Article paru dans Casus Belli HS N° 08


Ce scénario convient à 4 ou 5 personnages d’expérience moyenne.
Aucune quête ne leur est véritablement proposée, seule la curiosité doit les pousser jusqu’aux ultimes ressorts de l’histoire. Dans ce but, il est souhaitable que l’un d’eux maîtrise la compétence Alchimie.

Lieuville
A l’est se situe le royaume de Borodam, (voir plan page suivante) et à l’ouest le royaume de Karme, dont les capitales sont respectivement Borod et Karmalis. Les deux pays sont en paix. La reine de Karme, Pallastre, est renommée pour sa grande sagesse, et Gusnar XVII, roi de Borodam, pour sa prestigieuse collection de papillons. Tous les sept ans, l’un ou l’autre souverain se rend en visite officielle chez son voisin, ce qui donne lieu à de grandes fêtes. Le commerce s’en porte bien et la région est florissante.
Deux routes relient les capitales : la route sud, qui passe par Lieuville, et la route nord (hors carte). Cette dernière contourne la Grande Forêt, plus longue, mais plus sûre. Il faut environ 12 jours par le nord. Par le sud, il faut compter 3 jours de Lieuville à Karmalis et un jour et demi de Lieuville à Borod.
Lieuville est un modeste village agricole entouré de champs et de pâtures. Sa position à la lisière de la forêt en fait une halte propice aux marchands qui empruntent la route du sud, et c’est à ce seul fait qu’on doit d’y trouver une auberge. Toutefois, la perspective de traverser la Grande Forêt étant dissuasive, le village ne connaît qu’un passage modéré.
C’est à l’auberge de Lieuville que tout va commencer, par une belle fin d’après-midi d’été. Les voyageurs viennent de sortir du gris rêve (et d’une probable déchirure) dans les collines environnantes. Lieuville est le premier lieu habité qu’ils aperçoivent et ils ont naturellement envie de s’y reposer et de s’y renseigner.
N’importe quel villageois peut leur fournir les informations que l’on vient de voir sur la région. Tout est sans mystère.
Toutefois, interrogé sur la présence d’une auberge, le villageois aura une réaction inattendue. Grimaçant et roulant des yeux exorbités, il s’écrira d’une voix chevrotante : « Tremblez ! Car je suis Clarence le Maudit !... » Puis éclatant de rire (à la consternation probable des voyageurs), il ajoutera : « Vous trouverez l’auberge sur la place si vous en avez vraiment envie ! » Et toujours riant, ne donnera pas d’autre explication.

Clarence le Maudit
Un établissement pouvant passer pour une auberge donne effectivement sur l’unique place du village. La porte n’est pas fermée, mais tous les volets en sont clos, et dans la salle aucune table ni chaise n’est occupée : pas un seul client.
Laisser les voyageurs réagir à leur guise, appeler, puis faire en sorte que l’un d’eux entende un léger mouvement provenir d’une grosse barrique, noyée dans l’ombre du comptoir. La vérité est que l’aubergiste est dissimulé à l’intérieur. Sitôt découvert, il se dressera hors de sa cachette tel un diable d’une boîte, et pointant un doigt accusateur sur les voyageurs, hurlera d’une voix de dément : «Vous m’avez découvert ! Alors, tremblez ! car je suis Clarence le Maudit !...
Ainsi les voyageurs feront-ils la connaissance de l’aubergiste fou et la réaction du villageois interrogé commencera-t-elle à s’éclairer. Clarence est réellement fou à lier. Il est paranoïaque au dernier degré et ne mentionne qu’en chuchotant de mystérieux « ils » qui le traquent sans merci. Puis dans un sursaut d’épouvante, il affirme qu’il ne se laissera pas faire, et repointant le doigt vers les voyageurs, hurle à nouveau sa réplique favorite « Alors tremblez, car je suis Clarence le Maudit !... »
Cette scène va durer jusqu’à l’arrivée de son épouse, Clarane, alertée par les cris. « Va continuer ta malédiction dans la cuisine, s’écrie-t-elle les poings sur les hanches, il y a du travail !... » Puis tandis que le bonhomme s’esquive en maugréant ses litanies, elle ajoute d’un ton plein d’excuses : « C’est mon mari, il est fou... »
Elle explique alors le pourquoi des volets fermés et de la salle vide : aucun villageois ne fréquente plus l’auberge, et il n’y a pas souvent des voyageurs. « Voilà maintenant près de trois ans qu’il est comme ça, soupire-t-elle finalement. Je savais bien que ça finirait mal d’aller toujours fourrer son nez du côté de la tour ensevelie... »
Il y a gros à parier qu’un voyageur relève alors la remarque et demande de quelle tour il s’agit.
L’histoire est amorcée

Le chemin de la tour
Le but étant que les voyageurs se rendent à la tour ensevelie, il faut maintenant ferrer le poisson. La meilleure façon est de rendre Clarane évasive, comme si elle regrettait ses paroles, comme si la tour était sans importance, en sorte que les voyageurs lui arrachent les renseignements un à un.
Il s’agit d’une vieille ruine datant d’une époque inconnue, dans une clairière de la forêt. Sur la route de Karmalis, à environ 3 km de Lieuville, un petit sentier à peine visible part sur la droite. L’entrée de ce sentier est marquée par une vieille borne de pierre moussue où les esprits imaginatifs voient une tête de cheval. La clairière de la tour se trouve encore à 2km, 5km en tout depuis Lieuville. Bien sûr, ce n’est pas une vraie tour, ce n’est qu’un cercle de pierres.
Et Clarane d’ajouter : « Tout le monde ici sait que l’endroit est mauvais. Si cette tour a été enterrée, c’est qu’il y a une bonne raison. Peut-être qu’elle était autrefois entièrement dissimulée, mais qu’avec l’érosion du fil des ans, elle aura commencé à refaire surface. Toujours est-il que tout le monde sait qu’il n’y a rien de bon à y trouver. D’ailleurs, personne n’en parle. Si vous interrogez les autres villageois, ils vous regarderont apparemment sans comprendre. Je dois moi-même être folle pour vous dire tout cela, la folie de Clarence doit être contagieuse ! Je vous en prie, n’y allez pas ! Ne me rendez pas responsable de votre propre folie !... »
Et les voyageurs apprendront encore que Clarence était un voyageur venu de Borod, il y a dix ans de cela. Clarane venait d’hériter de l’auberge de son père récemment décédé. Les deux jeunes gens décidèrent de s’unir. Il y a trois ans, Clarence découvrit la tour par hasard en cherchant des champignons. Il ne voulut jamais dire ce qu’il y découvrit, pas même à sa femme. En revanche, il y retourna de plus on plus souvent, et en revint chaque fois plus bizarre, jusqu’à ce que sa bizarrerie tourne en une véritable folie.
Tous les renseignements de Clarane sont exacts, y compris le mutisme des autres villageois. Normalement, les voyageurs devraient brûler d’envie se rendre sur les lieux.
En tant qu’étape avant la Grande Forêt, Lieuville possède également un magasin où l’on peut trouver de quoi s’équiper pour le voyage : sacs, cordes, lanternes, etc. Cette échoppe, à l’enseigne du Vénérable Bivouaqueur, pratique les prix indiqués dans les règles.

La tour ensevelie
Au lieu indiqué par Clarane, sur la route de Karmalis, se trouve bien une vieille borne érodée pouvant passer pour une tête de cheval, et le sentier qui part vers la droite mène effectivement à quelque chose au bout de 2 km : un cercle de pierres levées au milieu d’une clairière envahie par les ronces. Un spectacle plutôt décevant.
Toutefois, un examen rapproché montre que les pierres en question pourraient bien être les merlons d’un chemin de ronde, comme si tout le reste de l’édifice était enseveli et n’en dépassait que la tête. Au centre du cercle envahi par la végétation, un petit bâtiment cylindrique, sorte de tourelle, semble confirmer l’hypothèse fantastique et abrite les premières marches d’un escalier qui descend.



Description
Note : La coupe schématique ci-dessous montre de quelle façon le rêve de la tour est relié à celui du sanctuaire, mais sans les véritables proportions.
Le cercle de pierres fait 20 m de diamètre. La tourelle centrale fait 2 m de diamètre, pour des marches d’un peu moins de 1 m de long.



Septimel

Tout personnage ayant au moins 0 en Alchimie possède les connaissances suivantes.
Le septimel est un matériau synthétique élaboré par certains alchimistes du Second Age. En fait, il est aussi légendaire que l’est pour nous la pierre philosophale : on en parle, mais sans vraiment croire à son existence. Le septimel, dont le nom est la contraction de « septième élément », est élaboré uniquement à partir d’os, de corne, de cuir et autres composants animaux.
  1. Grande salle circulaire de 15 m de diamètre, avec un pilier central contenant l’escalier. On y accède après 3 tours de vis, environ 9 m de dénivelée. Cette salle est vide à part des gravats et de la terre, et sent fortement l’humus. A 120° de part et d’autre de la sortie de l‘escalier, la muraille est percée de deux grandes meurtrières, complètement obstruées par des cailloux et de la terre d’où dépassent des racines. L’escalier central ne descend pas plus loin. Il faut faire le tour de la salle pour découvrir l’escalier latéral comme si ce second escalier était dans une tourelle en poivrière).
  2. Située 6 m sous la première, avec des proportions identiques, cette salle est actuellement un repaire de chafouins. On v trouve des ossements d’animaux et une litière extrêmement malodorante. Cette odeur de « fauve » peut être perçue dès l’escalier et avertir les voyageurs. Si l’odorat leur fait défaut, l’embuscade risque d’être meurtrière. Au gardien des rêves de décider du nombre des chafouins en fonction de la force du groupe. Utiliser les caractéristiques moyennes, p. 65 des règles. L’escalier latéral ne descend pas plus loin, il faut à nouveau traverser la salle pour retrouver un escalier dans le pilier central.
  3. Deux portes basses donnent directement dans l’escalier 4m plus bas, verrouillées à -3. Elles correspondent à deux petites salles semi-circulaires, mystérieux ossuaires, où sont empilés des centaines de crânes humains (comme dans les Catacombes).
  4. Immense caverne en forme d’entonnoir, d’environ 50 m de large sur autant de haut. L’escalier en colimaçon continue sans interruption, comme par un trou dans le plafond, mais est maintenant réduit à sa plus simple expression : la colonne centrale, d’environ 50 cm de diamètre, et les marches qui y sont scellées. Tout autour, plus de paroi cylindrique, rien que l’immense vide de la caverne. Torches et lanternes ne portant qu’à 10 m, il est impossible de se rendre compte des dimension exactes de ce lieu, ni même qu’il s’agit d’une caverne. A mesure qu’ils descendent, avec uniquement la colonne centrale comme garde-fou, les personnages n’aperçoivent que ténèbres insondables. Et voilà que de ces ténèbres montent des formes floues, blanches et vaporeuses : des chauves-souris voilées, chauves-souris blanches aux grandes ailes ondoyantes comme les nageoires des poissons de Chine. Elles vivent dans des niches creusées dans les parois intérieures. Seule la curiosité les pousse à venir « voir » de près qui peut bien descendre l’escalier. Elles ne sont pas d’emblée agressives, et si aucun voyageur ne les moleste, tout ira bien. Si par contre l’une d’elles est blessée, elles se jetteront sur le groupe. Utiliser les caractéristiques des vampires, p. 78. Noter, en cas de combat, que le risque mortel est surtout de chuter hors de l’escalier.
  5. En bas, l’entonnoir de la caverne se resserre, pour entourer à nouveau l’escalier de ses parois. Quelques mètres encore, et l’escalier s’arrête pour laisser place à un couloir horizontal, barré 20 m plus loin par une petite porte de bois, aux ferrures rouillées. Elle possède une serrure, mais n’est pas fermée.
  6. Le cœur du problème : une salle de 10 m de long, 5 m de large et 6 m de haut, fermée à l’autre bout par une porte faite d’une matière lisse et légèrement luisante de la couleur du vieil ivoire. Tout autour, le chambranle encastré dans la pierre est fait de la même matière. La porte possède un trou de serrure et est solidement verrouillée. D’un seul battant, elle fait 3 m sur 2.
    Au centre de la salle, sur une paillasse de pierre de 30 cm de haut est installé un cheval à bascule d’un réalisme saisissant. C’est un cheval blanc à crinière blonde, sans bride ni selle. Il est dur et froid au toucher, mais on sent légèrement le piquant du poil, comme s’il s’agissait d’un véritable animal empaillé. Dans une position de galop, ses quatre jambes sont campées sur des bascules de bois vernis. Sa seule étrangeté est peut être d’avoir les jambes un peu courtes, en sorte qu’il fait tout juste 1,30 m au garrot, de même qu’une échine plus longue que la normale : en se serrant un peu, on pourrait parvenir à monter à sur son dos. Il est tourné vers la porte entrebâillée, dos à celle qui est close. Mais c’est un meuble véritable : on peut le tourner dans l’autre sens si on le désire, ou même le descendre de son estrade (ce qui n’a aucune importance pour les rêves).
    Troisième particularité, la salle est décorée de fresques qui en font tout le tour, représentant des chaînes de montagnes. A gauche en entrant (à la droite du cheval), les sommets sont irisés de jaune, tandis que sur le mur d’en face (à la gauche du cheval), ils sont teintés de violet pourpre. Au-dessus de la porte de bois, les montagnes jaunes et violettes se rejoignent en une sorte de forêt, dont les arbres stylisés portent des fruits colorés. A l’opposé, au-dessus de la porte d’ivoire, dos au cheval, les montagnes se rejoignent de part et d’autre d’un bâtiment en forme de pyramide tronquée.
    A la tentative de déverrouiller la porte close, faire jouer DEXTERITE/Serrurerie à -6. Sur une réussite, le personnage se rend vite compte que la serrure est anormale et qu’il ne pourra jamais la crocheter. S’il n’abandonne pas aussitôt, ou sur un échec, la serrure se rebelle et lui envoie une mortelle sensation de froid, comme un coup au cœur, traduit par une perte instantanée de 1d4 points de Vie (récupérables selon a règle normale).
    Mais, avant ou après la tentative de déverrouillage, on peut apercevoir une inscription en relief, moulée dans le coin intérieur droit de la porte, comme la signature de l’artisan :
Alazim Ruboï
Maître septimelier
en la cité de Karmalis


C’est alors que tout personnage ayant au moins 0 en Alchimie comprendra que la porte n’est pas en ivoire, mais en septimel, matériau mythique du Second Age. Il est inutile d’insister : seule la clé originelle l’ouvrira.

Sur le cheval à bascule
Il est probable qu’au moins un des voyageurs veuille se payer un petit tour de cheval à bascule. En se serrant, tout le groupe peut monter en même temps. La bascule est très sensible et le seul fait de monter sur le dos du cheval suffit à la mettre en branle.
Si , un ou plusieurs personnages ne montent pas, ils verront les autres s’assoupir presque instantanément au rythme du balancement, le premier contre l’encolure du cheval. le second contre le dos du premier, et ainsi de suite. Mais au bout de quelques secondes, tous se réveillent en hurlant, les yeux remplis de terreur.
Pour les cavaliers, l’expérience semble durer beaucoup plus que quelques secondes. A peine sont-ils sur le cheval et la bascule s’est elle mise en branle, qu’ils sentent sous eux un véritable martèlement de galop, tandis que le vent de la course leur fouette le visage, faisant voler en arrière les mèches de leur cheveux. Ils sont toujours serrés sur le dos du même cheval, mais celui-ci est maintenant réel, réelle est la course, réelle est l’herbe sous les sabots, réelles sont les montagnes, nimbées à droite de lumière jaune et à gauche des feux empourprés du couchant. Le grand cheval blanc galope dans la vallée que délimitent les deux chaînes, et le vent de la course est exaltant.
C’est ainsi qu’on finit par arriver à une magnifique forêt où les arbres majestueux ont des gemmes en guise de fruits, des gemmes grosses comme des poires, scintillant de mille feux. En tendant le bras, on peut aisément en cueillir au passage.
Le gardien des rêves ne doit surtout pas présenter l’épisode comme un rêve même si c’en est un. Ne pas dire aux joueurs : « Vous rêvez que ceci et que cela... » Au contraire, présenter l’expérience comme réelle. Le propre d’un rêve, au moment même où on le vit, n’est-il pas d’être confondu avec la réalité ? Faire donc comme si le cavalier de tête pouvait vraiment conduire le cheval, alors qu’en réalité, il est incontrôlable.
De même, arrivé aux arbres à gemmes, demander aux joueurs ce qu’ils font. Mais quelle que soit l’action des personnages, cueillir ou non une gemme, c’est à ce moment que surgissent d’entre les arbres d’énormes tigres à dents de sabre. Aussitôt, l’incontrôlable cheval se cabre en hennissant de terreur et fait volte face pour s’enfuir dans l’autre sens. A l’autre bout de la vallée, on aperçoit sur une hauteur une sorte de pyramide tronquée. Hélas quoi qu’on tente, le cheval n’est pas assez rapide et est rattrapé par les tigres, qui bondissent. Les personnages sentent des crocs baveux se refermer sur leur nuque — et dans un hurlement de terreur, se réveillent du cauchemar, dans la salle aux fresques, sur le cheval à bascule.
Ce n’était qu’un rêve, mais à l’impression de réalité si forte que les cavaliers en restent mentalement perturbés. jouer un jet de points actuels de rêve à 0. Sur une réussite, rien; sur un échec, une queue de Dragon; et sur un échec total, un souffle. Ceux qui ont cueilli une gemme peuvent vouloir recommencer, pensant que c’est cela qui motive l’arrivée des tigres. Hélas, dans tous les cas, c’est la même chose. D’autres peuvent vouloir essayer de gouverner le cheval, de le faire aller vers la pyramide plutôt que la forêt, au besoin en tournant la bascule dans l’autre sens avant de monter. On peut avoir l’idée d’envoyer un seul cavalier, pensant que le cheval plus léger ira plus vite. Rien n’y fait. Le scénario est toujours le même, se terminant toujours par la même poursuite affolée et la même mort horrible. Et si un personnage saute du cheval, il ne fait que hâter la fin.
Bref, il est probable qu’au bout de quelques tentatives, queues et souffles de Dragon, quoique frustrés de ne rien comprendre, les personnages envisagent au moins à ce stade la cause de la folie de l’aubergiste. Dès que l’on monte sur le cheval à bascule, le rêve est automatique : on ne peut s’en empêcher.
Ajouté à la porte en septimel que l’on ne peut ouvrir, cela risque d’être décourageant; des joueurs lassés peuvent se dire qu’il n’y a plus rien à faire. Inversement, d’autres peuvent s’accrocher à la mince piste qu’ils possèdent : l’antique septimelier de Karmalis C’est naturellement eux qui ont raison.

La Grande Forêt
Officiellement la Grande Forêt appartient pour moitié à chaque royaume. Pratiquement, hormis les zones de lisière, elle n’est à personne. Tantôt accidentée, c’est un chaos de ravins, de rocailles et de gouffres; tantôt plate, c’est un labyrinthe de fondrières et de marécages. Dans les deux cas, parmi la végétation épaisse et enchevêtrée, abondent les prédateurs féroces.
Officiellement, chaque royaume affirme étendre sa juridiction jusqu’à Lagony et l’inclure. C’est leur seul différend. Mais depuis des générations que cela dure, les juristes des deux camps ne semblent pas pressés de trouver une solution, ce qui arrange finalement tout le monde, y compris Lagony devenu village franc.
Il y a trois jours de voyage de Lieuville à Karmalis, en comptant une première étape à Lagony et une seconde à Naz à la lisière ouest. Cette partie du voyage peut être sans histoire, ou au contraire fertile en événements, à l’inclination du gardien des rêves, libre de broder sur les bases fournies.
Les marais de Lagony sont un lieu cauchemardesque de fondrières pourries et de bras morts pestilentiels, un pullulement de moustiques, de scorpions d’eau et de vipères mortelles, sans parler des sirènes et des vaseux. La route, bordée de grands roseaux noirs, s’y tortille interminablement, revenant parfois en arrière sur des kilomètres en d’incompréhensibles boucles, alors que le prochain virage, nettement visible à ses haies de roseaux, est à moins de 200 mètres. En réalité, ce n’est pas sans raison. Et la règle suivante peut être établie : tant que les personnages restent sur la route, rien de véritablement fâcheux ne peut leur arriver. Si par contre, ils « coupent le fromage », exaspérés par ces virages « inutiles », alors tout peut arriver.
Lagony est un rassemblement misérable de puantes cabanes montées sur pilotis branlants. L’une d’elles porte le nom pompeux de Grand Hôtel de Lagony. Les voyageurs peuvent y loger pour 35 PE et manger (une soupe de fruits des marais qu’il vaut mieux ne pas trop analyser) pour 15 PE. Le logement peut paraître cher, mais il est sûr. Camper en dehors du village est aussi risqué que de quitter la route.

Karmalis
Karmalis se révélera une petite cite industrieuse, à l’abri de ses remparts, régulièrement patrouillée par des gardes sévères. De nombreux artisans y exercent leur négoce, la plupart des corporations étant réparties géographiquement. On trouve ainsi une allée des Cordonniers, une rue des Orfèvres, une impasse des Ecrivains, etc. Hélas, les voyageurs auront beau enquêter : le septimel n’a pas pignon sur rue à Karmalis. Et ce n’est qu’à grand peine, supposons-le, qu’ils dénicheront le serrurier

Ingmar Ruboï
Dans la rue des Mécaniques, il existe toujours un atelier de serrurier, à l’enseigne de la Double Clef, tenu par un descendant des Ruboï, de son prénom Ingmar. C’est un jeune homme blond, âgé de 25 ans, d’aspect plutôt frêle, au bleu regard pensif. Célibataire, il vit seul, aidé dans son travail par un compagnon. (Ses caractéristiques sont sans grande importance, sachant qu’en cas de combat, il devra être protégé, étant totalement inapte à se battre.) La maison Ruboï est quant à elle une impressionnante demeure à pignons de deux étages, une de ces vieilles maisons que l’on devine intuitivement pleines de mystères et de passages secrets.
Ecoutant d’abord les voyageurs d’un air revêche, le visage d’Ingmar finira par s’éclairer : « Il se trouve que je possède deux vieilles clés d’ivoire ayant appartenu a l’ancêtre fondateur de notre maison, ainsi que des fragments de parchemin évoquant l’élaboration du mythique matériau nommé septimel. Mon métier officiel est la serrurerie, mais je m’intéresse à l’alchimie en amateur. je m’étais toujours demandé quelles portes ouvraient ces mystérieuses clés ? Se peut-il qu’elles soient effectivement en septimel et que vous l’ayez découvert ?
Les parchemins, très fragmentaires, n’apporteront rien aux alchimistes qu’ils ne savent déjà. Les deux clés sont bien de la même matière lisse que la porte. Elles font chacune 20 cm de long, avec des découpes très semblables. L’une d’elles se distingue toutefois par un anneau rond tandis que l’autre est carré. Ingmar ne voudra pas s’en séparer. En revanche, après avoir donné l’hospitalité aux voyageurs, il demandera à les raccompagner jusqu’à la tour, brûlant lui-même de voir cette fameuse porte. Comme précédemment, le voyage de retour peut être simple ou difficile.
De retour à la tour ensevelie, la clé ronde s’avérera être la bonne et, sans le moindre grincement, ouvrira la porte en septimel.

Les objets en septimel sont moulés au moment-même de l’élaboration du matériau. Appartenant au 7e élément ils ne sont sujets à aucune transmutation élémentale. Leur dureté est telle qu’ils ne peuvent être ébréchés, rayés, etc., par aucun autre matériau connu. Il est en revanche impossible d’obtenir des arêtes vives en septimel, tous les objet ont des angles arrondis. C’est pourquoi il n’existe aucune arme ni rien de tranchant en septimel. Ne pouvant contenir de gemme, le septimel ne peut pas être véritablement enchanté. Il possède néanmoins des points de rêve, comme les objets de magie naturelle. Détection d’Enchantement révèle la présence de ce rêve; mais Lecture d’Aura se contente d’indiquer le Fleuve, sans autre précision. Toutefois, sa vertu semi magique confère certains pouvoirs à certains objets. Les portes en septimel incluent une serrure qui ne peut être ouverte que par sa propre clé. Toute autre tentative, quelle qu’elle soit, est automatiquement vouée à l’échec. Dans certains cas, la porte peut même se défendre en envoyant une sensation de froid mortel. (Il est inutile de dire que vouloir tenter une transmutation élémentale autour de la porte, ou juste à côté, cause automatiquement un éboulement catastrophique).
La recette du septimel s’e malheureusement perdue et l’état actuel de l’alchimie au Troisième Age, ne permet pas de la retrouver.


La tour (suite)
  1. De l’autre côté, après une courte antichambre meublée de deux urnes de pierre vides flanquant la porte, un nouveau couloir s’enfonce dans le noir.
  2. Au bout de 15 m, on débouche à nouveau sur l’abîme d’une immense caverne, mais latéralement cette fois. Dans le rayon limité des lanternes, les parois sont hors de portée visuelle, de même que le fond. Mais arrimé à de gros anneaux de fer scellés dans le roc à l’entrée du couloir, un pont de corde s’élance au-dessus du gouffre et disparaît dans les ténèbres. La caverne et le pont font 50 m de Long. Le précipice est insondable.
  3. Au-delà commence une sorte d’escalier de géant, avec des marches irrégulières faisant jusqu’à 3 m de haut, se poursuivant sur 300 m (hors proportions sur le schéma). La montée en est longue et pénible (mais sans jet de dés).
  4. L’escalier s’achève sur une caverne dont la seule issue est un boyau circulaire de 1 m de diamètre, qui ne cesse ce tourner sur lui-même comme une spirale. On ne peut qu’y ramper. La spirale est ascendante, et après une éternité d’efforts, on débouche à nouveau dans un vaste lieu enténébré.
  5. Dans une des parois, l’exploration révèle un escalier droit qui descend. Quoique toujours taillé à même le roc, l’escalier est ici de proportions humaines.
    (Sur le schéma, le chemin semble retourner en arrière, ce n’est que pour la commodité du dessin. En réalité. les voyageurs sont progressivement en train de changer de rêve et les points cardinaux n’ont plus aucune signification.
    Au pied de l’escalier, après une dénivellation ressentie comme pouvant faire 15 ou 20 m, le boyau se remet à serpenter, horizontalement, sur des dizaines et des dizaines de mètres.
  6. Grande caverne d'environ 50 m de diamètre, foisonnante de stalagmites, stalactites et colonnes de calcaire. Le plafond réel est à plus de 20 m. Sur le schéma, le boyau opposé semble évidant à trouver. En réalité, il n’est pas dans l’alignement du précédent, mais donne dans un repli de la grotte, à demi masqué par des stalagmites, et ne se remarque pas aisément dans les fantastiques jeux d'ombres que les torches et lanternes ne manquent pas de créer parmi les colonnes. Pour le découvrir : VUE/Survie en sous-sol à -1. En cas d’échec, même total, le jet est renouvelable indéfiniment, mais dans tous les cas, un seul jet par heure et par personne.
    Dans une paroi, une saignée a mis à jour une veine de charbon. Toutefois, VUE/Alchimie à -2 révèle qu’il ne s’agit pas de houille ordinaire, mais de narthalide, minerai dont est extrait le nartha, l’un des principaux sels utilisés en alchimie. Ailleurs, la pierre est marbrée de brun, comme une exsudation de salpêtre. VUE/Alchimie à -1 permet de constater qu’il s’agit de boralm, un autre sel alchimique.
  7. Ayant découvert le boyau dissimulé, les voyageurs vont à nouveau marcher des dizaines de mètres, avant de tomber enfin sur un escalier en colimaçon qui monte, un puits étroit d’à peine 70 cm de rayon, aux marches inégales et glissantes. Puis, au bout de 15 tours de vis, soit environ 45 m, la progression est bloquée par un lourd panneau de bois ferré. De l’autre côté, la trappe n’est ni verrouillée ni barrée, elle est seulement très lourde. Dans l’étroitesse de l’escalier, un seul personnage peut pousser à la fois. Pour soulever la trappe, jouer FORCE à -1, 3 points de tâche.
  8. Et l’on débouche dans ce que même les non-spécialistes peuvent identifier comme un laboratoire d’alchimie : deux longues tables sont couvertes de bols, coupes et mortiers, fioles étranges aux cols serpentins, sabliers et petits braseros. Sur des étagères sont alignés des bocaux où des étiquettes délavées se laissent à peine déchiffrer : huile de naphte, sable gris, candique, obyssum gris, obbadion... Tout cela est enfoui sous la poussière et les poudreux haubans de monstrueuses toiles d’araignées. Personne n’a dû passer par là depuis des siècles !
    Plus tard, les voyageurs comprendront qu’il s’agit du laboratoire du prince Alazim, également dénommé Prince saucier. Pour l’instant, ils sont libres de leurs conjectures.
    Ingmar Ruboï sera très impressionné par cette découverte, intuitivement convaincu que tout cela n’est pas sans rapport avec son ancêtre. Le gardien des rêves, toutefois, ne devra pas le jouer de la même façon, selon que des personnages joueurs maîtrisent ou non l’alchimie. Si ce n’est pas le cas, Ingmar prendra effectivement le devant de la scène, et c’est lui qui réglera toutes les questions alchimiques indispensables pour la suite du scénario, faisant finalement preuve d’une compétence en la matière que la modestie de ses déclarations ne laissait pas supposer. Inversement, si un personnage joueur maîtrise l’alchimie, Ingmar s’effacera au rang de dilettante, laissant toute la responsabilité des opérations au voyageur. Dans les deux cas, toutefois, comme on le verra ci-après, c’est lui qui révèlera posséder la recette de la Grande Sauce. Le laboratoire du prince Alazim est une cave maçonnée, au sol dallé, de 6 m par 4, sur 3 de haut. A l’opposé de la trappe. la seconde issue est une petite porte basse, verrouillée à -3.
  9. Au-delà de la porte, un escalier droit monte sur une dizaine de mètres, et l’on débouche dans la dernière salle de cet ahurissant complexe : le sanctuaire du prince Alazim. Sur trois de ses côtés, la descente d’escalier est entourée d’une rambarde de pierre avec des balustres en forme de têtes de chevaux. Tout d’une pièce, le sanctuaire est un vaste hall de 40 m de côté et de 15 m de plafond. Les murs sont inclinés vers l’extérieur, suggérant une pyramide.
    Le lieu est complètement noyé dans les ténèbres, mais à chaque pas, les lanternes révèlent des dizaines de statues sur des piédestaux, statuettes dans des niches, reliefs sur les murs. Toutes, comme un musée monomaniaque, représentent des chevaux. Sous la poussière qui tapisse le sol, une grande mosaïque colorée dépeint un magnifique coursier blanc à crinière blonde galopant sur un fond de montagnes jaunes et violettes. De grands vases de céramique sont décorés de silhouettes chevalines. Ça et là, des bancs de pierre sont prévus pour le repos des visiteurs.
    Enfin au fond d’une alcôve ogivale, se trouve la porte du sanctuaire, d’un seul battant, mais large de 3 mètres et haute de 5, luisant dans la lumière des torches de l’éclat de vieil ivoire du septimel. La seconde clé, avec l’anneau carré, l’ouvrira sans résistance.
    Dehors, la lumière du soleil est éblouissante. Quel que soit le temps des voyageurs, leur arrivée a lieu en plein midi, à l’heure de la Couronne. Clignant des yeux, ils peuvent constater qu’ils sont sur le seuil d’un bâtiment moussu et verdi, une pyramide tronquée bâtie sur une éminence, surplombant une petite ville, le tout dans un splendide paysage de montagne.


Keren
Située au cœur des monts d’ivoire, la principauté de Keren est une haute vallée d’environ 20 km d’est en ouest sur 30 km du nord au sud, entièrement entourée par des montagnes. Hormis l’étrange voie empruntée par les voyageurs, il n’y a que deux accès à la vallée : le col d’Enève à l’ouest et celui de Sneg à l’est, desservis par de petites routes en lacet. Au-delà se trouvent les royaumes extérieurs.
Tous les habitants vivent à Kerenbourg, la capitale et unique ville, soit environ trois mille âmes. Les maisons y sont en pierre, couvertes d’ardoises, bâties sur deux niveaux pour la plupart, rez-de-chaussée et étage, ce dernier étant usuellement entouré d’un grand balcon fleuri. Les rues, correctement pavées, sont propres et agréables; les places, entourées d’arcades, sont décorées de jardinières de fleurs et offrent des fontaines où coule une eau de source très pure. Au centre de la ville, se dresse le palais princier, un petit château aux tourelles pointues et aux murs percés de dizaines de fenêtres. A ses pieds s’étend la place Princière, avec la statue équestre de Ladislov de Ker, le fondateur. Trois belles avenues desservent la place, rivalisant de balcons fleuris. Les avenues est ouest mènent aux routes des cols, l’avenue sud mène à l’hippodrome. Car il est grand temps de le dire : les chevaux de course sont la grande passion des Kerenbourgeois.
Le pays vit essentiellement d’agriculture laitière. Mais plus nombreux encore sont les prés où paissent des chevaux. Tous kerenbourgeois en possèdent au moins un. Leur renommée s’étend bien au-delà des frontières, et le prix d’un seul cheval peut atteindre 15 pièces d’or.
Les Kerenbourgeois vivent donc dans l’opulence; ils aiment leur souveraine, la princesse Livitsa, actuellement âgée de 52 ans; ils aiment Wutso, le prince consort; ils aiment leur jolie petite ville qui faute d’un seul ennemi, n’a jamais connu l’ombre d’un seul rempart; ils aiment les vastes paysages de leurs chères montagnes. Alors pourquoi leurs sourires sont-ils si tristes ? Pourquoi tous arborent cet air de morne résignation ? Ce fait ne peut manquer de frapper les voyageurs tant il est flagrant.
Un petit chemin en lacet conduit du sanctuaire aux premières maisons de la ville, une promenade d’un quart d’heure parmi les sapins. Les habitants ne seront pas surpris de l’arrivée des voyageurs, les prenant pour des touristes venus par l’un des deux cols. On leur indiquera l’Auberge du Cheval blanc, la seule de Kerenbourg, située sur la place Princière. De leur côté, les voyageurs ne peuvent manquer une constatation unanime : tous les Kerenbourgeois et les Kerenbourgeoises sont de petite taille, 1,65 m au maximum. Certains sont très minces, voire maigres, d’autres sont rondouillards, voire obèses, mais tous, maigres et gros, sont tristes.

A l’Auberge du Cheval blanc
L’Auberge du Cheval blanc, tenue par messire Vaad Zoelkhan, son épouse Zdara et leur fille Hylde, est un établissement soigné. Les voyageurs pourront y dormir pour 15 PE par personne, prendre un bain pour 6 PE, et dîner pour 20 PE.
Dans la grande salle aux murs blanchis, aux tables cirées, aux étagères décorées de cuivres rouges et de géraniums, une douzaine de citadins prennent des repas ou boivent : bière de Keren, 1 PE la chope; vin d’Ancolis (royaume extérieur) 6 PE la chope. Quant aux menus, ils sont de deux sortes : le lourd et le léger. Le premier comprend un assortiment de charcuterie, du pain et un solide ragoût suivi de fromages variés (7 sust en tout); le second une salade de radis suivie d’endives à la vapeur (1 sust). Chose étonnante, les deux coûtent le même prix. Dans la salle, les gros prennent le menu lourd, les maigres le menu léger, mais tous ont l’air aussi insatisfait de leur choix.
Les voyageurs n’auront aucun mal à éclairer ce mystère : les Kerenbourgeois ne demandent qu’à s’épancher.
Leur grande passion commune à tous est le cheval et plus précisément le cheval de course. C’est pour cela qu’ils sont tous si petits : ils sont une race de jockeys-nés. Malheureusement, pour faire un bon jockey, il ne suffit pas d’être petit, encore faut-il être léger. Et c’est là que le drame commence, car la seconde passion des Kerenbourgeois, presque aussi forte que la passion hippique, est la gastronomie et l’amour de la bonne chère, doubles passions inconciliables.
Les maigres prennent le repas léger en soupirant de frustration; les gros prennent le repas lourd en soupirant de même, car plus ils bouffent, moins ils sont capables de monter. Les deux menus étant aussi insatisfaisants, il est normal qu’ils coûtent le même prix. Mais, ajoutent les villageois, il n’en a pas toujours été ainsi : le monde était riant du temps du grand Alazim, le Prince saucier.

La légende du Prince Saucier
C’était il y a longtemps sous le règne de la princesse Uzelmine. A l’époque, la plupart des Kerenbourgeois étaient maigres car la passion du cheval dominait celle de la table. Alazim n’était pas d’ici, il arriva un beau matin par la route du col, monté sur un superbe cheval blanc à crinière blonde. Ce cheval, nommé Fulgur, était si fringant qu’il lui valut aussitôt l’estime de tous. En particulier, la princesse, qui venait d’avoir trente ans et n’avait toujours pas de consort, ne put résister à son charme.


Le prince Alazim gagnait toutes les courses. Un jour, il avoua qu’il possédait une bride magique capable de rendre Fulgur plus rapide que n’importe quel autre animal. Puis il reconnut honnêtement que c’était tricher que de s’en servir aux courses, et de ce jour n’y participa plus. Mais il allait souvent tout au bout de la vallée, dans la forêt interdite. A l’époque, cette forêt était gardée par des tigres aux crocs terrifiants, bondissant plus vite que n’importe quel cheval, et c’est pourquoi cette forêt était nommée interdite, car quiconque y allait était sûr d’y trouver une mort horrible. Aujourd’hui, elle est sans danger, juste peuplée de quelques écureuils, mais personne n’a jamais compris ce que le prince Alazim y trouvait, à part se donner des frissons. Malgré la bride magique, son cheval n’arrivait à échapper aux tigres mortels que de justesse.
C’est à la même époque qu’il fit construire son sanctuaire, un drôle de bâtiment qui penche de tous les côtés, sur une hauteur au nord de la ville. Il le meubla de statues à la gloire de Fulgur, qu’il aimait par-dessus tout, peut-être plus encore que la princesse, et finit par s’y installer à demeure.
Puis c’est non loin de son sanctuaire qu’il commença à faire bâtir sa tour. Car il avait la passion de l’architecture et de la cosmologie. D’après lui, les Grands Rêveurs du monde rêvaient une infinité de rêves superposés comme les planches d’une armoire. Il voulait bâtir une tour géante capable de relier toutes les « planches de l’armoire », vers le haut comme vers le bas, et de gigantesques fondations furent entreprises. Cela coûtait énormément cher, mais la princesse Uzelmine ne savait lui refuser ses deniers, et quand il n’y en avait plus, on levait de nouveaux impôts. Cela aurait sûrement conduit à la révolution, si le prince Alazim n’avait également connu le secret de la Grande Sauce. Et c’est là, messires, ce que nous regrettons Car lorsqu’il disparut, le Prince saucier emporta son secret avec lui. Nos ancêtres acceptaient tout en échange de la Grande Sauce et vidaient leurs bourses joyeusement.
C’était une préparation spéciale qui avait le pouvoir de rendre les aliments très peu nourrissants, en sorte que grâce à elle, on pouvait s’empiffrer à longueur de journée tout en gardant sa ligne de jockey : le beurre et le cheval ! C’était le temps béni...
Puis un jour, Fulgur mourut. Et de ce jour, Alazim cessa de fabriquer la Grande Sauce, sans renoncer pourtant à ses folies de construction. Le peuple gronda. Et un beau matin, on trouva son sanctuaire fermé par une porte infranchissable. Alazim ne reparut plus et, au fil des temps, sa tour folle disparut. Seul subsista son sanctuaire.
Vous ne me croyez peut-être pas ? conclura le citadin. Allez au sanctuaire et essayez donc d’en ouvrir la porte, vous verrez ! Non seulement, c’est véridique, mais j’en connais qui seraient prêts à payer une fortune pour une seule cuillerée de Grande Sauce !...

Condiment alchimique
Recette pour une fiole de 20 cl. Extraire le jus d’une belle coucourgine bien mûre et conserver provisoirement dans une fiole hermétique. Hacher la pulpe jusqu’à consistance lapin (0), ajouter 2 pépins de boralm, et piler l’ensemble jusqu’à consistance lapin-lapin (-1). Introduire le jus que l’on aura conservé, faire chauffer le tout jusqu’à température bleu-vert (-2), et à ce moment précis, rajouter 3 pépins de nartha. Si la préparation se met à mousser abondamment, c’est signe de réussite.
Filtrer dans une fiole et laisser reposer 12 heures avant d’utiliser. Si aucune mousse n’apparaît, c’est qu’une erreur s’est glissée quelque part : le résultat obtenu n’a aucune vertu et tout doit être recommencé à zéro. Pratiquement, le joueur ne joue les jets de dés qu’à la fin de la préparation. Si un seul échoue, inutile de jouer les suivants : la préparation est perdue.


La Grande Sauce
La même légende pourra être répétée en divers endroits de Kerenbourg, variant parfois sur la forme, mais jamais sur le fond. Personne ne visite plus le sanctuaire, jugé sans intérêt, en sorte que les voyageurs peuvent facilement dissimuler qu’ils sont venus par là, et même y séjourner sans problème. En revanche, s’ils vendent la mèche, le sanctuaire sera officiellement déclaré monument historique, interdit d’accès et gardé, les Kerenbourgeois espérant y retrouver eux-mêmes le secret de la Grande Sauce.
En ce qui concerne cette préparation, c’était hélas le secret du Prince saucier ! Tout ce que l’on sait (et que les voyageurs pourront apprendre) c’est que l’ingrédient principal en était un fruit nommé coucourgine. Mais cela n’avance à rien, puisque nul ne sait à quoi il ressemble, ni où il pousse. Il est de même inconnu dans les royaumes extérieurs.
Si un voyageur réussit INTELLECT/Botanique à -7, il peut avoir appris quelque part que la coucourgine est un hybride de poire et de poivron, existant en variétés multicolores. Rien de plus.
Et c’est alors qu’lngmar s’écriera : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! »
Et d’expliquer que parmi les parchemins de son ancêtre se trouvait la recette à un condiment alchimique dont il n’avait pas jugé l’importance jusque là. L’ingrédient principal en était la coucourgine. « Cela n’avait pas l’air difficile, ajoutera-t-il, et il me semble pouvoir la réciter mot pour mot... » Et de la répéter effectivement aux voyageurs (voir la recette du Condiment alchimique ci-contre).
Les personnages devraient alors avoir l’idée de ressusciter la Grande Sauce, que ce soit par philanthropie ou par appât du gain. Une fois dépoussiéré, l’ancien laboratoire du Prince saucier se révèle tout à fait idoine, mais il reste le problème des ingrédients (qui sont naturellement tous absents) :

La névropenthe. Nécessaire à l’eau alchimiquement simple. Il en pousse des quantités tout autour du sanctuaire.

Le boralm. On en trouve sur les parois de la grande grotte (12).

Le nartha. Il peut être extrait de la narthalide, trouvable dans la même grotte, par disruption alchimique. (Tout personnage ayant au moins 0 en Alchimie est censé connaître la Reliquéfaction d’Algagath le Vieil ainsi que la Disruption alchimique).

Les coucourgines. C'est la que le bât blesse : où trouver ces satanés légumes ? Une visite à l’ancienne forêt interdite sera décevante comme un cul de sac. Ni gemmes, ni coucourgines, ni tigres.

Questions et réponses
Les joueurs devraient en principe avoir analysé l’analogie entre leur rêve sur le cheval à bascule et la légende du Prince saucier. Dans leur rêve, ils cueillent des gemmes mais se font rattraper par les tigres. Dans la légende, on ne sait pas ce que le prince faisait, mais il ne se laissait pas rattraper. Cueillait-il des gemmes ? Ou ne s’agirait-il pas plutôt de fruits brillants et multicolores, des coucourgines ? Pourquoi cessa-t-il précisément de fabriquer la Grande Sauce à la mort de son cheval ? Parce qu’il ne pouvait plus aller s’approvisionner ?
Le problème, peuvent penser les joueurs, est que l’antique forêt n’existe plus.
Réellement ? N’existe-t-elle pas toujours dans le rêve du cheval à bascule ?
Mais ce n’est qu’un rêve ! peuvent-ils se récrier.
Et alors ? que croyez-vous être en ce moment ? Le vrai problème n’est pas que ce soit un rêve, c’est que les tigres vous tuent avant que vous ne puissiez revenir à bon port. Que faudrait-il pour empêcher cela ? La bride magique, répondent les joueurs. Et voilà, vous avez tout compris.
La mort de Fulgur navra tant Alazim Ruboï qu’il lui donna sa tour en guise de tombeau, après l’avoir fait naturaliser et monter sur bascule pour qu’il ne cesse jamais de galoper (les anomalies de la fin du Second Age ont fait le reste). Puis il alla s’installer comme septimelier à la cité la plus proche, Karmalis, et y fabriqua des portes qui devaient sceller son histoire — tout cela sans même tirer gloriole de sa principale découverte : avoir réellement réussi à passer d’une « étagère » de rêve à une autre. Et c’est à Karmalis qu’il termina sa vie, après s’être marié et avoir donné son nom à un héritier. Depuis, les Ruboï ont toujours habité la maison ancestrale.
La bride se trouverait-elle toujours quelque part dans cette maison pleine de secret ?
Au gardien des rêves d’improviser la dernière partie de cette longue quête, les grandes lignes en étant maintenant toutes tracées : demi-tour à travers les étages périlleux de la tour ensevelie, puis dans la grande forêt jusqu’à Karmalis. Fouille de la maison Ruboï de fond en comble, où la bride devrait finalement être trouvée.
Lecture d’Aura magique indique une G.E.N. « donnant une vitesse inouïe au cheval qui la maîtrise, mais ne pouvant être maîtrisée qu’une seule fois ». Autrement dit, elle ne pouvait servir qu’à Fulgur, et cela explique pourquoi le mystérieux alchimiste n’a pas simplement changé de monture.
De retour au cheval à bascule, les personnages apercevront que la bride s’adapte parfaitement. Ensuite, tout sera comme dans un rêve, le même rêve, sauf que chacun, ayant cueilli une gemme colorée et galopant plus vite que le vent, réussira cette fois à échapper aux tigres. Et au réveil — en douceur, désormais — chacun constatera qu’il tient en main un fruit ventru et parfumé.
Les personnages réussiront-ils à fabriquer la Grande Sauce ? Dans l’affirmative, chaque fiole pourra être revendue 2 PO. Puis
Continueront-ils longtemps ce négoce, et tel l’antique Prince saucier, s’attarderont ils à Kerenbourg ? Cela fait déjà partie d’une autre histoire.

Aide de jeu - PRINCIPES D'ALCHIMIE