Sympathy for the devil

Casus Belli HS N°15 - juin 1995


Ce scénario pour MJ expérimenté et joueurs de tout niveau peut prendre place aussi bien au Royaume de l'Errance qu'à celui de la Lune: il ne vous est donc pas fourni de dates précises, afin que chacun puisse l'inclure dans une campagne, ou en faire une péripétie supplémentaire dans un long scénario en cours. Il faut cependant que les personnages comptent parmi eux au moins un baladin ayant déjà eu vent du Royaume des Rêves - ceux qui ont vécu l'aventure proposée dans Hurlelune 7, par exemple; ou l'intrigue du Casus n° 84 - et de ses « distorsions de la réalité ».

L'histoire, en quelques mots

La Caravane est de retour à Brocéliande, où elle va croiser l'Ennemi éternel. Ce dernier va s'appliquer à instiller dans les esprits la peur du Malin. Il a jeté son dévolu sur un petit hameau situé en bordure de la Mare aux fées, et s'est acharné à en terroriser les habitants. Ceux-ci sont persuadés qu'ils sont victimes d'une malédiction, et que « le Diable est là, qui veut s'en prendre à leur âme ». On en est revenu, au fil des semaines, à des comportements antédiluviens, issus de la résurgence des vieilles terreurs collectives : certains habitants du village n'hésitent pas à enlever des voyageurs isolés et à les offrir en sacrifice à « la bête », dans le fol espoir d'apaiser sa colère et de la détourner du hameau.

C'est donc dans une ambiance lourde que les personnages-joueurs vont devoir évoluer, en prenant garde de ne pas se tromper de cible... Mais place au Conte !

Please allow me to introduce myself l'm a man of wealth and taste

En ce bel après-midi de printemps, un soleil radieux baigne la campagne alentour, les champs revivent, la nature semble jouir pleinement de cette chaleur renaissante: tout est synonyme de bien être, de joie de vivre. On est heureux d'avancer sur les chemins, d'aller à la rencontre de ces gens toujours prompts à faire renaitre une vieille légende, à partager un conte ancestral dont on pourra s'inspirer pour enrichir de futurs spectacles. De fait, depuis quelques jours, les villageois rencontrés sont particulièrement avenants, et l'accueil réserve à la Caravane toujours des plus chaleureux.

Pourtant, les choses semblent imperceptiblement changer au fur et à mesure que l'on s'approche de la fabuleuse forêt. L'attitude des paysans rencontrés est plus réservée, ils se montrent plus distants, peut-être plus méfiants aussi. Rien cependant ne permet d'affirmer que quelque chose se trame ici : tout au plus les villageois habitant en lisière de forêt: paraissent-ils moins enclins à la confiance a priori ...

Le Conteur devra faire en sorte de proposer de multiples occasions d'échanges avec les habitants, tout au long du chemin: sans trop insister sur les réels changements de ton, il devra s'appliquer à faire sentir, par petites touches, une certaine tension sur les lieux. RIEN de réellement alarmant, encore une fois: à peine un certain sentiment de malaise diffus, une légère gêne qui s'installe dans les rangs des Lycanthropes et qui vient ternir leurs rapports avec les habitants des lieux. Les choses se préciseront aux abords directs de la forêt.

Un homme d'une trentaine d'années s'échappe soudain des bois, hirsute, hagard, à demi nu. Il halète, le souffle rauque, semble au bord de l'évanouissement. II roule des yeux effarés de droite et de gauche, semblant chercher d'improbables démons lancés à sa poursuite... Il a un débit particulièrement saccadé, la voix éraillée à force d'avoir trop crié: « Ils sont là ! Derrière moi ! ils arrivent ! Fuyez, fuyez avant qu'ils ne vous voient, ou vous périrez comme mes infortunés compagnons de route! Fuyez, fuyez-vous dis-je! » Puis l'homme se dégage des bras qui essayaient en vain de le réconforter, et reprend sa course, en titubant. Il est impossible d'en apprendre plus, si ce n'est éventuellement que « des démons hantent les bois, qui se jettent sur les voyageurs isolés ou égarés et les entrainent jusque dans leur repaire infernal pour les dévorer... » On n'en saura pas plus: déjà, l'homme se perd dans les champs. Si par malheur un personnage tentait de l'arrêter, l'homme succombera à une crise de démence, et se jettera à son cou pour essayer de le mordre à la gorge. Si le combat s'engage, il faudra l'abattre avant qu'il ne tue un Lycanthrope. L'homme a définitivement sombré dans la folie paranoïaque et ne se contrôle qu'épisodiquement : son discours, s'il est frappant, n'en est pas moins fantaisiste.

Il dit avoir été victime de certains des habitants du hameau situé aux abords de la Mare aux fées: c'est un regroupement d'hommes et de femmes aux méthodes radicales, persuadés que « des offrandes humaines peuvent détourner la haine du démon qui a pris possession de l'église ».

Pour ce faire, ils s'affublent d'oripeaux étranges, et attendent en embuscade les voyageurs isolés ou fatigués: ils les assomment, les capturent et les entraînent au fond d'une grotte, non loin du hameau. A la nuit, ils vont offrir leurs présents au Malin, attendant le lever du jour pour s'y glisser et enlever les restes des corps dévorés par le démon. L'homme a donc vécu l'enfer de l'attente du sacrifice, en compagnie d'autres victimes des « suppôts du démon » : chaque soir, on venait prendre l'un d'entre eux, qu'on assommait après l'avoir bâillonné, et chaque matin, on venait jeter ses restes au fond de la caverne. L'homme ne sait plus comment il est parvenu à échapper à ses geôliers, il est incapable de fournir la plus petite piste, le plus maigre indice: il ne veut plus que fuir, droit devant, pour laisser la plus grande distance entre le démon et lui...

Note. Bien entendu, point de démon ici : seul l'Ennemi éternel est présent, qui mutile les corps d'horrible manière pour entretenir la terreur. Il s'est d'ailleurs laissé volontairement « surprendre » à plusieurs reprises: utilisant alors ses pouvoirs de Maitre des Ombres, il est parvenu à suggérer à ses malheureux témoins qu'il évoluait sous la forme d'une succube: créature ailée, humanoïde et diabolique, qui selon les légendes, peut drainer la vie d'un être vivant et se repaitre ensuite de ses chairs...

Si l'on parvient à capturer un des « suppôts de la bête », il pourra ainsi en fournir une description hallucinante.

Pour retrouver leur repaire, aucune difficulté majeure: il suffit à un Lycanthrope sous forme de chien, par exemple, de suivre la trace très fortement marquée jusqu'à la caverne dans les bois. Il n'y a pas, dans le village, aucun animal susceptible de faire cet office: ils ont été les premières victimes des « suppôts »...

Les Lycanthropes ont peut-être encore en mémoire certaines aventures survenues au cœur de ces bois sombres. La forêt, si elle est majestueuse, n'en est pas moins un océan de verdure opaque, tel un mur végétal infranchissable, une barrière arachnéenne susceptible de soustraire au regard des Lycanthropes la plus infernale des menaces...

En l'absence du Veneur, c'est l'Initié qui prend la décision d'envoyer des éclaireurs. Bien évidemment, celle patrouille est constituée des PJ, sans exception: l'Initié les a désignés après un rapide coup d'œil à la ronde. Il les réconforte tant bien que mal, avançant « qu'il s'agit probablement d'un pauvre fou ayant succombé à une trop longue errance solitaire dans cette forêt immense » Il y a fort peu de chances que les PJ se satisfassent d'une telle théorie, mais le devoir les appelle: il faut s'enfoncer dans Brocéliande la sombre.

Le chemin large serpente au milieu des bois. Pourtant, la lumière à le plus grand mal à percer les frondaisons luxuriantes. C'est donc dans une semi-pénombre que progressent les « volontaires » de la Caravane. Ceux-ci sont surpris d'entendre distinctement chanter, loin devant eux. Il s'agit d'une mélodie étrange, lancinante, presque obscène, employant des termes d'une langue inconnue.

Note. Le Conteur peut, s'il le désire, faire écouter les premières mesures du Sympathy for the Devil, des Rolling Stones, dont vous trouverez un extrait en fin de Conte. Bien évidemment, les personnages sont incapables d'en saisir les paroles, et seront probablement profondément choqués par les harmonies employées, à des années-lumière de celles auxquelles ils sont habitués. Même - et surtout ! - s'il s'en trouve parmi eux pour être des fans des Pierres qui Roulent, le Conteur devra s’assurer qu'ils font abstraction des paroles et ne communiquent pas leur contenu ou leur signification aux autres membres du groupe.




Ils verront alors surgir sur le chemin un troubadour souriant. Un luth à la main, qui les saluera bien amicalement. Le nouveau venu est grand et maigre. Son visage émacié se fend d'un large sourire carnassier, qui met en relief son nez busqué d'oiseau de proie. Il est coiffé d'un chapeau pointu rouge sang, d'un pourpoint et de chausses rouges également, et de poulaines très pointues. Il discute aimablement, ponctuant toutes ses phrases d'extraits de chansons qu'il chante dans de nombreuses langues, la plupart incompréhensibles. Il avoue avoir beaucoup voyagé, s'être rendu dans les cours les plus prestigieuses d'Europe, et avoir été attiré par les nombreuses légendes qui circulent à propos de Brocéliande.

Si on lui demande d'où il est originaire, il se contentera d'un laconique : « Je suis d'ici... et d'ailleurs. Je vais, je viens; je vais partout et nulle part. Ne suis-je pas baladin ? » Ponctué d'un de ses larges sourires dont on ne saurait affirmer s'ils sont amicaux ou profondément haineux... l'un de ces chants - il s'agit d'une comptine, en fait - devrait attirer l'attention des baladins, par sa facture volontairement simplette. De plus, il l'assène aux personnages en se moquant visiblement de leurs airs un peu inquiets ou méfiants:


« La sorcière, la taquine,
Est tombée dans la ravine
Que le Diable a su créer
Pour manger la fée
Le Bon Dieu, qui n'a rien su
S'est endormi dessus
Elle t'attend, pauvre bossu !
Lanturlu, lanturlu… »


Cela dit, il salue les lycanthropes, d'un signe de tête assez sec, et prend rapidement congé... en s'enfonçant dans les bois après avoir prestement quitté le chemin. Là, alors que rien ne le laissait prévoir, il a éclaté d'un rire sardonique, rejetant sa tête en arrière dans un signe de défi et a disparu. On peut alors se jeter à sa poursuite, mais plus rien n'y fait; ni odeur identifiable, ni piste. Seule la voix du troubadour, un peu étouffée, répète, goguenarde: « Je suis d'ici... et d'ailleurs. Je vais, je viens: je suis partout et nulle part. Ne suis-je pas baladin ? »

Si l'on poursuit les recherches, on reconnaîtra aisément le parfum du soufre, sur le sol ... Et l'on découvrira une vieille croix celtique dévorée par la mousse, abandonnée depuis des siècles. Aucune éventuelle odeur de « baladin », par contre, n'est identifiable; seuls quelques - rares - animaux passent ici, et aucun d'entre eux n'est une des formes animales de l'Ennemi éternel.

C'est autour de cette croix que l'Ennemi agit: il utilise le potentiel de la Source de Rêve concentré ici pour entraîner les voyageurs à sa suite au cœur du Rêve qu'il a spécialement mis en scène, et qu'il fait varier à sa guise. Ainsi, les « suppôts du démon » sont-ils persuadés d'avoir rencontré le Diable en personne, qui leur a demandé de subvenir aux besoins de la « succube » ayant élu domicile dans l'église - il ne leur a pas précisé qu'elle habitait sous l'église. Les quelques rares voyageurs qui sont passés ici sont également tombés de la même manière sous l'emprise de l'Ennemi, qui les a endormis, les laissant inconscients à l'issue d'un rêve hallucinant: les suppôts n'ont plus qu'à bâillonner les pauvres hères, les ligoter et les entraîner vers la caverne, où ils se réveillent pour attendre une mort odieuse...

Il a donc agi aisément avec les personnages, sans toutefois les endormir ou les faire sombrer dans l'inconscience. Son but n'est pas de les faire enlever par les suppôts du démon, mais bien de les entrainer jusqu'au hameau, où il espère des pertes beaucoup plus lourdes dans les rangs des lycanthropes. Si les habitants du village qui servent ses desseins sont présents non loin de là, ils n'interviendront pas: ce sont des hommes et des femmes extrêmement veules, très fortement perturbés, et qui ne réalisent plus vraiment dans quelle horreur ils ont plongé. Ils n'osent en fait s’attaquer qu'à des personnages inconscients, incapables de la plus petite réaction. A leur décharge, et sans chercher à excuser leurs perversions, on peut comprendre que l'abomination dans laquelle les a noyés l'Ennemi éternel a eu raison de leur santé mentale...

Note. C'est de cette croix - Source stagnante - que l'Ennemi éternel s'est servi pour effectuer son petit tour de passepasse: les personnages, sans s'en apercevoir, sont entrés dans le Rêve concocté par l'Ennemi. Ils y ont rencontré le « Diable », puis en sont ressortis, sans avoir eu conscience du changement de réalité. Reportez-vous à l'aide de jeu fournie en fin de Conte pour plus de détails concernant ces « Rêves orientés » par l'Ennemi éternel.

Rêve ou réalité ? C'est la question que les personnages se posent encore probablement quand ils sont rejoints par le reste de la Caravane. On discute ensemble de l'incident, à moins, bien entendu, que les personnages ne préfèrent garder le silence. Quoi qu'il en soit, on finit par décider d'un commun accord de rallier au plus vite le hameau de la Mare aux fées.

l've been around for long, long years Stolen many a man's soul and faith...

Le Hameau




On y parvient sans heurts; les « suppôts du démon » ne s'attaquent qu'à des isolés, ils ont donc bien vu arriver la Caravane, mais se sont bien gardés de se montrer. Ils ont précédé les lycanthropes au hameau et sont retournés à leurs « occupations officielles ». Le hameau n'est composé que d'une poignée de maisons misérables, adossées au lac. Elles cernent une petite église, fermée et sombre. Quelques vieux peu amènes les regardent arriver, se lèvent, et rentrent chez eux. On a connu accueils plus enthousiastes... la Caravane, il est vrai, fait figure d'armée d'envahisseurs dans ce hameau aux dimensions plus que réduites. C'est le silence qui y règne qui choque de prime abord. On ne saurait dire ce qui gêne dans ce décor somme toute banal de commune en bordure de lac. Et puis, peu à peu, on comprend: il n'y a pas d'enfants dans les rues, et aucun rire ni cri ne vient accompagner gaiement les pas des baladins. De même, il ne traîne aucun des habituels bâtards affectueux qui peuplent les ruelles des villages... le hameau semble paralysé, victime de quelque sombre malédiction.

Il se passe un moment certain, avant que quelques volontaires ne se décident à sortir pour accueillir les nouveaux venus: il y a là Edouard, un solide bûcheron qui ne se sépare jamais de sa phénoménale cognée en bois de chêne, el son fils Régis. Edouard semble n'avoir peur de personne; mais il avoue, dès qu'on lui en laisse l'occasion, qu'il « ne craint que la colère de Dieu et celle du Diable ». C’est un colosse assez exceptionnel, qui avoisine les deux mètres pour quelques cent quarante kilos. Presque essentiellement constitué de muscles harmonieusement disposés sur une ossature d'ogre de légende, Edouard fait figure de « bourgmestre » : sa voix de stentor, ses éclats de rire ou de colère en imposent suffisamment pour lui assurer le dernier mot quasiment chaque fois. Comme disait Michel Audiard: « Quand les types de cent trente kilos pensent une chose, ceux de soixante ont tendance à être d'accord ». Un personnage cherchant hélas à s'imposer en force risque fort de goûter à la cognée du bûcheron... A titre indicatif, même Jehan a tendance à se méfier de son vis-à-vis local. Une technique quasi imparable, mais difficile à mettre en place, consiste à faire croire au chef du hameau que les idées qu'on avance sont bien les siennes: si l'on y parvient, on trouvera en lui un camarade zélé et très attentionné, ainsi qu'un compagnon de combat non négligeable, comme on le verra plus loin.




Régis, son fils, est un adolescent nerveux, voire excité en permanence, qui voit en la Caravane et ses habitants l'occasion unique d'échapper un moment à la grisaille de son quotidien. Pas totalement inconscient. Toutefois, il reste prudemment non loin de son père, afin de s'assurer une défense à la hauteur de ses ambitions. Dans leur dos, la femme de la maison tremble, serrant contre elle ses cinq autres bambins. Elle angoisse de les savoir aller toujours au-devant des inconnus: elle a certes confiance en la force dissuasive de son époux, mais craint par-dessus tous les réactions de son rejeton ainé, qu'elle sait imprévisible et prompt à se plonger involontairement dans des situations qu'il est par la suite incapable de maitriser, De fait, Régis se mêle instinctivement aux baladins, sous le regard un peu inquiet de son père, qui reste beaucoup plus distant, le jeune homme parait très aimable de prime abord, mais se révèle vite fatiguant: il saoule l'assistance à force de plaisanteries et de remarques destinées à s'attirer les faveurs de l'auditoire - et dans l'espoir secret de se faire accepter par les jeunes femmes présentes. Son père, pour sa part, s'enquiert des désirs des visiteurs, et s'efforce de rester le plus neutre possible.

Il est aisé d'obtenir des renseignements de Régis, si on fait appel au charme d'une ou deux jeunes femmes lycanthropes des plus accortes. Tout à son besoin de séduire, il s'empressera de livrer pêle-mêle tous les renseignements dont il dispose; on saura donc très vite qu'une malédiction pèse sur l'église du hameau et qu'un démon écume la région depuis des mois...

Derrière l'application du jeune homme à fournir des explications assorties des détails les plus obscènes, on décèle rapidement un même besoin viscéral, chez tous les habitants du hameau, d'exorciser leur terreur au travers d'une litanie assez hallucinante. On retrouvera en effet le même besoin de se confier chez tous les habitants présents le soir à la « taverne ». Pour passer outre leurs réticences à parler ouvertement de leurs malheurs, il faudra avoir su d’abord lier contact avec Edouard : si le colosse accorde sa confiance à des étrangers, tous seront prêts à venir en aide à ces « aventuriers potentiels ». Peut-être cependant se refuseront-ils à se confier avant la première nuit. Au matin, en découvrant le nouveau mort, les lycanthropes voudront sûrement en savoir plus.




La taverne

Il s'agit en fait d'une des fermes les plus importantes du hameau, qu'on a vaguement aménagée pour l'occasion. Les visites sont rares ici : parfois, quelques voyageurs peu nombreux passent ici, qu'on loge alors chez l'habitant. Devant l'importance de la Caravane, on a réquisitionné une des plus importantes longères (maison bretonne, de plain-pied, construite tout en longueur el dotée de murs de pierre particulièrement épais). Les chariots ont bien sûr été disposés à l'extérieur du village, comme à l'habitude, et les personnages souhaiteront probablement y dormir; cette « taverne » n'a été improvisée que pour permettre au plus grand nombre de s'attabler et de deviser tranquillement, à la lueur du feu de cheminée.

Si les personnages évoquent bille en tête leur curieuse rencontre de la journée, non loin de la croix celte, ils se verront opposer une gêne curieuse, voire une pointe d'agressivité s'ils insistent. Il y a là autant de suppôts du démon que de partisans d'une certaine forme de résistance. Les suppôts sont plus faciles à cerner psychologiquement : ils sont totalement fanatiques de la « cause » du Malin, et refusent de donner le plus petit renseignement susceptible de permettre à quiconque de le chasser de l'église. Les autres habitants ont, pour leur part, un comportement plus pervers: ils ne veulent pas s'opposer aux suppôts - dont ils connaissent pertinemment l'identité - craignant « le courroux du Malin », et ils leur sont même reconnaissants, d'une certaine manière, de bien vouloir choisir leurs victimes parmi les étrangers qui sillonnent la forêt plutôt qu'au sein du village... Pourtant, tiraillés entre la « morale religieuse » qui survit au fond d'eux et la terreur que leur inspirent les événements abominables survenus depuis longtemps au hameau, ils ne peuvent s'empêcher de voir en ces nouveaux venus un début de solution à leurs problèmes. Leur dilemme est odieusement simple: agir dans le sens du démon, c'est se condamner à la damnation éternelle (le dernier prêtre qui a officié ici a été très clair sur ce point… avant de périr sous les griffes de la bête); agir à l'encontre du démon, c'est aussi se voir plonger à brève échéance dans les flammes de l'Enfer... Le Diable n'emmène-t-il pas avec lui les Ames de ceux qui ont croisé son chemin ? La Caravane représente donc à la fois une armée potentielle, capable de se dresser un temps devant le démon à défaut de pouvoir le défaire vraiment, et un véritable « réservoir à sacrifices », qui permettra au pire d'assouvir les besoins du démon.

Le Conteur devra donc tenir compte des tourments psychologiques qui assaillent les habitants du hameau: ces derniers évoluent sur le fil du rasoir et sont perpétuellement en rupture d'équilibre. Choisir une approche peu subtile, les bousculer un peu trop, reviendrait à les conforter dans l'idée que les Lycanthropes ne sont bons qu'à nourrir la « bête ». Les personnages doivent donc sentir la difficulté, et chercher à tout prix à obtenir un maximum de renseignements, pour cerner au plus près le problème avant de tenter quoi que ce soit. On l'a vu cependant, la psychologie des villageois est telle que les négociations risquent fort d'être âpres...

Et si les membres de la Caravane décident que cette malédiction ne les concerne pas ? S'ils préfèrent continuer la route, et fuir au plus vite ces lieux inhospitaliers ?

Au matin du premier jour, lorsqu'on découvrira le corps massacré du prêtre courageux (voir plus loin, à ce propos), la décision sera prise de repartir au plus vite. Les personnages sont laissés là, avec ordre d'élucider cette affaire étrange: l'Initié leur confie naturellement cette lourde tâche, ne sont-ils pas ceux qui ont vécu les premières manifestations étranges ? Bien entendu, il ne leur est demandé que d'assurer l'arrière-garde de la Caravane, soit de tranquilliser les villageois par leur présence: la version officielle proposée aux habitants est donc que la Caravane n'est pas responsable de tels agissements, qu'elle ne souhaite que continuer son chemin et laisse quelques-uns de ses éléments en soutien aux villageois... Peut-être même les personnages agissent-ils de leur propre chef ? Quelles raisons peuvent d'ailleurs les pousser à rester ?

Dès le premier soir, s'ils ont fait preuve de psychologie - c'est-à-dire qu'à aucun moment ils n'ont évoqué l'épisode du troubadour tout de rouge vêtu - Edouard se confie, et leur demande de l'aide. Il leur expliquera à mots couverts la situation dans le village, se refusant catégoriquement à tout dévoiler avant d'être certain qu'il a affaire à de bons chrétiens, et « avant d'avoir pu s'entretenir de son projet avec le jeune prêtre fraichement arrivé ». Son plan est simplissime: il désire affronter la « bête » aux côtés du prêtre, soutenu par quelques valeureux compagnons, qu'il ne peut, et pour cause, réunir dans le hameau. Il s'est d'ailleurs bien gardé d'en aviser aucun des illustres habitants, afin de ne pas s'attirer les foudres des suppôts du Malin. Edouard a vu dans les personnages l'occasion inespérée de se débarrasser de la malédiction du hameau. Il sent confusément que le prêtre seul ne parviendra pas à vaincre le démon et espère qu'un soutien musclé peut peut-être faire pencher la balance en sa faveur. Edouard est courageux et décidé. Il ne se confiera que s'il juge les personnages dignes de confiance : fanfarons, intrigants et autres, s'abstenir...




Le nouveau prêtre, qui va hélas mourir dans la nuit, avait su gagner leur amitié avant de disparaitre sous les coups du démon. C'est un jeune religieux, ordonné depuis peu, qu'on a dépêché ici avant l’arrivée d'un véritable exorciste. Il est là pour assurer un intérim qu'il pense de courte durée, et « pour apporter le réconfort nécessaire à ceux qui en ont tant besoin »; dès la disparition de l'ancien prêtre, en effet, on a avisé le clergé local, qui a fait preuve, une fois de plus, de son extrême lenteur à agir et à prendre une décision. Le jeune homme est passionné, franc et plein d'humour: il est tout le contraire des habituels exaltés qui constituent le corps religieux de l'époque. Doté d'un physique particulièrement avantageux, ce qui ne gâte rien, il est sans doute celui pour lequel les personnages devraient éprouver la plus immédiate sympathie. Il leur déclarera être allé au hameau une journée plus tôt, et n'avoir rien constaté d'autre que des traces de profanations dans « son » église. Il s'est d'abord livré à un rituel de consécration, et a laissé passer une journée. Cette nuit, il a décidé de s'enfermer dans l'église, seul, pour se perdre en prières et attirer sur le lieu l'attention de son Seigneur de Miséricorde. Il est persuadé que Dieu ne restera pas insensible au malheur du hameau et reste confiant. On ne sait si c'est son insouciance, sa confiance ou son courage qui force le plus le respect, mais il est impossible de l'accompagner (en tout cas, pas sous forme humaine). Son ton, s'il est calme et serein, n'admet cependant aucune contradiction.

Régis est amoureux d'une des Lycanthropes de la troupe, que son air perpétuellement béat a attendrie. Il a disparu à la nuit aux alentours de l'église... En fait, il a cherché à s'introduire dans les lieux, pour faire la preuve de son courage et séduire la belle. Il a hélas, croisé le chemin des suppôts du démon, qui, excédés par son comportement, l'ont neutralisé et enlevé. Suivre leurs traces n'est pas bien compliqué pour les lycanthropes, qui arrivent facilement à la Caverne. Ce qu'ils y découvriront devrait suffire à les décider à arrêter pareilles horreurs (voir plus loin).

Dernière extrémité: un des plus jeunes lycanthropes a été enlevé. Il peut S'agir d'un enfant, assommé puis bâillonné, ou d'un adolescent entraîné à l'écart par des suppôts parmi les plus jeunes, qui l'ont conduit non loin de la croix celte... On parvient ainsi aux mêmes conclusions que dans le cas de figure précédent, avec peut-être une volonté encore plus grande de régler leur compte a de tels malfaisants; les personnages devraient ressentir assez violemment l'affront, puisqu'en enlevant un des leurs, les suppôts du démon ont « versé le premier sang »...

Quoi qu'il en soit; le Veneur est absent de cette aventure, le Conte verra donc sa conclusion sans l'intervention de l'Homme en Noir, et l'initié, soucieux de l'intérêt du plus grand nombre, choisira d'écarter la Caravane au plus tôt. Les personnages devront agir seuls, dès la seconde journée ou à l'issue de la seconde nuit. Voici également la description de deux personnages susceptibles de convaincre les lycanthropes d'agir pour la sauvegarde du hameau. Bien entendu, le Conteur, s'il le juge nécessaire, peut à sa guise en concevoir d'autres.

Morgann est une jeune femme blonde, au regard bleu azur. Elle semble très douce, voire timide. Elle doit avoir une vingtaine d'années à peine, et serre contre elle deux jeunes enfants. Elle a perdu son époux quelques semaines auparavant, victime de la « bête »: le malheureux avait décidé d'aller de nuit dans l'église pour y soutenir le prêtre qui s'y trouvait. Leurs deux corps furent trouvés au malin, mutilés d'horrible manière... Morgann n'en éprouve que plus de courage pour combattre le démon. Elle sait ne pas pouvoir traverser seule la forêt - les suppôts du Malin, s'apercevant de sa fuite, auraient tôt fait de la rattraper, tant la progression est lente avec deux enfants en bas âge -, et elle se refuse à faire courir le moindre risque à sa famille. S'il se trouve une femme parmi les personnages, Morgann s'adressera instinctivement à elle. Dans le cas contraire, elle ira probablement se confier à une des femmes de la Caravane, qui viendra ensuite en aviser les PJ. Le marché proposé par Morgann est simple: elle accepte de tout dire - tout ce qu'elle sait, soit peu de choses en fait, si ce n'est l'identité de quelques suppôts, le principe des enlèvements et la complicité tacite des villageois, ainsi qu'un résumé des différentes attaques du démon - si les baladins acceptent d'emmener avec eux ses enfants pour les soustraire à la folie ambiante. Elle veut également rester sur les lieux, préférant se sacrifier pour apaiser la colère de la bête et de ses sbires p1utôt que d'encourir le risque de se voir poursuivre par eux. La détresse de la jeune femme fait peine à voir, et aucun personnage ne devrait rester de marbre devant ses arguments, d'autant plus que le courage et la détermination qui brillent dans ses yeux ont le don de convaincre l'interlocuteur le plus blasé. Si pourtant rien n'y fait, le Conteur choisira parmi les PJ celui qui possède la sensibilité la plus élevée: il lui appartiendra d'assumer le rôle de paladin protecteur de cette ravissante veuve et de ses orphelins... mais gageons que les lycanthropes sauront relever le défi sans que le besoin s'en fasse sentir !




Yannick est un jeune homme aux longs cheveux noir et aux grands yeux bleu vert. Il semble vivre intensément toute chose et plonger son regard à travers les êtres. On dirait qu'il lit les intentions et les âmes... Il se découvre une soudaine passion pour les baladins surgis de nulle part, et décide de les découvrir, de les mieux connaître: il est sympathique, très agréable, quoiqu'un peu étrange. Son regard à la fois incisif et perpétuellement flou fascine, son sourire aussi. On sent, on sait qu'on peut être amis. On se trompe sur un point, pourtant: Yannick est très profondément perturbé par tous les récents événements. Il parait très fort, très sûr, mais en fait il est brisé de l'inférieur. Les lycanthropes sont pour lui une ultime planche de salut: il sent la nécessité de se raccrocher à ceux qui représentent son dernier lien avec le monde hors du hameau, avec une autre réalité où ne vit aucun démon, aucun élément du cauchemar qu'il vit éveillé depuis des semaines. Yannick saura créer des liens d'amitié très fort avec les personnages. Il se montrera très efficace dans un premier temps, sa parfaite connaissance du terrain et des événements marquants pourront en faire un auxiliaire performant. Hélas, à la première véritable confrontation avec le démon, le jeune homme laissera libre cours à la folie qui le ronge, et qu'il combat sans le savoir depuis si longtemps. Dans ce cas, au cours du Rêve auquel seront soumis tous ceux qui pénétreront dans l’église la nuit, Yannick se montrera dangereux pour lui-même, en se livrant aux mêmes automutilations que les humains qui l'ont précédé, mais il pourra se livrer à des attaques forcenées contre tous ses compagnons. Il sera alors ressenti - à travers le Rêve commun aux personnages présents - comme un allié du démon, possédé par celui-ci et entièrement dévoué à sa cause et à sa défense.


Pleased to meet you Hope you guess my name

C'est à présent aux personnages de prendre les choses en main: le décor est planté, les acteurs sont prêts à tenir leur rôle, il ne leur reste plus qu'à accepter les principes de l'aventure, et à s'y avancer a pas comptés... Voici les divers lieux où ils seront amenés à évoluer par la force des choses.

La caverne

C'est un boyau rocheux sombre et humide, aux parois recouvertes de mousses et lichens divers. Il serpente sur une dizaine de mètres avant de s'ouvrir sur une salle plus large, au plafond bas (un homme de petite taille s'y tient péniblement debout. C'est le noir absolu, une ombre opaque, presque gluante et effroyablement malsaine, de sorte que les prisonniers qui sont ici souffrent du moindre éclairage (torches, etc.). Il y règne également une effroyable odeur de putréfaction. On y découvrira de pauvres hères, totalement hébétés et assommés par l'horreur qu'ils vivent depuis quelques jours. Ils sont incapables de donner le moindre renseignement réellement utilisable: généralement, ils ne parviennent à se souvenir que de leur rencontre avec un « troubadour vêtu de rouge sang, au rire odieux ». Ils n'ont jamais vu les suppôts du démon, qui se contentent d'entrer, dans le noir, et de saisir à tâtons une victime (ils voient d'ailleurs dans ce choix aveugle une forme de justice immanente) qu'ils estourbissent et trainent à l'extérieur. Leurs pas et leurs respirations, ainsi que les bruits des restes morbides jetés sur le sol, ont cependant un effet formidable sur les prisonniers, qui ont fini par développer une espèce de psychose collective, allant jusqu'à imaginer des créatures abominables, directement issues de l'Enfer. Les personnages qui y auront prêté attention se souviendront peut-être des déclarations du malheureux fou croisé en début de Conte, et pourront ainsi reconstituer toute l'affaire avec un effort minimum de déduction.

Cet épisode, s'il n'apporte pas d'élément susceptible d'aider les personnages dans leur combat contre les créatures du Rêve imaginé par l'Ennemi éternel, leur permet par contre de visualiser la machination dans son ensemble: un lycanthrope sous forme de chien ou de loup peut parfaitement identifier les divers membres des suppôts, dont les odeurs tapissent le boyau rocheux. Dès lors, on parvient à reconstituer l'ensemble du puzzle extérieur à l'église, et il ne reste « plus » qu'a affronter les sortilèges de l'église...

L'église

C'est une petite bâtisse très simple, à l'intérieur macabre: les murs ont été volontairement aspergés de sang, ainsi que les statues et les diverses représentations religieuses. L’Ennemi a pris un plaisir morbide à insister sur les effets les plus obscènes, pour s'assurer des retombées abominables sur les esprits des habitants. Personne n'a d'ailleurs osé nettoyer ces « témoignages de l'activité diabolique », on craint trop de voir se matérialiser la chose si l'on venait à faire disparaitre son œuvre... Seul le jeune prêtre a eu assez de courage - et de foi - pour y entrer, et y dire un office de consécration. Il a commencé par remettre de l'ordre dans les lieux, et a copieusement aspergé les alentours d'eau bénite. Le malheureux ne peut se douter que son action ne rime à rien dans ce cas précis... Tous les objets du Culte ont été remis à leur place, et le jeune homme s'apprête à vivre une nuit de prières, qu'il espère suffisante à débarrasser le hameau de sa malédiction. Le « Rêve » de l'Ennemi éternel n'est efficace que la nuit, il a donc pu agir tranquillement dans la journée, et se persuader que ses actions étaient bénéfiques. Mais à la nuit, quand il reviendra sur les lieux, il succombera au cauchemar et à ses visions infernales.

Si l'un des PJ s'y glisse dès la première nuit, sous forme animale discrète (rat, salamandre...), il peut assister au cauchemar du jeune prêtre, et le voir s'automutiler. Le spectacle, s'il est éprouvant moralement, n'en demeure pas moins « instructif » pour la suite des événements. Attention, toutefois: si le PJ veut venir en aide au prêtre et s'avance pour lui porter secours, il entrera à son insu dans le cauchemar de l’Ennemi (voir ci-dessous). Dès Cet instant, il croise la succube du cauchemar et sombre dans l'inconscience. Ce cas de figure devrait compliquer considérablement la suite des événements: si les suppôts découvrent le corps inconscient mais vivant du PJ, comment faire pour justifier sa présence dans l'église aux yeux des habitants ? Comment dégager sa responsabilité dans la mort du jeune religieux ? Les soupçons des villageois risquent fort de se reporter sur l'infortuné baladin et modifier radicalement la suite du Conte.

Le « Rêve » de l'Ennemi éternel

Il s'agit bien évidemment plus d'un cauchemar, auquel sont conviés les personnages. Le but de l'Ennemi n'est pas de tuer les Lycanthropes, mais plutôt de les entraîner aux limites de la folie, pour les laisser s'échapper, exsangues et épuisés... , et mieux retomber de Charybde en Scylla, en se réveillant au beau milieu de villageois - voire, dans le pire des cas, à la merci des suppôts du Malin, excédés de découvrir qu'on a survécu à leur maître... Le Conteur, en mettant en place ce cauchemar, devra garder à l'esprit que, pour être plus efficace, le périple conçu par l'Ennemi doit laisser au final planer le doute; était-ce vraiment l'Ennemi éternel que les personnages ont rencontré ! Et si ... c'était bien le Diable qui était le maitre d'œuvre de toute cette abomination ? La torture morale, par son infinie perversité, est beaucoup plus goutée par leur Ennemi que la plus terrible des blessures physiques. L'Ennemi espère que le doute injectera son poison insidieux dans les rangs des baladins, offrant une occasion supplémentaire de discorde.

Pour parvenir à ce résultat, le Conteur devra soigneusement préparer ce tableau, essentiel dans le déroulement de ce récit, et qu'il nous est impossible, comme on va le voir, de rédiger ici.

Le Conteur, s'il veut que ce tableau puisse prendre des allures de descente aux Enfers, devra puiser dans les peurs intimes de chaque personnage. Éventuellement, si certains personnages n'ont pas encore eu l'occasion de vivre un premier Conte, il devra s'inspirer directement de leur Chronique pour y puiser un événement marquant susceptible de leur faire revivre des peurs, des difficultés ou encore un traumatisme significatifs. Une bonne connaissance du vécu de chaque personnage, de son passé aventureux, s'avère par conséquent indispensable, et le Conteur devra y consacrer le plus grand soin. Ainsi, chaque personnage croisera, après que le groupe ait découvert un passage dérobé sous l'autel et avancé dans un couloir sombre dans les entrailles de la terre, quelqu'un qu'il aura affronté dans le passé. Le défilé des « revenants » doit tourner à la revue de spectres haineux, revanchards et vindicatifs. Une seule règle; chacun doit affronter « son » fantôme attitré, qui reste insensible aux attaques des autres PJ. Les combats, même s'ils sont rêvés, sont gérés comme s'il s'agissait de véritables affrontements, avec les mêmes effets. A cela près qu'un humain, parce qu'il se mutile sous l'effet de l'hallucination, succombera au final de ses multiples blessures, tandis qu'un lycanthrope se retrouvera « éjecté » du Rêve de l'Ennemi et inconscient sur le sol de l'église. Autre règle de combat particulière: si un « spectre », quel qu'il soit, ne peut être atteint que par son adversaire de prédilection, il peut par contre infliger des blessures aux autres membres de la compagnie. Les éventuels humains qui accompagnent les PJ sont donc particulièrement vulnérables en cas d'affrontement: le Conteur devra d'ailleurs tenir compte des réactions de chaque lycanthrope, selon les relations établies au préalable avec chacun des PNJ présents. Les PJ assumeront-ils à ce propos leurs formes animales ? Comme on le voit, les options sont nombreuses.

Un élément est commun à tous les Rêves pourtant: la présence d'une créature particulièrement diabolique, matérialisée sous la forme d'un démon femelle. C'est la succube des légendes, « femme » aux ailes membraneuses de chauve-souris, aux cheveux sombres et luisants, aux cornes courtes de démon et aux canines de vampire. « La beauté du Diable » est une expression inventée pour elle. Elle utilisera deux principaux pouvoirs pour venir à bout des personnages; sa séduction, qui l'autorise à s'emparer de l'esprit d'un personnage et à l'utiliser comme bon lui semble, et le drain d'énergie vitale qui lui permet, en mordant un personnage, de le vider de son score de Vie et, pour un Lycanthrope, de s'attaquer ensuite à sa Sensibilité.

But what's puzzling you… is the nature of my game

Ce que les personnages-joueurs ont vécu sous la petite église n'est en fait qu'un rêve, Orchestré par l'Ennemi éternel. Celui-ci a transformé les lieux, en y concentrant toutes les peurs, tous les espoirs et tous les rêves des habitants du hameau, qu'il s'est amusé à persécuter pendant des semaines. L’église est devenue une Source stagnante particulièrement puissante, qu'il sait exploiter à sa guise; il a donc les moyens de jouer avec tous les aventuriers intrépides qui s'y introduisent, lycanthropes comme simples paysans. Tous les « monstres » qu'on y rencontre sont donc des créatures rêvées, inexistantes, des créatures « éthérées », mais qui semblent terriblement vivantes et réelles... Et pour cause; s'avancer dans l'église, c'est se soumettre, sans en avoir conscience, à la formidable puissance de Rêve de l'Ennemi éternel. C'est donc sombrer aussitôt dans un sommeil perturbé, propice à l'entrée dans l'univers particulièrement pervers de l'Ennemi. On ne peut bien sûr pas y mourir (c'est le rêve de l'Ennemi, pas une aventure « physiquement » vécue), mais on peut en ressortir éprouvé, voire particulièrement perturbé. C'est le cas des habitants du hameau, incapables de comprendre le phénomène, ou de lui apporter une explication rationnelle. Les lycanthropes y parviendront-ils ? D'autant que l'Ennemi éternel, vivante incarnation du Mal, s'applique à accumuler les détails « plausibles », susceptibles de créer le doute; c'est bien lui qui a massacré les malheureux prêtres qui ont osé le braver dans l'église dans le fol espoir de défendre une terre consacrée. De même pour les paysans qui seront « morts » pendant le rêve : l'Ennemi a fait disparaître leurs corps, avant d'ajouter encore au doute, et d'embrouiller les esprits si c'était encore nécessaire. Rien de plus facile pour lui; n'a-t-i1 pas affaire à des humains inconscients, incapables de la plus petite réaction ? Se débarrasser du ou des corps n'est plus qu'une formalité; s'il ne peut pas les transporter, parce que les lycanthropes ont posté des guetteurs à l'extérieur par exemple, n'oubliez pas que l'Ennemi possède toutes les formes animales, et que nombre d'entre elles sont omnivores...

Au réveil, les personnages qui se sentent encore « d'attaque » devront faire preuve d'un sens de l'à-propos particulièrement aiguisé; comment faire accepter" aux villageois haineux que certains des leurs ont disparu, victimes de la « succube », quand ils sont eux-mêmes bien vivants et tous présents ! Comment leur faire comprendre qu'on s'est tiré d'affaire sans pactiser avec le démon ! L’explication est toute simple, mais qui osera l'avancer: pour satisfaire aux exigences du Rêve de l'Ennemi éternel, les victimes se sont « punies », certaines, les plus fragiles, allant même jusqu'à l'automutilation. C'est le cas, hélas pour eux, des habitants du hameau. De même, quand l'esprit va basculer dans la folie, un lycanthrope, inconsciemment, a le réflexe de quitter le Rêve: il y « meurt », pour s'éveiller dans sa réalité. Les humains ne possèdent pas ce pouvoir, pour leur plus grand malheur. Le processus est identique quand le personnage est soumis à un stress trop violent, ou à des terreurs insurmontables: quand un Dragon choisit une fuite salvatrice, un humain sent au contraire la vie lui échapper, tandis que son cœur cesse de battre...

Que feront donc les paysans présents ? Que décideront les lycanthropes ? Conteur, vous avez donc les éléments en main, il ne vous reste plus qu'à y imprimer votre griffe. Peut-être même avez-vous votre propre explication à ce phénomène ?

Peut-être aussi les Dragons conviés à rêver en votre compagnie sauront-ils en fournir une autre ? Vous avez toute notre confiance; chaque Dragon n'est-il pas apte à rêver sa propre réalité ?

Une version de la rencontre

« Nous avions marché, épuisés, presque heureux de notre défaite - et quoi ? au moins, nous étions vivants ! nous ruminions chacun de notre côte les « erreurs comises », le manque de discernement qui nous avaient entraîné sur la pente inexorable de la défaite. Celle-ci avait un goût particulièrement amer: QUI était à l'origine d'une telle machination ? QUI ou QUOI ? Bien sûr, chacun d'entre nous avançait le nom de l'Ennemi, le martelant comme pour mieux s'en persuader. L’Ennemi, cela ne pouvait être que l'Ennemi ! Lui seul pouvait concevoir une pareille ignominie, employer des méthodes aussi abominables pour parvenir à ses fins ... Mais n'était-ce pas pour se rassurer, pour se raccrocher à une explication rationnelle que, à l'instar de tous ceux qui avaient vécu cette horreur, je me répétais son nom, en une litanie sans fin ? Je fronçai désespérément les sourcils, essayant en vain de chasser les phrases haineuses, psalmodiées par les habitants du hameau: le Diable, cela ne pouvait pas me autre chose que le Diable !!! Et nous n'étions que ses valets, ses suppôts dévoués et serviles... Je me concentrais sur de sombres pensées, mais ne parvenais pas à me débarrasser de ce cauchemar récurrent : les cris des paysans revenaient, encore et toujours, déchirant ma réflexion, balayant mes certitudes. Je me sentais prêt à basculer, à accepter cette explication-là… Nous avions eu affaire au Malin... La voix s'était élevée, venue de nulle part. Elle ricochait sur les feuillages, semblant s'extraire de chaque branchage, de chaque tronc. Elle dansait autour de nous, dégageant des flots de haine contenus à grand peine. Je me souviens aujourd'hui encore de ses intonations ignobles, obscènes, de sa gourmande avidité tandis qu'elle égrenait les mots... Je ne les compris que beaucoup plus tard, quand ils revinrent à ma mémoire où ils s'étaient insidieusement gravés :

Please allow me to introduce my Self... I’m a man of wealth and taste

I've been around for long, long years

Stolen many a man's soul and faith…

Pleased to meet you

Hope you guess my name

But what’s puzzling you is the nature of my game…

Nous avions bondi dans les fourrés, libérant instinctivement des flots de haine: nous voulions un coupable, une explication !!! Rien Nous n'avions rien trouvé alors, que le désarroi et l'angoisse. Ni troubadour grimaçant, ni créature démoniaque. Rien que le vide et l'absence… Je me sens si fatigué aujourd’hui, si las de poser cette question à laquelle personne n'a jamais su répondre: avions-nous vraiment rencontré le Diable au détour du chemin ?

Thibault, Chevalier des Rêves Paris, 1868

Texte: Jean-Luc Bizien & Stéphane Marzan - Illustration: Didier Graffet - Plan: Cyrille Daujean

Aide de Jeu : Gérer les Rêves pièges de l'Ennemi éternel