations et qu’elle pourrait éventuellement être réévaluée, en
ajoutant par exemple un demi-seau de farine ou toute autre suggestion
venant des voyageurs, du moment que cela reste raisonnable.
Le problème
Comme dit précédemment, tout dépend de la connaissance des
conditions de l’Ecaille de Maîtrise. En supposant ce fait connu, la
quête des voyageurs est simple à énoncer : trouver un krunderznap.
Mais bien entendu, personne à Bizarte ne saura non plus ce que
c’est. De fait, il pousse bel et bien des krunderznaps dans le
cimetière, mais les Bizartiens les confondent avec les pissenlits
ordinaires et en ignorent le nom. Seul Angus se souviendra vaguement
que l’étranger téméraire a prononcé ce nom, mais rien de plus...
Grosso modo, le scénario peut alors adopter les voies suivantes :
- les voyageurs arrivent à Bizarte sans connaître la
condition du miroir (ni qu’il est magique). Ils entendent parler du
monstre, décident de le tuer, se font conduire à la caverne, et là,
réussissent ou non. Plus tard, éventuellement, apprendront-ils le
secret du miroir.
- les voyageurs cherchent un krunderznap,
pensent que c’est un autre nom du monstre et vont tenter de le tuer
pour le ramener au soleil une fois mort et maîtriser le miroir. La
première partie peut réussir, la seconde est forcément vouée à l’échec.
- soit
ils pensent : ce miroir est l’outil idéal pour tuer le monstre. Nous
n’irons donc le chatouiller dans sa caverne qu’une fois le miroir
maîtrisé. Mais comment faire si c’est effectivement lui, le krunderznap
?
La solution réside dans le fait que l’étranger téméraire a prononcé le
nom fatidique devant Angus enfant. L’homme savait apparemment de quoi
il parlait, lui. Ne pourrait-on pas réveiller un peu les souvenirs
d’Angus vieillard ? C’est là qu’intervient le rituel d’Hypnos :
Conjurer l’Oubli.
Rappelons que chaque utilisation de ce rituel ne rappelle les
souvenirs enfuis que par rapport à une question précise. Si l’on
demande comment l’étranger appelait le monstre, Angus répondra d’une
voix de somnambule : « Jabberwock ! Il l’appelait le
Jabberwock ! » Et il ajoutera d’une voix à nouveau normale:
«Pur non-sens, à mon avis... »
La meilleure question à poser est certainement :
« Qu’a dit exactement l’étranger en parlant du krunderznap ? A quoi
Angus répondra d’une voix lointaine : « Il a dit : avant le combat,
faites-moi la grâce de me servir une bonne salade de krunderznaps ! —
On n’a pas de ça ici, a rétorqué ma mère. Alors il a dit en se fâchant
presque :
- Comment vous n’avez pas de krunderznaps ? J’en ai vu plein votre
grand jardin !... »
Et au grand dam des voyageurs, on n’en tirera rien de plus.
Ensuite son père est arrivé et lui a dit de retourner à son travail.
Plus tard il a escorté l’étranger jusqu’à la tanière du monstre avec
d’autres jeunes. Et quant à cette histoire de krunderznaps, il n’en a
plus jamais eu d’écho. Un incident sans importance, en vérité !
Vraiment ? Ce n’est peut-être pas ce que penseront les voyageurs.
Car ils tiennent maintenant un indice de poids : le krunderznap, c’est
quelque chose qui se mange en salade. Il ne leur restera plus qu’à
parcourir jardins et potagers et réfléchir le soleil sur tout ce qui
est susceptible d’être mangé on salade. Dans les jardins, il pousse
principalement des tomates, des oignons, des haricots et des
citrouilles. La plupart des jardins sont de taille modeste. Or
l’étranger a dit « dans votre grand jardin ». Si l’un des voyageurs
comprend qu’il s’agit du cimetière et le visite, il ne trouvera guère
que les pissenlits qui soient consommables en salade... Et c’est ainsi
que le miroir devrait pouvoir enfin être maîtrisé.
Le Bandersnatch
Située au fond d’un ravin encaissé, la caverne du Bandersnatch
présente une ouverture d’environ 5m de diamètre. Il y fait noir comme
dans un four. Intérieurement, la caverne se subdivise en plusieurs
salles que le monstre occupe à tour de râle, selon son humeur. Toutes
sentent horriblement mauvais. Des ossements rongés et à demi pourris
traînent çà et là, tels les restes (sans importance) du malheureux
étranger téméraire.
Si le miroir est maîtrisé, les voyageurs se rendront compte, à
leur grand soulagement, que la légende est véridique. A peine le
pinceau de lumière solaire aura-t-il touché le monstre qu’il poussera
un hennissement démentiel on se mettant à fumer de toutes parts. Puis
il s’effondrera, complètement carbonisé.
Dans le cas contraire, le combattre ne sera pas une mince affaire.
Physiquement, le Bandersnatch ressemble à la description donnée plus
haut. Ses ailes, toutefois, ne lui permettent pas de voler. Ce sont
plutôt des ailettes qui lui permettent de se déplacer par bonds. Ces
bonds peuvent faire jusqu’à 35 m. Sa carapace dorsale le rend quasiment
invulnérable : protection 2d6 +6. Le ventre est moins protégé : 1d6 +2
seulement. Mais pour le toucher au ventre, il faut réussir une
significative au minimum. Enfin, le Bandersnatch résiste
automatiquement aux sorts de Peur, Egarement et Non Agressivité. Il a
un bonus de résistance à la magie de +30% pour les autres sorts. Et Air
en feu ne lui cause qu’une blessure légère.
Le Bandersnatch
Taille 30 Vie 25
Constitution 20 Endurance 45
Force 24 Vitesse 16/35
Perception 15 +dom +12
Volonté 15 Protection 2d6 +6; d6+2 (sign)
Rêve 18
Attaque de griffes 20 niv +6 init 16 +dom+14
Parade des griffes 20 niv +6
Esquive 7 niv +3
Note.
Le Bandersnatch attaque généralement à –8, ce qui lui laisse encore 80%
de chances de réussite normale et 16% de particulière.
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Conclusion
Si tout se passe bien, les Bizartiens seront fidèles à leur
promesse. Et même, dans un élan d’enthousiasme, ils organiseront un
grand banquet où les voyageurs seront les invités d’honneur.
Si les voyageurs ont déjà maîtrisé le miroir, l’histoire n’aura pas
d’autre chute.
Si par contre ils n’ont combattu le Bandersnatch que par les armes
et ont été déçus de ne pouvoir maîtriser le miroir sur son cœur, le
Gardien des Rêves peut supposer un ultime incident lors du grand
banquet pour les mettre sur la voie des krunderznaps.
Un étranger arrivera de l’ouest, disant avoir entendu parler du
monstre et être venu le combattre. « Trop tard ! lui
rétorquera-t-on sans doute, les voyageurs que voilà ont déjà fait tout
le travail. Mais soyez néanmoins le bienvenu au banquet ! »
- « Quel dommage ! Soupirera alors le nouvel
étranger téméraire. Et tendant la main vers un plat de pissenlits en
salade, il soupirera à nouveau : Enfin ! Il me reste au moins la
consolation d’une bonne salade de krunderznaps ! »
Texte : Denis Gerfaud
Plans : Denis Gerfaud
Illustration : Eric Larnoy