Casus Belli N°31


...Les hommes d’arme s’affairaient à leur lueur des torches. Pantin tragique que la mort avait surpris dans une pose grotesque, Gwildan gisait sur les dalles humides de la rue. Son destin pathétique n’avait eu aucun témoin. Le sergent examina la flèche plantée dans la poitrine du mort: «Un projectile ordinaire. Du même genre que celui d’hier. N’importe qui a pu faire le coup. N’importe qui... » Deux cadavres en deux jours, l’affaire s’annonçait mal. Les victimes avaient un seul point commun elles travaillaient chez Clemric, le teinturier. Ce soir, Gwildan avait eu le malheur de trop parler...

Ce scénario est destiné à être joué par deux personnages et un maître de jeu. Il peut très facilement être adapté à n’importe quel jeu de rôle d’épopée fantastique (voir en fin de module).

Flash-back

Istria est l’une des plus belles villes du royaume. Les aventuriers peuvent le constater, alors qu’ils s’approchent des remparts légendaires d’un blanc aveuglant, à cent lieues à la ronde. Arrivés à l’une des nombreuses poternes de l’enceinte, ils doivent souscrire aux formalités d’usage. Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Le chef des gardes parait très intéressé quand ils s’annoncent étrangers à la cité. Un court instant, il semble réfléchir, puis se tournant vers les voyageurs leur intime ordre de jeter leurs armes ils sont en état d’arrestation l Escortés par six gardes armés jusqu’aux dents, les aventuriers sont conduits à travers les rues de la ville jusqu’au palais du gouverneur. Après une courte attente dans un couloir sinistre, on les introduit dans une grande salle d’audience décorée de tentures d’apparat. Sur un grand trône de chêne sculpté, est assis un homme au visage sévère qui les examine avec attention. Il se présente: son nom est Tillas, il est gouverneur d’Istria. D’une voix profonde et grave, il entreprend d’expliquer aux captifs les motifs de leur arrestation :

« - Messires, veuillez pardonner cette « invitation » pour le moins cavalière. J’ai besoin de votre aide. Voici mon problème: vous ne l’ignorez sans doute pas, depuis quelques temps la guerre menace. Or, mes espions m’ont appris que Clemric, notre très influent teinturier, semblait dans les meilleurs termes avec nos ennemis du nord. Je crains un complot. Dernièrement, j’ai multiplié les perquisitions au domicile et à l’atelier de Clemric, usant et abusant des motifs les plus futiles. Mais, mes hommes n’ont rien trouvé. Je reste néanmoins persuadé de sa traîtrise. Ne pouvant me permettre de me compromettre plus encore - Clemric a le bras long - c’est à vous, deux inconnus, que le m’adresse. Découvrez ce que trame Clemric ! Si, en plus, vous pouviez régler par vos propres moyens cette affaire, ça ne serait pas plus mal. Si vous faites du bon travail, vous serez bien récompensés. Evidemment, si vous veniez à être capturés, je nierais vous avoir jamais rencontrés. N’essayez pas de fuir, mes hommes vous retrouveraient sans difficulté, et alors... ce serait tant pis pour vous ».

Les personnages n’ont pas possibilité de refuser la mission qui leur est confiée (sinon, c’est le cachot). Tillas les congédie en leur donnant l’ordre de lui faire un rapport chaque jour.

L’enquête

Pour pouvoir mener à bien leur mission, les aventuriers vont devoir se renseigner. Pour cela, il vous incombe à vous, maître de jeu, de créer quelques « istriens » représentatifs (ex. gamins des rues, ménagères, marchands, etc...) que les joueurs pourront interroger au cours de leurs investigations. Voici quelques informations qu’ils peuvent apprendre : Les aventuriers ne peuvent désormais plus rien apprendre en questionnant les gens des rues, il leur faut essayer de s’introduire dans la teinturerie.

Le complot

Clemric est bien un traître. Sous la teinturerie, caché dans les anciennes carrières du peuple nain, 6 espions du nord et un alchimiste ont installé un laboratoire dans lequel ils fabriquent en grande quantité un poison mortel. Chaque nuit, vers une heure du matin, ils empruntent un passage secret donnant dans le puits de la teinturerie (au sous-sol) et vont enduire de ce produit toxique les étoffes destinées aux armées royales. Ce poison a une action très lente (deux à trois jours sont nécessaires) et ne produit ses effets qu’au contact d’une peau humide de transpiration. Lissac, l’ouvrier chargé de la manutention des étoffes empoisonnées avait toujours les mains moites. Ce qui explique les violents maux de tête dont il s’est plaint auprès de Ruldag, le contremaître. Celui-ci, ne pouvant courir le risque de voir son ouvrier consulter un guérisseur (qui aurait pu découvrir le pot aux roses), a préféré le faire abattre par l’un des espions du nord. Le même Ruldag, ayant aperçu Gwildan en grande conversation avec les aventuriers, n’a pas hésité à donner l’ordre de l’assassiner...

Clemric et ses hommes

Clemric

Dire que Clemric est gros est un délicat euphémisme. Il est éléphantesque ! Sa graisse s’étale autour de lui comme une crème gélatineuse dégoulinant d’un rôti de porc. Pour couronner le tout, ce « monstre » s’exprime avec une horrible voix de fausset qui irrite les oreilles de ses interlocuteurs. Incarnation même du mensonge et de la bassesse, Clemric déteste son métier ; il n’aime que l’or ! Son « odorat délicat » ne pouvant plus supporter les « infâmes » odeurs des teintures, il a fait murer toutes les fenêtres de son palais (qui se trouve en face de la teinturerie) qui donnaient sur la rue. Ainsi, il est à l’abri des curieux et peut se consacrer sereinement aux plaisirs que lui procurent ses nombreuses jeunes « nièces ». Six esclaves (eunuques) et deux gardes du corps veillent en quasi-permanence sur sa sécurité.

Rastar et Linog

Gardes du corps de Clemric, ces hommes à la mine patibulaire ne semblent apprécier que la violence. Grassement payés par leur maître, ils sont armés 24 heures sur 24. La nuit, ils font des rondes toutes les trois heures dans la teinturerie. Gare aux intrus qui tomberaient entre leurs mains ! Ces brutes savent se battre et n’ignorent rien des méthodes de torture les plus sophistiquées.

Les goûts et les couleurs au Moyen-Age

Contrairement à l’adage populaire, au Moyen-Age, « l’habit FAIT le moine ». Riches seigneurs et commerçants aisés se font un point d’honneur d’être toujours bien habillés d’étoffes luxueuses aux couleurs vives. Car l’homme médiéval attache une grande importance aux couleurs des vêtements.

Généralement, il fonde son jugement sur leur degré de luminosité. Ainsi, le rouge, le blanc, le vert et le jaune sont les plus prisées. Si, en plus, elles sont bien brillantes, cela n’en est que mieux ! Le gris est une couleur « sale et bigarrée ». Le noir est « inquiétant ». Alors que le brun est « sombre et terne », tout comme le bleu est d’une « pâle fadeur ». C’est d’ailleurs sans doute pour cela, que ces couleurs étaient réservées aux vêtements de travail. Au fait, au vingtième siècle, les ouvriers ne porteront ils pas des « bleus » ?...

Ruldag

Le contremaître de la teinturerie est un vieil unijambiste (il a une jambe de bois) au nez en bec d’aigle et au regard torve. Sa personne toute entière respire la méchanceté. La nuit, il dort dans l’entrepôt de la teinturerie (au premier étage), conservant à ses côtés son arme favorite, un grand bâton pointu qu’il manie comme une lance.

La teinturerie

C’est une grande bâtisse grise, dont la façade est ornée d’une enseigne représentant un rou-leau de tissu doré. Située dans la rue principale du quartier des artisans (la rue du Beau Bliaud), elle semble coincée entre deux échoppes de couturiers. S’il est hors de question de penser pouvoir pénétrer dans la teinturerie en plein jour — Ruldag exerce une surveillance à toute épreuve — la nuit, c’est autre chose... Il y a trois moyens pour s’introduire dans la manufacture :

Le rez-de-chaussée

Toute la teinturerie est imprégnée de l’odeur âcre des colorants et des mordants employés à longueur de journée. Partout, il y a des étoffes, des outils, etc... Dans le hangar, on trouve des ballots de tissus à teindre et d’étoffes noires et rouges. Les étiquettes accrochées à ces dernières indiquent qu’elles sont destinées aux « Armées Royales du Nord ».

Le premier étage

Cet étage est essentiellement consacre au séchage des tissus ; la majorité de sa superficie est occupée par de grands pans d’étoffes humides tendus sur des fils. Dans l’entrepôt, Ruldag sommeille, son bâton favori à portée de main.

Le sous-sol

Ici, l’atmosphère est plus humide que partout ailleurs. De grandes cuves de cuivre, posées sur des âtres éteints, occupent pratiquement toutes les salles. Si les aventuriers observent quelques instants de silence absolu, ils peuvent entendre (faire un jet de dé) des voix indistinctes provenant du puits. En examinant attentivement ce dernier, ils ne peuvent pas manquer de re-marquer des échelons de métal fixés à la paroi intérieure et permettant d’accéder aux souterrains.

Les secrets de la teinturerie

Un maître teinturier ne vaut que par les techniques qui lui sont propres et qu’il est seul à connaître. Ces techniques sont des secrets à préserver à tout prix. C’est pourquoi, seuls certains employés les connaissent. Ils font serment de n’en jamais parler, tout comme les autres ouvriers qui savent risquer gros s’ils divulguent le moindre renseignement professionnel. Il est donc très mal vu de parler avec des étrangers ! Néanmoins, voici quelques indications sur les procédés employés chez Clemric :

Dès leur arrivée, les étoffes à teindre sont lavées, pour les débarrasser des saletés qu’elles auraient pu accumuler pendant leur transport. Après séchage, elles sont cardées et rasées, avant d’être battues afin de resserrer leur trame.

Ensuite, elles sont placées dans de grandes cuves en cuivre, chauffées au bois ou à la tourbe, où elles sont imprégnées de « mordants » (alun, chaux éteinte ou cendre de conifère), dont la fonction est de « dégraisser » le tissus et de le rendre apte à fixer les colorants.

Les différentes teintures sont préparées an secret par le contremaître à partir de composants végétaux (gouda jaune, garance, etc...) ou animaux (cochenille).

Les étoffes sont alors placées avec les colorants dans de grandes cuves, chauffées elles-aussi. On les sèche ensuite pendant deux jours avant de les relaver à grande eau (pour éliminer tous les dépôts et résidus), de les ressécher, de les presser et de les plier. Ce n’est qu’à la fin de ce processus qu’elles sont prêtes à l’usage.

La teinturerie : une industrie florissante

Clemric, le teinturier dont il est question dans le présent scénario, est aussi une « drapier », c’est-à-dire un marchand de tissus. En tant que tel, il est le pivot central de l’industrie textile de sa société. Ce qui lui a permis de réaliser des profits importants. En tant que drapier (ou « entrepreneur »), il commande aux tisserands les étoffes qu’il désire et il les paye à bas prix, car les tisserands sont légions et ont besoin de ses commandes. En tant que teinturier, il les met en couleurs et les revend avec un bon bénéfice à la clientèle qu’il s’est constitué au cours des années.

Il a à son service plusieurs dizaines d’ouvriers. Certains sont dits « protégés », parce qu’ils sont qualifiés et méritent un salaire honorable. Mois la plupart ne sont que des « ongles bleus », sous-payés et employés à la tâche…

Clemric est un homme d’affaire qui présage déjà des industriels des siècles à venir...

Les souterrains

Creusées jadis par le peuple nain, les carrières d’Istria forment un fantastique dédale de salles et de couloirs vaguement et façonnées. Certaines portions de ce labyrinthe sont aujourd’hui habitées par les rats géants, les serpents et... d’autres créatures moins recommandables encore.

1) Le puits. Il donne sur une rivière souterraine. Des barreaux enchâssés dans le roc permettent d’atteindre un passage étroit (2) menant aux antiques carrières. Les barreaux sont glissants, mais tout à fait praticables.

2) Le passage. Il fait un mètre de large sur un mètre de haut, imposant ainsi une progression lente et difficile. Il donne sur la salle de garde (3) où brille une lumière.

3) La salle de garde. Comme toutes les salles des souterrains, elle est creusée à même la roche, son plafond est légèrement voûté et se trouve à plus de quatre mètres sous le sol. Là, deux espions nordiques sont en train de deviser tout en jouant aux osselets. Si les aventuriers ne font pas trop de bruit, ils ont des chances de les surprendre. Attention, si le combat dure trop longtemps (ex. 10 minutes), les hommes en (4) viendront à la rescousse !
Contenu de la pièce : une table, six chaises, un coffre contenant une nappe et des serviettes (on peut être espion et avoir du savoir-vivre !). Une lampe à huile allumée est posée sur la table.

4) Le dortoir des espions. Quatre hommes dorment à poings fermés dans cette salle, obscure. Comme ils ronflent bruyamment, ils mettront un certain temps à se réveiller s’il y a un combat en (3).
Contenu de la pièce six paillasses grossières posées sur sol, six coffres contenant des armes et des vêtements. Chaque espion possède 1d20 pièces d’or dans se bourse.

5) La cuisine. Une forte odeur de viande grillée y règne. Un âtre provisoire a été installé sous une fissure du plafond qui fait ainsi office de cheminée.
Contenu de la pièce : une table, trois tabourets, un assortiment de couteaux, des sacs de farine, n coffre contenant de la vaisselle, etc.

6) Le laboratoire. C’est ici que le poison est préparé.
Contenu de la pièce : une table couverte d’instruments bizarres (cornues, jattes, etc...), des étagères encombrées de flacons de toutes sortes contenant des produits toxiques (en cherchant bien, on peut trouver une fiole de potion de guérison), une chaise, des amphores marquées d’une tête de mort (le poison !), etc...

7) Le débarras. Cinq rats géants ont élu domicile à cet endroit et les espions ne se sont pas encore préoccupés de les déloger.
Contenu de la pièce : des sacs de nourritures éventrées, des armes, des jarres contenant des produits chimiques, des barriques de vin, etc...

8) La chambre de l’alchimiste. Gönthen, grand spécialiste des poisons, dort ici.
Contenu de la pièce: un grand lit occupé par un vieillard barbu, une table, une chaise, une petite bibliothèque consacrée à l’alchimie, un coffre contenant des vêtements (des robes surtout), une lampe à huile, etc... Si les aventuriers prennent la peine de bien fouiller le coffre de l’alchimiste, ils peuvent trouver — dans le double fond — des lettres signées de la main de Clemric et attestant de sa participation au complot. A noter que le sommeil de Gönthen n’est pas aussi profond que celui de ses hommes. Si les personnages font du bruit on fouillant le laboratoire, il se réveillera...

9) Les autres salles. Il y en a des milliers et des milliers, aux formes diverses. Sans guide, il est peu probable qu’un homme(ou un elfe !) ait la moindre chance de trouver son chemin.
Sans compter que les carrières sont pleines de pièges naturels : fondrières, trous, animaux et créatures de la nuit, etc...

Comment maîtriser cette aventure

Lors de la phase d’enquête, n’hésitez pas à poser quelques problèmes aux aventuriers, tous les habitants d’Istria ne sont pas forcément amicaux.

Poussez vos Joueurs à s’intéresser à la teinturerie en leur faisant comprendre qu’il doit s’y passer des choses bizarres. Quand ils se décideront à la visiter, vous devrez toujours savoir quelle heure il est dans l’univers de jeu. En effet, la nuit, toutes les trois heures, Rastar et Linog font une ronde de surveillance (à 21 hrs, 24 hrs, 3 hrs, et 6 hrs). En outre, les espions sortent de leur repaire chaque nuit vers une heure, pour empoisonner les étoffes (ce qui leur prend une demi-heure) ; des rencontres fortuites sont donc possibles... Cependant, n’hésitez pas à laisser aux personnages l’opportunité de se cacher dans l’ombre afin d’éviter le combat.

Si les aventuriers parviennent à découvrir la nature du complot en cours, Tilias les récompensera généreusement (à vous d’apprécier) et fera arrêter Clemric.

Adapter le scénario

Cette aventure peut aussi bien être jouée avec les règles de liste Donjons & Dragons (règles de base et avancées) qu’avec celles de l’Œil Noir ou de l’Ultime Epreuve. Pour ce faire, il suffit de considérer que TOUS les personnages non-joueurs sont de valeurs à peu près égales (ou légèrement inférieures) à celles des aventuriers. Quant aux armes et armures de chacun, les voici :

Cyril Rayer et Brigitte Brunella