Ce scénario pour MJ expérimenté et joueurs de tout niveau peut prendre
place aussi bien au Royaume de l'Errance qu'à celui de la Lune: il ne
vous est donc pas fourni de dates précises, afin que chacun puisse
l'inclure dans une campagne, ou en faire une péripétie supplémentaire
dans un long scénario en cours. Il faut cependant que les personnages
comptent parmi eux au moins un baladin ayant déjà eu vent du Royaume
des Rêves - ceux qui ont vécu l'aventure proposée dans Hurlelune 7, par
exemple; ou l'intrigue du Casus n° 84 - et de ses « distorsions de la
réalité ».
L'histoire, en quelques mots
La Caravane est de retour à Brocéliande, où elle va croiser l'Ennemi
éternel. Ce dernier va s'appliquer à instiller dans les esprits la peur
du Malin. Il a jeté son dévolu sur un petit hameau situé en bordure de
la Mare aux fées, et s'est acharné à en terroriser les habitants.
Ceux-ci sont persuadés qu'ils sont victimes d'une malédiction, et que «
le Diable est là, qui veut s'en prendre à leur âme ». On en est revenu,
au fil des semaines, à des comportements antédiluviens, issus de la
résurgence des vieilles terreurs collectives : certains habitants du
village n'hésitent pas à enlever des voyageurs isolés et à les offrir
en sacrifice à « la bête », dans le fol espoir d'apaiser sa colère et
de la détourner du hameau.
C'est donc dans une ambiance lourde que les personnages-joueurs vont
devoir évoluer, en prenant garde de ne pas se tromper de cible... Mais
place au Conte !
Please allow me to introduce myself l'm a man of
wealth and taste
En ce bel après-midi de printemps, un
soleil radieux baigne la campagne alentour, les champs revivent, la
nature semble jouir pleinement de cette chaleur renaissante: tout est
synonyme de bien être, de joie de vivre. On est heureux d'avancer sur
les chemins, d'aller à la rencontre de ces gens toujours prompts à
faire renaitre une vieille légende, à partager un conte ancestral dont
on pourra s'inspirer pour enrichir de futurs spectacles. De fait,
depuis quelques jours, les villageois rencontrés sont particulièrement
avenants, et l'accueil réserve à la Caravane toujours des plus
chaleureux.
Pourtant, les choses semblent imperceptiblement changer au fur et à
mesure que l'on s'approche de la fabuleuse forêt. L'attitude des
paysans rencontrés est plus réservée, ils se montrent plus distants,
peut-être plus méfiants aussi. Rien cependant ne permet d'affirmer que
quelque chose se trame ici : tout au plus les villageois habitant en
lisière de forêt: paraissent-ils moins enclins à la confiance a priori
...
Le Conteur devra faire en sorte de proposer de multiples occasions
d'échanges avec les habitants, tout au long du chemin: sans trop
insister sur les réels changements de ton, il devra s'appliquer à faire
sentir, par petites touches, une certaine tension sur les lieux. RIEN
de réellement alarmant, encore une fois: à peine un certain sentiment
de malaise diffus, une légère gêne qui s'installe dans les rangs des
Lycanthropes et qui vient ternir leurs rapports avec les habitants des
lieux. Les choses se préciseront aux abords directs de la forêt.
Un homme d'une trentaine d'années s'échappe soudain des bois, hirsute,
hagard, à demi nu. Il halète, le souffle rauque, semble au bord de
l'évanouissement. II roule des yeux effarés de droite et de gauche,
semblant chercher d'improbables démons lancés à sa poursuite... Il a un
débit particulièrement saccadé, la voix éraillée à force d'avoir trop
crié: « Ils sont là ! Derrière moi ! ils arrivent ! Fuyez, fuyez avant
qu'ils ne vous voient, ou vous périrez comme mes infortunés compagnons
de route! Fuyez, fuyez-vous dis-je! » Puis l'homme se dégage des bras
qui essayaient en vain de le réconforter, et reprend sa course, en
titubant. Il est impossible d'en apprendre plus, si ce n'est
éventuellement que « des démons hantent les bois, qui se jettent sur
les voyageurs isolés ou égarés et les entrainent jusque dans leur
repaire infernal pour les dévorer... » On n'en saura pas plus: déjà,
l'homme se perd dans les champs. Si par malheur un personnage tentait
de l'arrêter, l'homme succombera à une crise de démence, et se jettera
à son cou pour essayer de le mordre à la gorge. Si le combat s'engage,
il faudra l'abattre avant qu'il ne tue un Lycanthrope. L'homme a
définitivement sombré dans la folie paranoïaque et ne se contrôle
qu'épisodiquement : son discours, s'il est frappant, n'en est pas moins
fantaisiste.
Il dit avoir été victime de certains des habitants du hameau situé aux
abords de la Mare aux fées: c'est un regroupement d'hommes et de femmes
aux méthodes radicales, persuadés que « des offrandes humaines peuvent
détourner la haine du démon qui a pris possession de l'église ».
Pour ce faire, ils s'affublent d'oripeaux étranges, et attendent en
embuscade les voyageurs isolés ou fatigués: ils les assomment, les
capturent et les entraînent au fond d'une grotte, non loin du hameau. A
la nuit, ils vont offrir leurs présents au Malin, attendant le lever du
jour pour s'y glisser et enlever les restes des corps dévorés par le
démon. L'homme a donc vécu l'enfer de l'attente du sacrifice, en
compagnie d'autres victimes des « suppôts du démon » : chaque soir, on
venait prendre l'un d'entre eux, qu'on assommait après l'avoir
bâillonné, et chaque matin, on venait jeter ses restes au fond de la
caverne. L'homme ne sait plus comment il est parvenu à échapper à ses
geôliers, il est incapable de fournir la plus petite piste, le plus
maigre indice: il ne veut plus que fuir, droit devant, pour laisser la
plus grande distance entre le démon et lui...
Note. Bien entendu, point de démon ici : seul l'Ennemi éternel
est présent, qui mutile les corps d'horrible manière pour entretenir la
terreur. Il s'est d'ailleurs laissé volontairement « surprendre » à
plusieurs reprises: utilisant alors ses pouvoirs de Maitre des Ombres,
il est parvenu à suggérer à ses malheureux témoins qu'il évoluait sous
la forme d'une succube: créature ailée, humanoïde et diabolique, qui
selon les légendes, peut drainer la vie d'un être vivant et se repaitre
ensuite de ses chairs...
Si l'on parvient à capturer un des « suppôts de la bête », il pourra
ainsi en fournir une description hallucinante.
Pour retrouver leur repaire, aucune difficulté majeure: il suffit à un
Lycanthrope sous forme de chien, par exemple, de suivre la trace très
fortement marquée jusqu'à la caverne dans les bois. Il n'y a pas, dans
le village, aucun animal susceptible de faire cet office: ils ont été
les premières victimes des « suppôts »...
Les Lycanthropes ont peut-être encore en mémoire certaines aventures
survenues au cœur de ces bois sombres. La forêt, si elle est
majestueuse, n'en est pas moins un océan de verdure opaque, tel un mur
végétal infranchissable, une barrière arachnéenne susceptible de
soustraire au regard des Lycanthropes la plus infernale des menaces...
En l'absence du Veneur, c'est l'Initié qui prend la décision d'envoyer
des éclaireurs. Bien évidemment, celle patrouille est constituée des
PJ, sans exception: l'Initié les a désignés après un rapide coup d'œil
à la ronde. Il les réconforte tant bien que mal, avançant « qu'il
s'agit probablement d'un pauvre fou ayant succombé à une trop longue
errance solitaire dans cette forêt immense » Il y a fort peu de chances
que les PJ se satisfassent d'une telle théorie, mais le devoir les
appelle: il faut s'enfoncer dans Brocéliande la sombre.
Le chemin large serpente au milieu des bois. Pourtant, la lumière à le
plus grand mal à percer les frondaisons luxuriantes. C'est donc dans
une semi-pénombre que progressent les « volontaires » de la Caravane.
Ceux-ci sont surpris d'entendre distinctement chanter, loin devant eux.
Il s'agit d'une mélodie étrange, lancinante, presque obscène, employant
des termes d'une langue inconnue.
Note. Le Conteur peut, s'il le désire, faire écouter les
premières mesures du Sympathy for the Devil, des Rolling Stones, dont
vous trouverez un extrait en fin de Conte. Bien évidemment, les
personnages sont incapables d'en saisir les paroles, et seront
probablement profondément choqués par les harmonies employées, à des
années-lumière de celles auxquelles ils sont habitués. Même - et
surtout ! - s'il s'en trouve parmi eux pour être des fans des Pierres
qui Roulent, le Conteur devra s’assurer qu'ils font abstraction des
paroles et ne communiquent pas leur contenu ou leur signification aux
autres membres du groupe.
Ils verront alors surgir sur le chemin un troubadour souriant. Un luth
à la main, qui les saluera bien amicalement. Le nouveau venu est grand
et maigre. Son visage émacié se fend d'un large sourire carnassier, qui
met en relief son nez busqué d'oiseau de proie. Il est coiffé d'un
chapeau pointu rouge sang, d'un pourpoint et de chausses rouges
également, et de poulaines très pointues. Il discute aimablement,
ponctuant toutes ses phrases d'extraits de chansons qu'il chante dans
de nombreuses langues, la plupart incompréhensibles. Il avoue avoir
beaucoup voyagé, s'être rendu dans les cours les plus prestigieuses
d'Europe, et avoir été attiré par les nombreuses légendes qui circulent
à propos de Brocéliande.
Si on lui demande d'où il est originaire, il se contentera d'un
laconique : « Je suis d'ici... et d'ailleurs. Je vais, je viens; je
vais partout et nulle part. Ne suis-je pas baladin ? » Ponctué d'un de
ses larges sourires dont on ne saurait affirmer s'ils sont amicaux ou
profondément haineux... l'un de ces chants - il s'agit d'une comptine,
en fait - devrait attirer l'attention des baladins, par sa facture
volontairement simplette. De plus, il l'assène aux personnages en se
moquant visiblement de leurs airs un peu inquiets ou méfiants:
« La sorcière, la taquine,
Est tombée dans la ravine
Que le Diable a su créer
Pour manger la fée
Le Bon Dieu, qui n'a rien su
S'est endormi dessus
Elle t'attend, pauvre bossu !
Lanturlu, lanturlu… »
Cela dit, il salue les lycanthropes, d'un signe de tête assez sec, et
prend rapidement congé... en s'enfonçant dans les bois après avoir
prestement quitté le chemin. Là, alors que rien ne le laissait prévoir,
il a éclaté d'un rire sardonique, rejetant sa tête en arrière dans un
signe de défi et a disparu. On peut alors se jeter à sa poursuite, mais
plus rien n'y fait; ni odeur identifiable, ni piste. Seule la voix du
troubadour, un peu étouffée, répète, goguenarde: « Je suis d'ici... et
d'ailleurs. Je vais, je viens: je suis partout et nulle part. Ne
suis-je pas baladin ? »
Si l'on poursuit les recherches, on reconnaîtra aisément le parfum du
soufre, sur le sol ... Et l'on découvrira une vieille croix celtique
dévorée par la mousse, abandonnée depuis des siècles. Aucune éventuelle
odeur de « baladin », par contre, n'est identifiable; seuls quelques -
rares - animaux passent ici, et aucun d'entre eux n'est une des formes
animales de l'Ennemi éternel.
C'est autour de cette croix que l'Ennemi agit: il utilise le potentiel
de la Source de Rêve concentré ici pour entraîner les voyageurs à sa
suite au cœur du Rêve qu'il a spécialement mis en scène, et qu'il fait
varier à sa guise. Ainsi, les « suppôts du démon » sont-ils persuadés
d'avoir rencontré le Diable en personne, qui leur a demandé de subvenir
aux besoins de la « succube » ayant élu domicile dans l'église - il ne
leur a pas précisé qu'elle habitait sous l'église. Les quelques rares
voyageurs qui sont passés ici sont également tombés de la même manière
sous l'emprise de l'Ennemi, qui les a endormis, les laissant
inconscients à l'issue d'un rêve hallucinant: les suppôts n'ont plus
qu'à bâillonner les pauvres hères, les ligoter et les entraîner vers la
caverne, où ils se réveillent pour attendre une mort odieuse...
Il a donc agi aisément avec les personnages, sans toutefois les
endormir ou les faire sombrer dans l'inconscience. Son but n'est pas de
les faire enlever par les suppôts du démon, mais bien de les entrainer
jusqu'au hameau, où il espère des pertes beaucoup plus lourdes dans les
rangs des lycanthropes. Si les habitants du village qui servent ses
desseins sont présents non loin de là, ils n'interviendront pas: ce
sont des hommes et des femmes extrêmement veules, très fortement
perturbés, et qui ne réalisent plus vraiment dans quelle horreur ils
ont plongé. Ils n'osent en fait s’attaquer qu'à des personnages
inconscients, incapables de la plus petite réaction. A leur décharge,
et sans chercher à excuser leurs perversions, on peut comprendre que
l'abomination dans laquelle les a noyés l'Ennemi éternel a eu raison de
leur santé mentale...
Note. C'est de cette croix - Source stagnante - que l'Ennemi
éternel s'est servi pour effectuer son petit tour de passepasse: les
personnages, sans s'en apercevoir, sont entrés dans le Rêve concocté
par l'Ennemi. Ils y ont rencontré le « Diable », puis en sont
ressortis, sans avoir eu conscience du changement de réalité.
Reportez-vous à l'aide de jeu fournie en fin de Conte pour plus de
détails concernant ces « Rêves orientés » par l'Ennemi éternel.
Rêve ou réalité ? C'est la question que les personnages se posent
encore probablement quand ils sont rejoints par le reste de la
Caravane. On discute ensemble de l'incident, à moins, bien entendu, que
les personnages ne préfèrent garder le silence. Quoi qu'il en soit, on
finit par décider d'un commun accord de rallier au plus vite le hameau
de la Mare aux fées.
l've been around for long, long years Stolen many a
man's soul and faith...
Le Hameau
On y parvient sans heurts; les « suppôts du démon » ne s'attaquent qu'à
des isolés, ils ont donc bien vu arriver la Caravane, mais se sont bien
gardés de se montrer. Ils ont précédé les lycanthropes au hameau et
sont retournés à leurs « occupations officielles ». Le hameau n'est
composé que d'une poignée de maisons misérables, adossées au lac. Elles
cernent une petite église, fermée et sombre. Quelques vieux peu amènes
les regardent arriver, se lèvent, et rentrent chez eux. On a connu
accueils plus enthousiastes... la Caravane, il est vrai, fait figure
d'armée d'envahisseurs dans ce hameau aux dimensions plus que réduites.
C'est le silence qui y règne qui choque de prime abord. On ne saurait
dire ce qui gêne dans ce décor somme toute banal de commune en bordure
de lac. Et puis, peu à peu, on comprend: il n'y a pas d'enfants dans
les rues, et aucun rire ni cri ne vient accompagner gaiement les pas
des baladins. De même, il ne traîne aucun des habituels bâtards
affectueux qui peuplent les ruelles des villages... le hameau semble
paralysé, victime de quelque sombre malédiction.
Il se passe un moment certain, avant que quelques volontaires ne se
décident à sortir pour accueillir les nouveaux venus: il y a là
Edouard, un solide bûcheron qui ne se sépare jamais de sa phénoménale
cognée en bois de chêne, el son fils Régis. Edouard semble n'avoir peur
de personne; mais il avoue, dès qu'on lui en laisse l'occasion, qu'il «
ne craint que la colère de Dieu et celle du Diable ». C’est un colosse
assez exceptionnel, qui avoisine les deux mètres pour quelques cent
quarante kilos. Presque essentiellement constitué de muscles
harmonieusement disposés sur une ossature d'ogre de légende, Edouard
fait figure de « bourgmestre » : sa voix de stentor, ses éclats de rire
ou de colère en imposent suffisamment pour lui assurer le dernier mot
quasiment chaque fois. Comme disait Michel Audiard: « Quand les types
de cent trente kilos pensent une chose, ceux de soixante ont tendance à
être d'accord ». Un personnage cherchant hélas à s'imposer en force
risque fort de goûter à la cognée du bûcheron... A titre indicatif,
même Jehan a tendance à se méfier de son vis-à-vis local. Une technique
quasi imparable, mais difficile à mettre en place, consiste à faire
croire au chef du hameau que les idées qu'on avance sont bien les
siennes: si l'on y parvient, on trouvera en lui un camarade zélé et
très attentionné, ainsi qu'un compagnon de combat non négligeable,
comme on le verra plus loin.
Régis, son fils, est un adolescent nerveux, voire excité en permanence,
qui voit en la Caravane et ses habitants l'occasion unique d'échapper
un moment à la grisaille de son quotidien. Pas totalement inconscient.
Toutefois, il reste prudemment non loin de son père, afin de s'assurer
une défense à la hauteur de ses ambitions. Dans leur dos, la femme de
la maison tremble, serrant contre elle ses cinq autres bambins. Elle
angoisse de les savoir aller toujours au-devant des inconnus: elle a
certes confiance en la force dissuasive de son époux, mais craint
par-dessus tous les réactions de son rejeton ainé, qu'elle sait
imprévisible et prompt à se plonger involontairement dans des
situations qu'il est par la suite incapable de maitriser, De fait,
Régis se mêle instinctivement aux baladins, sous le regard un peu
inquiet de son père, qui reste beaucoup plus distant, le jeune homme
parait très aimable de prime abord, mais se révèle vite fatiguant: il
saoule l'assistance à force de plaisanteries et de remarques destinées
à s'attirer les faveurs de l'auditoire - et dans l'espoir secret de se
faire accepter par les jeunes femmes présentes. Son père, pour sa part,
s'enquiert des désirs des visiteurs, et s'efforce de rester le plus
neutre possible.
Il est aisé d'obtenir des renseignements de Régis, si on fait appel au
charme d'une ou deux jeunes femmes lycanthropes des plus accortes. Tout
à son besoin de séduire, il s'empressera de livrer pêle-mêle tous les
renseignements dont il dispose; on saura donc très vite qu'une
malédiction pèse sur l'église du hameau et qu'un démon écume la région
depuis des mois...
Derrière l'application du jeune homme à fournir des explications
assorties des détails les plus obscènes, on décèle rapidement un même
besoin viscéral, chez tous les habitants du hameau, d'exorciser leur
terreur au travers d'une litanie assez hallucinante. On retrouvera en
effet le même besoin de se confier chez tous les habitants présents le
soir à la « taverne ». Pour passer outre leurs réticences à parler
ouvertement de leurs malheurs, il faudra avoir su d’abord lier contact
avec Edouard : si le colosse accorde sa confiance à des étrangers, tous
seront prêts à venir en aide à ces « aventuriers potentiels ».
Peut-être cependant se refuseront-ils à se confier avant la première
nuit. Au matin, en découvrant le nouveau mort, les lycanthropes
voudront sûrement en savoir plus.
La taverne
Il s'agit en fait d'une des fermes les plus importantes du hameau,
qu'on a vaguement aménagée pour l'occasion. Les visites sont rares ici
: parfois, quelques voyageurs peu nombreux passent ici, qu'on loge
alors chez l'habitant. Devant l'importance de la Caravane, on a
réquisitionné une des plus importantes longères (maison bretonne, de
plain-pied, construite tout en longueur el dotée de murs de pierre
particulièrement épais). Les chariots ont bien sûr été disposés à
l'extérieur du village, comme à l'habitude, et les personnages
souhaiteront probablement y dormir; cette « taverne » n'a été
improvisée que pour permettre au plus grand nombre de s'attabler et de
deviser tranquillement, à la lueur du feu de cheminée.
Si les personnages évoquent bille en tête leur curieuse rencontre de la
journée, non loin de la croix celte, ils se verront opposer une gêne
curieuse, voire une pointe d'agressivité s'ils insistent. Il y a là
autant de suppôts du démon que de partisans d'une certaine forme de
résistance. Les suppôts sont plus faciles à cerner psychologiquement :
ils sont totalement fanatiques de la « cause » du Malin, et refusent de
donner le plus petit renseignement susceptible de permettre à quiconque
de le chasser de l'église. Les autres habitants ont, pour leur part, un
comportement plus pervers: ils ne veulent pas s'opposer aux suppôts -
dont ils connaissent pertinemment l'identité - craignant « le courroux
du Malin », et ils leur sont même reconnaissants, d'une certaine
manière, de bien vouloir choisir leurs victimes parmi les étrangers qui
sillonnent la forêt plutôt qu'au sein du village... Pourtant, tiraillés
entre la « morale religieuse » qui survit au fond d'eux et la terreur
que leur inspirent les événements abominables survenus depuis longtemps
au hameau, ils ne peuvent s'empêcher de voir en ces nouveaux venus un
début de solution à leurs problèmes. Leur dilemme est odieusement
simple: agir dans le sens du démon, c'est se condamner à la damnation
éternelle (le dernier prêtre qui a officié ici a été très clair sur ce
point… avant de périr sous les griffes de la bête); agir à l'encontre
du démon, c'est aussi se voir plonger à brève échéance dans les flammes
de l'Enfer... Le Diable n'emmène-t-il pas avec lui les Ames de ceux qui
ont croisé son chemin ? La Caravane représente donc à la fois une armée
potentielle, capable de se dresser un temps devant le démon à défaut de
pouvoir le défaire vraiment, et un véritable « réservoir à sacrifices
», qui permettra au pire d'assouvir les besoins du démon.
Le Conteur devra donc tenir compte des tourments psychologiques qui
assaillent les habitants du hameau: ces derniers évoluent sur le fil du
rasoir et sont perpétuellement en rupture d'équilibre. Choisir une
approche peu subtile, les bousculer un peu trop, reviendrait à les
conforter dans l'idée que les Lycanthropes ne sont bons qu'à nourrir la
« bête ». Les personnages doivent donc sentir la difficulté, et
chercher à tout prix à obtenir un maximum de renseignements, pour
cerner au plus près le problème avant de tenter quoi que ce soit. On
l'a vu cependant, la psychologie des villageois est telle que les
négociations risquent fort d'être âpres...
Et si les membres de la Caravane décident que cette malédiction ne les
concerne pas ? S'ils préfèrent continuer la route, et fuir au plus vite
ces lieux inhospitaliers ?
Au matin du premier jour, lorsqu'on découvrira le corps massacré du
prêtre courageux (voir plus loin, à ce propos), la décision sera prise
de repartir au plus vite. Les personnages sont laissés là, avec ordre
d'élucider cette affaire étrange: l'Initié leur confie naturellement
cette lourde tâche, ne sont-ils pas ceux qui ont vécu les premières
manifestations étranges ? Bien entendu, il ne leur est demandé que
d'assurer l'arrière-garde de la Caravane, soit de tranquilliser les
villageois par leur présence: la version officielle proposée aux
habitants est donc que la Caravane n'est pas responsable de tels
agissements, qu'elle ne souhaite que continuer son chemin et laisse
quelques-uns de ses éléments en soutien aux villageois... Peut-être
même les personnages agissent-ils de leur propre chef ? Quelles raisons
peuvent d'ailleurs les pousser à rester ?
Dès le premier soir, s'ils ont fait preuve de psychologie -
c'est-à-dire qu'à aucun moment ils n'ont évoqué l'épisode du troubadour
tout de rouge vêtu - Edouard se confie, et leur demande de l'aide. Il
leur expliquera à mots couverts la situation dans le village, se
refusant catégoriquement à tout dévoiler avant d'être certain qu'il a
affaire à de bons chrétiens, et « avant d'avoir pu s'entretenir de son
projet avec le jeune prêtre fraichement arrivé ». Son plan est
simplissime: il désire affronter la « bête » aux côtés du prêtre,
soutenu par quelques valeureux compagnons, qu'il ne peut, et pour
cause, réunir dans le hameau. Il s'est d'ailleurs bien gardé d'en
aviser aucun des illustres habitants, afin de ne pas s'attirer les
foudres des suppôts du Malin. Edouard a vu dans les personnages
l'occasion inespérée de se débarrasser de la malédiction du hameau. Il
sent confusément que le prêtre seul ne parviendra pas à vaincre le
démon et espère qu'un soutien musclé peut peut-être faire pencher la
balance en sa faveur. Edouard est courageux et décidé. Il ne se
confiera que s'il juge les personnages dignes de confiance : fanfarons,
intrigants et autres, s'abstenir...
Le nouveau prêtre, qui va hélas mourir dans la nuit, avait su gagner
leur amitié avant de disparaitre sous les coups du démon. C'est un
jeune religieux, ordonné depuis peu, qu'on a dépêché ici avant
l’arrivée d'un véritable exorciste. Il est là pour assurer un intérim
qu'il pense de courte durée, et « pour apporter le réconfort nécessaire
à ceux qui en ont tant besoin »; dès la disparition de l'ancien prêtre,
en effet, on a avisé le clergé local, qui a fait preuve, une fois de
plus, de son extrême lenteur à agir et à prendre une décision. Le jeune
homme est passionné, franc et plein d'humour: il est tout le contraire
des habituels exaltés qui constituent le corps religieux de l'époque.
Doté d'un physique particulièrement avantageux, ce qui ne gâte rien, il
est sans doute celui pour lequel les personnages devraient éprouver la
plus immédiate sympathie. Il leur déclarera être allé au hameau une
journée plus tôt, et n'avoir rien constaté d'autre que des traces de
profanations dans « son » église. Il s'est d'abord livré à un rituel de
consécration, et a laissé passer une journée. Cette nuit, il a décidé
de s'enfermer dans l'église, seul, pour se perdre en prières et attirer
sur le lieu l'attention de son Seigneur de Miséricorde. Il est persuadé
que Dieu ne restera pas insensible au malheur du hameau et reste
confiant. On ne sait si c'est son insouciance, sa confiance ou son
courage qui force le plus le respect, mais il est impossible de
l'accompagner (en tout cas, pas sous forme humaine). Son ton, s'il est
calme et serein, n'admet cependant aucune contradiction.
Régis est amoureux d'une des Lycanthropes de la troupe, que son air
perpétuellement béat a attendrie. Il a disparu à la nuit aux alentours
de l'église... En fait, il a cherché à s'introduire dans les lieux,
pour faire la preuve de son courage et séduire la belle. Il a hélas,
croisé le chemin des suppôts du démon, qui, excédés par son
comportement, l'ont neutralisé et enlevé. Suivre leurs traces n'est pas
bien compliqué pour les lycanthropes, qui arrivent facilement à la
Caverne. Ce qu'ils y découvriront devrait suffire à les décider à
arrêter pareilles horreurs (voir plus loin).
Dernière extrémité: un des plus jeunes lycanthropes a été enlevé. Il
peut S'agir d'un enfant, assommé puis bâillonné, ou d'un adolescent
entraîné à l'écart par des suppôts parmi les plus jeunes, qui l'ont
conduit non loin de la croix celte... On parvient ainsi aux mêmes
conclusions que dans le cas de figure précédent, avec peut-être une
volonté encore plus grande de régler leur compte a de tels malfaisants;
les personnages devraient ressentir assez violemment l'affront,
puisqu'en enlevant un des leurs, les suppôts du démon ont « versé le
premier sang »...
Quoi qu'il en soit; le Veneur est absent de cette aventure, le Conte
verra donc sa conclusion sans l'intervention de l'Homme en Noir, et
l'initié, soucieux de l'intérêt du plus grand nombre, choisira
d'écarter la Caravane au plus tôt. Les personnages devront agir seuls,
dès la seconde journée ou à l'issue de la seconde nuit. Voici également
la description de deux personnages susceptibles de convaincre les
lycanthropes d'agir pour la sauvegarde du hameau. Bien entendu, le
Conteur, s'il le juge nécessaire, peut à sa guise en concevoir
d'autres.
Morgann est une jeune femme blonde, au regard bleu azur. Elle
semble très douce, voire timide. Elle doit avoir une vingtaine d'années
à peine, et serre contre elle deux jeunes enfants. Elle a perdu son
époux quelques semaines auparavant, victime de la « bête »: le
malheureux avait décidé d'aller de nuit dans l'église pour y soutenir
le prêtre qui s'y trouvait. Leurs deux corps furent trouvés au malin,
mutilés d'horrible manière... Morgann n'en éprouve que plus de courage
pour combattre le démon. Elle sait ne pas pouvoir traverser seule la
forêt - les suppôts du Malin, s'apercevant de sa fuite, auraient tôt
fait de la rattraper, tant la progression est lente avec deux enfants
en bas âge -, et elle se refuse à faire courir le moindre risque à sa
famille. S'il se trouve une femme parmi les personnages, Morgann
s'adressera instinctivement à elle. Dans le cas contraire, elle ira
probablement se confier à une des femmes de la Caravane, qui viendra
ensuite en aviser les PJ. Le marché proposé par Morgann est simple:
elle accepte de tout dire - tout ce qu'elle sait, soit peu de choses en
fait, si ce n'est l'identité de quelques suppôts, le principe des
enlèvements et la complicité tacite des villageois, ainsi qu'un résumé
des différentes attaques du démon - si les baladins acceptent d'emmener
avec eux ses enfants pour les soustraire à la folie ambiante. Elle veut
également rester sur les lieux, préférant se sacrifier pour apaiser la
colère de la bête et de ses sbires p1utôt que d'encourir le risque de
se voir poursuivre par eux. La détresse de la jeune femme fait peine à
voir, et aucun personnage ne devrait rester de marbre devant ses
arguments, d'autant plus que le courage et la détermination qui
brillent dans ses yeux ont le don de convaincre l'interlocuteur le plus
blasé. Si pourtant rien n'y fait, le Conteur choisira parmi les PJ
celui qui possède la sensibilité la plus élevée: il lui appartiendra
d'assumer le rôle de paladin protecteur de cette ravissante veuve et de
ses orphelins... mais gageons que les lycanthropes sauront relever le
défi sans que le besoin s'en fasse sentir !
Yannick est un jeune homme aux longs cheveux noir et aux grands
yeux bleu vert. Il semble vivre intensément toute chose et plonger son
regard à travers les êtres. On dirait qu'il lit les intentions et les
âmes... Il se découvre une soudaine passion pour les baladins surgis de
nulle part, et décide de les découvrir, de les mieux connaître: il est
sympathique, très agréable, quoiqu'un peu étrange. Son regard à la fois
incisif et perpétuellement flou fascine, son sourire aussi. On sent, on
sait qu'on peut être amis. On se trompe sur un point, pourtant: Yannick
est très profondément perturbé par tous les récents événements. Il
parait très fort, très sûr, mais en fait il est brisé de l'inférieur.
Les lycanthropes sont pour lui une ultime planche de salut: il sent la
nécessité de se raccrocher à ceux qui représentent son dernier lien
avec le monde hors du hameau, avec une autre réalité où ne vit aucun
démon, aucun élément du cauchemar qu'il vit éveillé depuis des
semaines. Yannick saura créer des liens d'amitié très fort avec les
personnages. Il se montrera très efficace dans un premier temps, sa
parfaite connaissance du terrain et des événements marquants pourront
en faire un auxiliaire performant. Hélas, à la première véritable
confrontation avec le démon, le jeune homme laissera libre cours à la
folie qui le ronge, et qu'il combat sans le savoir depuis si longtemps.
Dans ce cas, au cours du Rêve auquel seront soumis tous ceux qui
pénétreront dans l’église la nuit, Yannick se montrera dangereux pour
lui-même, en se livrant aux mêmes automutilations que les humains qui
l'ont précédé, mais il pourra se livrer à des attaques forcenées contre
tous ses compagnons. Il sera alors ressenti - à travers le Rêve commun
aux personnages présents - comme un allié du démon, possédé par
celui-ci et entièrement dévoué à sa cause et à sa défense.
Pleased to meet you Hope you guess my name
C'est à présent aux personnages de
prendre les choses en main: le décor est planté, les acteurs sont prêts
à tenir leur rôle, il ne leur reste plus qu'à accepter les principes de
l'aventure, et à s'y avancer a pas comptés... Voici les divers lieux où
ils seront amenés à évoluer par la force des choses.
La caverne
C'est un boyau rocheux sombre et humide, aux parois recouvertes de
mousses et lichens divers. Il serpente sur une dizaine de mètres avant
de s'ouvrir sur une salle plus large, au plafond bas (un homme de
petite taille s'y tient péniblement debout. C'est le noir absolu, une
ombre opaque, presque gluante et effroyablement malsaine, de sorte que
les prisonniers qui sont ici souffrent du moindre éclairage (torches,
etc.). Il y règne également une effroyable odeur de putréfaction. On y
découvrira de pauvres hères, totalement hébétés et assommés par
l'horreur qu'ils vivent depuis quelques jours. Ils sont incapables de
donner le moindre renseignement réellement utilisable: généralement,
ils ne parviennent à se souvenir que de leur rencontre avec un «
troubadour vêtu de rouge sang, au rire odieux ». Ils n'ont jamais vu
les suppôts du démon, qui se contentent d'entrer, dans le noir, et de
saisir à tâtons une victime (ils voient d'ailleurs dans ce choix
aveugle une forme de justice immanente) qu'ils estourbissent et
trainent à l'extérieur. Leurs pas et leurs respirations, ainsi que les
bruits des restes morbides jetés sur le sol, ont cependant un effet
formidable sur les prisonniers, qui ont fini par développer une espèce
de psychose collective, allant jusqu'à imaginer des créatures
abominables, directement issues de l'Enfer. Les personnages qui y
auront prêté attention se souviendront peut-être des déclarations du
malheureux fou croisé en début de Conte, et pourront ainsi reconstituer
toute l'affaire avec un effort minimum de déduction.
Cet épisode, s'il n'apporte pas d'élément susceptible d'aider les
personnages dans leur combat contre les créatures du Rêve imaginé par
l'Ennemi éternel, leur permet par contre de visualiser la machination
dans son ensemble: un lycanthrope sous forme de chien ou de loup peut
parfaitement identifier les divers membres des suppôts, dont les odeurs
tapissent le boyau rocheux. Dès lors, on parvient à reconstituer
l'ensemble du puzzle extérieur à l'église, et il ne reste « plus » qu'a
affronter les sortilèges de l'église...
L'église
C'est une petite bâtisse très simple, à l'intérieur macabre: les murs
ont été volontairement aspergés de sang, ainsi que les statues et les
diverses représentations religieuses. L’Ennemi a pris un plaisir
morbide à insister sur les effets les plus obscènes, pour s'assurer des
retombées abominables sur les esprits des habitants. Personne n'a
d'ailleurs osé nettoyer ces « témoignages de l'activité diabolique »,
on craint trop de voir se matérialiser la chose si l'on venait à faire
disparaitre son œuvre... Seul le jeune prêtre a eu assez de courage -
et de foi - pour y entrer, et y dire un office de consécration. Il a
commencé par remettre de l'ordre dans les lieux, et a copieusement
aspergé les alentours d'eau bénite. Le malheureux ne peut se douter que
son action ne rime à rien dans ce cas précis... Tous les objets du
Culte ont été remis à leur place, et le jeune homme s'apprête à vivre
une nuit de prières, qu'il espère suffisante à débarrasser le hameau de
sa malédiction. Le « Rêve » de l'Ennemi éternel n'est efficace que la
nuit, il a donc pu agir tranquillement dans la journée, et se persuader
que ses actions étaient bénéfiques. Mais à la nuit, quand il reviendra
sur les lieux, il succombera au cauchemar et à ses visions infernales.
Si l'un des PJ s'y glisse dès la première nuit, sous forme animale
discrète (rat, salamandre...), il peut assister au cauchemar du jeune
prêtre, et le voir s'automutiler. Le spectacle, s'il est éprouvant
moralement, n'en demeure pas moins « instructif » pour la suite des
événements. Attention, toutefois: si le PJ veut venir en aide au prêtre
et s'avance pour lui porter secours, il entrera à son insu dans le
cauchemar de l’Ennemi (voir ci-dessous). Dès Cet instant, il croise la
succube du cauchemar et sombre dans l'inconscience. Ce cas de figure
devrait compliquer considérablement la suite des événements: si les
suppôts découvrent le corps inconscient mais vivant du PJ, comment
faire pour justifier sa présence dans l'église aux yeux des habitants ?
Comment dégager sa responsabilité dans la mort du jeune religieux ? Les
soupçons des villageois risquent fort de se reporter sur l'infortuné
baladin et modifier radicalement la suite du Conte.
Le « Rêve » de l'Ennemi éternel
Il s'agit bien évidemment plus d'un cauchemar, auquel sont conviés les
personnages. Le but de l'Ennemi n'est pas de tuer les Lycanthropes,
mais plutôt de les entraîner aux limites de la folie, pour les laisser
s'échapper, exsangues et épuisés... , et mieux retomber de Charybde en
Scylla, en se réveillant au beau milieu de villageois - voire, dans le
pire des cas, à la merci des suppôts du Malin, excédés de découvrir
qu'on a survécu à leur maître... Le Conteur, en mettant en place ce
cauchemar, devra garder à l'esprit que, pour être plus efficace, le
périple conçu par l'Ennemi doit laisser au final planer le doute;
était-ce vraiment l'Ennemi éternel que les personnages ont rencontré !
Et si ... c'était bien le Diable qui était le maitre d'œuvre de toute
cette abomination ? La torture morale, par son infinie perversité, est
beaucoup plus goutée par leur Ennemi que la plus terrible des blessures
physiques. L'Ennemi espère que le doute injectera son poison insidieux
dans les rangs des baladins, offrant une occasion supplémentaire de
discorde.
Pour parvenir à ce résultat, le Conteur devra soigneusement préparer ce
tableau, essentiel dans le déroulement de ce récit, et qu'il nous est
impossible, comme on va le voir, de rédiger ici.
Le Conteur, s'il veut que ce tableau puisse prendre des allures de
descente aux Enfers, devra puiser dans les peurs intimes de chaque
personnage. Éventuellement, si certains personnages n'ont pas encore eu
l'occasion de vivre un premier Conte, il devra s'inspirer directement
de leur Chronique pour y puiser un événement marquant susceptible de
leur faire revivre des peurs, des difficultés ou encore un traumatisme
significatifs. Une bonne connaissance du vécu de chaque personnage, de
son passé aventureux, s'avère par conséquent indispensable, et le
Conteur devra y consacrer le plus grand soin. Ainsi, chaque personnage
croisera, après que le groupe ait découvert un passage dérobé sous
l'autel et avancé dans un couloir sombre dans les entrailles de la
terre, quelqu'un qu'il aura affronté dans le passé. Le défilé des «
revenants » doit tourner à la revue de spectres haineux, revanchards et
vindicatifs. Une seule règle; chacun doit affronter « son » fantôme
attitré, qui reste insensible aux attaques des autres PJ. Les combats,
même s'ils sont rêvés, sont gérés comme s'il s'agissait de véritables
affrontements, avec les mêmes effets. A cela près qu'un humain, parce
qu'il se mutile sous l'effet de l'hallucination, succombera au final de
ses multiples blessures, tandis qu'un lycanthrope se retrouvera «
éjecté » du Rêve de l'Ennemi et inconscient sur le sol de l'église.
Autre règle de combat particulière: si un « spectre », quel qu'il soit,
ne peut être atteint que par son adversaire de prédilection, il peut
par contre infliger des blessures aux autres membres de la compagnie.
Les éventuels humains qui accompagnent les PJ sont donc
particulièrement vulnérables en cas d'affrontement: le Conteur devra
d'ailleurs tenir compte des réactions de chaque lycanthrope, selon les
relations établies au préalable avec chacun des PNJ présents. Les PJ
assumeront-ils à ce propos leurs formes animales ? Comme on le voit,
les options sont nombreuses.
Un élément est commun à tous les Rêves pourtant: la présence d'une
créature particulièrement diabolique, matérialisée sous la forme d'un
démon femelle. C'est la succube des légendes, « femme » aux ailes
membraneuses de chauve-souris, aux cheveux sombres et luisants, aux
cornes courtes de démon et aux canines de vampire. « La beauté du
Diable » est une expression inventée pour elle. Elle utilisera deux
principaux pouvoirs pour venir à bout des personnages; sa séduction,
qui l'autorise à s'emparer de l'esprit d'un personnage et à l'utiliser
comme bon lui semble, et le drain d'énergie vitale qui lui permet, en
mordant un personnage, de le vider de son score de Vie et, pour un
Lycanthrope, de s'attaquer ensuite à sa Sensibilité.
But what's puzzling you… is the nature of my game
Ce que les personnages-joueurs ont
vécu sous la petite église n'est en fait qu'un rêve, Orchestré par
l'Ennemi éternel. Celui-ci a transformé les lieux, en y concentrant
toutes les peurs, tous les espoirs et tous les rêves des habitants du
hameau, qu'il s'est amusé à persécuter pendant des semaines. L’église
est devenue une Source stagnante particulièrement puissante, qu'il sait
exploiter à sa guise; il a donc les moyens de jouer avec tous les
aventuriers intrépides qui s'y introduisent, lycanthropes comme simples
paysans. Tous les « monstres » qu'on y rencontre sont donc des
créatures rêvées, inexistantes, des créatures « éthérées », mais qui
semblent terriblement vivantes et réelles... Et pour cause; s'avancer
dans l'église, c'est se soumettre, sans en avoir conscience, à la
formidable puissance de Rêve de l'Ennemi éternel. C'est donc sombrer
aussitôt dans un sommeil perturbé, propice à l'entrée dans l'univers
particulièrement pervers de l'Ennemi. On ne peut bien sûr pas y mourir
(c'est le rêve de l'Ennemi, pas une aventure « physiquement » vécue),
mais on peut en ressortir éprouvé, voire particulièrement perturbé.
C'est le cas des habitants du hameau, incapables de comprendre le
phénomène, ou de lui apporter une explication rationnelle. Les
lycanthropes y parviendront-ils ? D'autant que l'Ennemi éternel,
vivante incarnation du Mal, s'applique à accumuler les détails «
plausibles », susceptibles de créer le doute; c'est bien lui qui a
massacré les malheureux prêtres qui ont osé le braver dans l'église
dans le fol espoir de défendre une terre consacrée. De même pour les
paysans qui seront « morts » pendant le rêve : l'Ennemi a fait
disparaître leurs corps, avant d'ajouter encore au doute, et
d'embrouiller les esprits si c'était encore nécessaire. Rien de plus
facile pour lui; n'a-t-i1 pas affaire à des humains inconscients,
incapables de la plus petite réaction ? Se débarrasser du ou des corps
n'est plus qu'une formalité; s'il ne peut pas les transporter, parce
que les lycanthropes ont posté des guetteurs à l'extérieur par exemple,
n'oubliez pas que l'Ennemi possède toutes les formes animales, et que
nombre d'entre elles sont omnivores...
Au réveil, les personnages qui se sentent encore « d'attaque » devront
faire preuve d'un sens de l'à-propos particulièrement aiguisé; comment
faire accepter" aux villageois haineux que certains des leurs ont
disparu, victimes de la « succube », quand ils sont eux-mêmes bien
vivants et tous présents ! Comment leur faire comprendre qu'on s'est
tiré d'affaire sans pactiser avec le démon ! L’explication est toute
simple, mais qui osera l'avancer: pour satisfaire aux exigences du Rêve
de l'Ennemi éternel, les victimes se sont « punies », certaines, les
plus fragiles, allant même jusqu'à l'automutilation. C'est le cas,
hélas pour eux, des habitants du hameau. De même, quand l'esprit va
basculer dans la folie, un lycanthrope, inconsciemment, a le réflexe de
quitter le Rêve: il y « meurt », pour s'éveiller dans sa réalité. Les
humains ne possèdent pas ce pouvoir, pour leur plus grand malheur. Le
processus est identique quand le personnage est soumis à un stress trop
violent, ou à des terreurs insurmontables: quand un Dragon choisit une
fuite salvatrice, un humain sent au contraire la vie lui échapper,
tandis que son cœur cesse de battre...
Que feront donc les paysans présents ? Que décideront les lycanthropes
? Conteur, vous avez donc les éléments en main, il ne vous reste plus
qu'à y imprimer votre griffe. Peut-être même avez-vous votre propre
explication à ce phénomène ?
Peut-être aussi les Dragons conviés à rêver en votre compagnie
sauront-ils en fournir une autre ? Vous avez toute notre confiance;
chaque Dragon n'est-il pas apte à rêver sa propre réalité ?
Une version de la rencontre
« Nous avions marché, épuisés,
presque heureux de notre défaite - et quoi ? au moins, nous étions
vivants ! nous ruminions chacun de notre côte les « erreurs comises »,
le manque de discernement qui nous avaient entraîné sur la pente
inexorable de la défaite. Celle-ci avait un goût particulièrement amer:
QUI était à l'origine d'une telle machination ? QUI ou QUOI ? Bien sûr,
chacun d'entre nous avançait le nom de l'Ennemi, le martelant comme
pour mieux s'en persuader. L’Ennemi, cela ne pouvait être que l'Ennemi
! Lui seul pouvait concevoir une pareille ignominie, employer des
méthodes aussi abominables pour parvenir à ses fins ... Mais n'était-ce
pas pour se rassurer, pour se raccrocher à une explication rationnelle
que, à l'instar de tous ceux qui avaient vécu cette horreur, je me
répétais son nom, en une litanie sans fin ? Je fronçai désespérément
les sourcils, essayant en vain de chasser les phrases haineuses,
psalmodiées par les habitants du hameau: le Diable, cela ne pouvait pas
me autre chose que le Diable !!! Et nous n'étions que ses valets, ses
suppôts dévoués et serviles... Je me concentrais sur de sombres
pensées, mais ne parvenais pas à me débarrasser de ce cauchemar
récurrent : les cris des paysans revenaient, encore et toujours,
déchirant ma réflexion, balayant mes certitudes. Je me sentais prêt à
basculer, à accepter cette explication-là… Nous avions eu affaire au
Malin... La voix s'était élevée, venue de nulle part. Elle ricochait
sur les feuillages, semblant s'extraire de chaque branchage, de chaque
tronc. Elle dansait autour de nous, dégageant des flots de haine
contenus à grand peine. Je me souviens aujourd'hui encore de ses
intonations ignobles, obscènes, de sa gourmande avidité tandis qu'elle
égrenait les mots... Je ne les compris que beaucoup plus tard, quand
ils revinrent à ma mémoire où ils s'étaient insidieusement gravés :
Please allow me to introduce my Self... I’m a man of wealth and taste
I've been around for long, long years
Stolen many a man's soul and faith…
Pleased to meet you
Hope you guess my name
But what’s puzzling you is the nature of my game…
Nous avions bondi dans les fourrés, libérant instinctivement des flots
de haine: nous voulions un coupable, une explication !!! Rien
Nous n'avions rien trouvé alors, que le désarroi et l'angoisse. Ni
troubadour grimaçant, ni créature démoniaque. Rien que le vide et
l'absence… Je me sens si fatigué aujourd’hui, si las de poser cette
question à laquelle personne n'a jamais su répondre: avions-nous
vraiment rencontré le Diable au détour du chemin ?