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Chien perdu avec collier
Ce jour-là, nos amis ont été priés à déjeuner par Lord
Andrew Milton dans son luxueux appartement londonien.
Un verre en main, hôte et invités bavardent gaiement
du temps qu’il fait en ce 24 mars 1922. C’est alors
qu’Archibald, le butler (majordome) de Lord Milton,
paraît et informe son maître que le repas risque fort
d’être retardé. « La cuisinière a eu quelques difficultés
d’approvisionnement, Mylord » explique-t-il si on lui
demande pourquoi (et chaque renseignement devra lui être
spécifiquement demandé, Archie est un vrai butler qui ne répond
qu’aux questions qu’on lui pose !). En fait, Mary-Elisabeth, femme
de chambre de Lady Milton (laquelle séjourne cette semaine
chez sa mère dans le Sussex), chargée ce jour de faire
quelques achats de victuailles, n’a pas accompli cette tâche.—
« Pourquoi donc, Archibald ? » (pensez à la chanson Tout va très
bien, Madame la Marquise) — « Parce qu’elle a erré toute la
matinée dans Regent’s Park »… « Elle y cherchait Willy,
Mylord »… « Parce qu’elle l’avait perdu »… « En le promenant ce
matin »…
Il serait amusant que les joueurs prennent d’abord Willy pour un
enfant — c’est en fait le fox-terrier de Lady Milton, et Lord Milton
est désespéré à l’idée de la scène atroce qui l’attend si Willy
n’est pas retrouvé avant le retour de son épouse.
L’interrogatoire de Mary-Elisabeth doit être mené avec doigté.
Les joueurs ne doivent pas se contenter de jeter les dés, ils doivent
vraiment baratiner, ou être éloquents ou argumenter, pour
apprendre le fin mot de l’histoire. En effet, la jeune et accorte
Mary-Beth (pour les intimes) profitait des promenades de Willy
pour retrouver Jasper, jeune homme exerçant l’honorable profession
de premier assistant du sous-chef jardinier de Regent’s
Park. Pendant que ce dernier lui faisait apprécier la qualité du
gazon des fourrés du parc, elle laissait Willy attaché à un banc
de bois. Bien sûr, elle cherchera à cacher son inconduite, racontant
des histoires abracadabrantes: chienne en chaleur affolant
Willy, dogue enragé poursuivant le pauvre fox-terrier, individu
louche rôdant dans les allées… Mais elle s’emmêle dans ses
histoires et peut même paraître suspecte. Aux joueurs de s’y
retrouver (le M.J. peut bien s’amuser à jouer Mary-Beth !).
Ce matin, au sortir des buissons, la jeune femme a retrouvé cassée
une traverse du banc auquel elle avait attaché Willy, et le
chien disparu. Elle jure que le banc était intact à son arrivée: le
chien a dû tirer sur sa laisse et casser la traverse de bois.
A la recherche de Willy
Bien entendu, les paragraphes précédents peuvent
être sans difficultés adaptés à Boston ou à Paris, par
exemple. Si les personnages sont parisiens, l’appartement
de leur riche ami se situera au mieux à
Vincennes, nous allons comprendre pourquoi. A propos,
l’idéal est que le propriétaire du chien soit l’un
des personnages-joueurs. Si aucun de ceux-ci ne
peut avoir le train de maison convenable, il faut
en faire d’excellents amis de Lord Milton, tout disposés
à l’aider à retrouver son chien perdu (pour des Anglais, c’est
plus facile: chacun sait qu’ils donnent beaucoup d’importance à
leurs animaux familiers). Si les personnages ne sont pas enthousiasmés
par la perspective de courir après le toutou, faites-leur
comprendre que la bienveillance d’un homme comme Lord
Milton, très riche d’argent et de relations bien placées, pourra
leur être extrêmement utile dans l’avenir.
La recherche de Willy sur les lieux du « crime » ne donnera rien,
sauf que…
1) La traverse a été mordue par le chien (ne l’indiquez que si les
personnages examinent le banc avec soin) avant qu’il ne réussisse
à la casser. Tout ceci est un comportement très surprenant
chez un brave toutou comme Willy, décrit comme intelligent,
affectueux, fidèle et obéissant (et c’est tout-à-fait exact !).
2) Un Trouver Objet Caché permettra de repérer sur le banc, du
côté où était attaché le chien, non pas un, mais une série de…
cacas d’oiseau. Un Zoologie difficile (malus de 20) ou la consultation
d’un expert (ornithologue, vétérinaire, marchand d’oiseaux)
indiquera que le « dépôt » provient d’une espèce exotique
de perroquet. Très étrange sous nos climats, non ? Vous me
direz, il faut être vicieux pour s’intéresser à ce genre de petites
choses, mais je le répète, à AdC, mieux vaut être du genre esprit
tordu que gros biceps.
A présent, les joueurs vont devoir se secouer les méninges.
Espérons qu’ils penseront:
— à passer une annonce dans les journaux du soir (Willy a un
collier où figurent les armoiries de Lord Milton… mais pas son
nom ni son adresse, ce serait d’un vulgaire, très cher !);
— à demander au Gardien des Arcanes quels bâtiments et quartiers
entourent Regent’s Park. Car, entre autres curiosités
(comme l’ambassade de Transylvanie, qui n’existe pas et n’a rien
à voir avec l’histoire, mais ça peut être drôle), on trouve le zoo
de Londres tout près de Regent’s Park.
— et surtout — c’est sans doute le plus direct — à demander
aux gardiens du parc s’ils ont aperçu Willy. Ils pourront
apprendre — s’ils s’y prennent avec un minimum de politesse,
jeu de rôle, jeu de rôle, même pour les petits détails ! — que le
chien a effectivement été vu, courant comme un dératé dans la
direction du zoo (vu la taille de celui-ci, il n’y a rien d’autre de ce
côté). Evidemment, il n’est pas certain que Willy soit entré dans
le zoo, mais il faut bien chercher quelque part, et tous les chiens
aiment les odeurs bizarres.
Une drôle de ménagerie
Pour le Gardien des Arcanes, il nous faut à présent lever le
voile
sur ce que cache ce zoo riche d’une foule d’animaux venus de
toutes les colonies de la Couronne.
Reginald Barton était vétérinaire et passionné d’occultisme.
Pendant la Guerre (la Der des der, vous savez), il s’occupait des
chevaux d’un bataillon d’artillerie mobile. Un jour de 1917, un
obus allemand de 240 mm tomba sur l’écurie où il travaillait. Il fut
enseveli sous des chevaux déchiquetés. On le releva grièvement
blessé et surtout — mais cela ne se voyait pas — complètement
fou. C’est dans un vieux château français transformé en hôpital,
où il était soigné, qu’il fit la fatale trouvaille: au fond d’un coffre
moisi, dans la bibliothèque, un exemplaire du Livre des Maîtres
qui Viendront, écrit au XVIIIe siècle par le moine défroqué
Hégésippe le Borgne. Rentré à Londres, Barton entreprit de
favoriser la venue des Maîtres en question. Il se fit engager au
zoo, dont il devint rapidement sous-directeur — et véritable
patron, le directeur officiel, Mr Mac Cullough, lui manifestant une
confiance aveugle depuis l’ingestion d’un cocktail préparé suivant
une recette de frère Hégésippe. Au reste, depuis six mois
au moins, le directeur ne met plus les pieds au zoo en raison
d’une allergie subite aux poils et aux plumes, apparue après que
Réginald lui ait offert un certain bouquet de fleurs.
Profitant du départ et du décès prématuré pour cause de guerre
mondiale d’un grand nombre de gardiens, Barton a fait engager
un personnel tout dévoué à sa cause, car sélectionné suivant
des critères très particuliers. Il n’y a plus dans le zoo que
quelques gardiens âgés à ne pas faire partie de cette troupe de
fous dangereux, et ils sont « généreusement » dispensés de corvées
nocturnes et de travail dans le lazaret — le secteur du zoo
où sont installés les animaux nouveaux venus pour quelques
mois d’acclimatation.
Barton — aujourd’hui un grand et gros homme très brun, forte
moustache et oeil sombre et brillant — a fait entourer le lazaret
d’une grille qui en fait un zoo à l’intérieur du zoo. Pourtant,
depuis plus de six mois, aucun animal nouveau n’y a été introduit,
les archives administratives du zoo pourraient en témoigner…
si on pouvait les consulter ! C’est que le grand prêtre des
Maîtres à Venir est sur le point d’arriver à ses fins. Après
quelques amusettes, prises de contact avec quelques goules et
autres horreurs mineures hantant vieux cimetières, égouts désaffectés
et tunnels de métro, il est entré en contact mental avec les
Maîtres. Ceux-ci ne sont autre que des représentants d’une race
extraterrestre jadis puissante, mais aujourd’hui dégénérée et survivant
de rapines grâce aux restes de leur antique science, totalement
orientés vers le mal et la souffrance.
Il n’y a que deux grains de sable dans la machine infernale de
Barton. Le premier est un homme jeune, amoureux des animaux,
qui a terminé la guerre couvert de décorations et ayant
gagné l’amitié d’un général bien placé au ministère de la Guerre.
Cet appui ministériel a obligé Barton à accepter Paul Phillips —
c’est son nom — dans le personnel du zoo. Il est tenu à l’écart
du lazaret, mais il est plus curieux que les quelques vieux gardiens
survivants d’avant-guerre. Il sait que les chiens errants
égarés dans le zoo et capturés par les gardiens ne sont pas
livrés à la fourrière. Il sait que ses collègues apportent parfois de
nuit d’étranges colis. Surtout, il trouve qu’il y a quelque chose de
bizarre dans le comportement des animaux. Paul Phillips peut
devenir un PNJ intéressant, s’il survit à sa rencontre avec les
goules (voir plus loin), qui s’impliquera volontiers dans l’histoire
au côté des personnages.
Nous parlerons plus loin du second grain de sable.
Une grosse boule de papier
Revenons à nos courageux investigateurs. Si ils enquêtent au
zoo, dans l’après-midi, ils ne pourront pas constater grandchose,
en dehors du fait que la plupart des gardiens sont jeunes
et peu aimables. Ils peuvent découvrir la grille du lazaret, dûment
signalée par des pancartes: « Lazaret. Entrée interdite ». Ils ne
verront rien de l’intérieur, masqué par un rideau de végétation et
des entrepôts. Ils peuvent aussi se lier avec l’un des rares vieux
gardiens. Si ils sont assez convaincants, le vieux promettra de
penser à eux au cas où… En fait, il se propose d’en parler à
Paul Phillips, qui quitte son service en début d’après-midi et que
les investigateurs ne pourront donc rencontrer.
Si par ailleurs un personnage se renseigne à la fourrière, il pourra
— à condition de se montrer un peu curieux (si on ne se
montre pas curieux à AdC, mieux vaut aller gros-biller ailleurs)
—apprendre que la « récolte » de chiens par la fourrière est en
baisse ces derniers mois. Si (mais c’est peu probable, ils n’ont
guère de raison de le faire) un personnage cherchait du côté de
la police ou des journaux populaires, il pourrait découvrir que la
population des clochards suit la même courbe descendante que
celle des cabots errants. Mais tout cela n’intéresse pas grand monde.
En fait, Paul Phillips a aperçu Willy (entré dans le zoo en passant
par… un terrier bien sûr) après que celui-ci ait « pris livraison » du
message. Sachant que son sort risquait d’être funeste, il
l’a apprivoisé, attrapé (Paul sait y faire avec les animaux) et
emporté chez lui, dans un modeste immeuble presque désert
des bas quartiers. Hélas, sans qu’il le sache, un de ses jeunes
collègues l’a vu faire.
Dans la soirée, Paul, prévenu par son ami le vieux gardien ou
par la lecture d’une petite annonce, fait avertir Lord Milton (il y a
un seul téléphone dans l’immeuble, au rez-de-chaussée: celui
d’une épicerie, qui ferme vers 19 heures). Il est inquiet, craint
d’être agressé si il sort et demande qu’on vienne le chercher.
Trois solutions alors.
1) Petite annonce: les investigateurs arrivent chez Paul, qui a pu
téléphoner, vers 21 heures (la nuit est déjà noire, des nuages
masquent une lune presque pleine).
2) Transmission par le vieux gardien: l’épicerie est fermée, c’est
le vieux qui portera le message, les investigateurs n’arrivent que
vers 22 heures.
3) Ni l’un ni l’autre: les investigateurs liront le reste dans le
journal
du matin.
Cas 1 — Alors que nos amis viennent d’entrer dans le
modeste
appartement de Paul, des coups violents ébranlent puis démolissent
la porte. Ce sont 1d4 + 1 goules, envoyées par Barton, qui
sont arrivées par la trappe d’égout qui se trouve devant la porte.
A leur vue, pour les personnages qui réussissent leur jet de
SAN, perte de 1 point de SAN par goule. Pour ceux qui le ratent,
perte du même nombre plus 1d4. Le combat sera sans merci.
Barton a décidé de se débarrasser une fois pour toutes de
Phillips qui est une menace permanante pour ses activités car
c’est un élément incontrôlé.
Cas 2 — Nos amis trouvent la porte enfoncée, du sang
partout,
et le corps déchiqueté du malheureux Paul, qui serre encore une
baïonnette, souvenir de guerre, dans son poing crispé. Double
horreur: le corps a été à moitié dévoré. Triple horreur: à côté de
Paul gît une goule, bel et bien morte — Paul était un soldat d’élite.
Pour tout cela, perte de 4 ou 4 + 1d6 points de SAN (en cas
de folie temporaire, si il y a phobie post-critique, ce sera une
hématophobie — phobie du sang).
Sous un meuble traîne la laisse de Willy…
Cas 3 — La mort de Paul est relatée dans les journaux le
lendemain
matin, car une patrouille de police a trouvé suspecte la
porte béante du bâtiment et a découvert le carnage.
Dans les cas 2 et 3, Willy a pu s’enfuir et vers 9 heures du
matin, crotté de façon invraissemblable (et même ensanglanté si
on regarde bien), il rentre à la maison tout seul. Avant de se jeter
sur sa pâtée, il va déposer fièrement aux pieds de son maître
une grosse boule de papiers (qui, dans le cas 1, est « remise »
par le brave toutou dès que son maître arrive chez Paul Phillips).
Le Professeur Roger Gregson
Cette boule de papiers est composée d’un invraissemblable
agglomérat de tous les fonds de corbeille du zoo: pages de journaux,
prospectus, emballages de chocolats, sacs variés… Tout
ce « papier à lettres » improvisé est couvert d’une fine écriture au
crayon (pas de stylos bille en 1922 !). Hélas, plusieurs pages
manquent et d’autres ont été presque rendues illisibles (en autre
par la bave de Willy).
Le début même du texte a disparu.
« (…) retraite récente me laissant des loisirs, je suis devenu un
visiteur assidu du grand zoo de Londres. On ne se refait pas:
toute une vie de professeur de zoologie laisse forcément des
traces. Au bout de quelque temps, je fus frappé par des comportements
fort curieux de la part des animaux, ressemblant par
bien des aspects au « syndrome pré- catastrophique » que j’ai
décrit lors d’une de mes conférences au British Museum à partir
d’observations réalisées au Pundjab en 1907. C’est ainsi que
(…) » (lignes maculées et page perdue).
« (…) heurtant à une mauvaise volonté et à une incompétence
inadmissible de la part de l’administration du zoo. Je tentai d’aller
voir le directeur, Mc Cullough, mais depuis notre dernière rencontre
il y a dix ou douze ans, il me paraît être devenu gâteux —
il doit pourtant être plus jeune que moi ! Il s’est de plus entiché
de ce damné Barton et (…)
(…) décidai de tirer l’affaire au clair en me cachant dans le zoo
afin d’y observer le comportement nocturne des animaux. J’étais
sûr de découvrir ainsi les clefs de l’énigme. Je ne devais pas
être déçu !
Le 25 février, je me laissai donc enfermer dans l’enceinte.
La nuit tombée et les déambulations des gardiens terminées,
je me mis à explorer les allées, à la lueur de la pleine lune.
Très vite, mes observations furent confirmées. Et surtout, je me
rendis compte d’une activité très curieuse dans le lazaret.
Profitant d’une distraction d’un gardien qui en sortit en oubliant
de verrouiller la petite porte, je parvins (…)
(…) horreur indicible qui m’étreignait. Je ne sais comment je parvins
à m’enfuir, mais je fus aperçu et poursuivi et j’ignore encore
par quel miracle j’ai abouti sous la protection de mes solides
amis, qui me cachent et me nourrissent de leur mieux. Par quel
miracle cela se peut-il ? Comment ont-ils deviné mes besoins de
papier et de crayon ? Mais mon crayon justement s’épuise. Pour
l’amour du Ciel, qui que vous soyez, agissez. Car l’horreur guette
Londres, et peut-être bien plus. »
La signature est maculée. Robson, Grayson, Gregson ? On distingue
le prénom: Roger.
Si avec tout cela, vos investigateurs ne réussissent pas (par
l’intermédiaire
des archives du British Museum notamment) à
retrouver la trace du professeur Roger Gregson, grain de sable
n° 2, c’est qu’il dorment !
A l’adresse indiquée par le Museum (pour Paris, remplacez-le
par le Jardin des Plantes), la logeuse monte la garde. C’est une
dame de poids, Irlandaise et veuve d’Irlandais, buvant par fidélité
chaque jour la ration de whiskey de feu Gerald Mallory (son
homme) avec la sienne propre. Elle enrage, car le professeur
(dont elle tient le ménage) ne lui avait pas dit mot d’une absence
qui se prolonge depuis un mois ! Non elle n’a pas prévenu la police:
elle est irlandaise catholique et ne porte pas dans son coeur
les forces de répression anglaises. (Dans le cas d’investigateurs
français, remplacez l’Irlandaise par une Corse animée des
mêmes sentiments). Si les personnages sont très diplomates (ils
peuvent se dire journalistes, parler d’un reportage sur le professeur
et proposer de prendre en photo la veuve Mallory dans l’appartement
de Roger Gregson), elle leur permettra de visiter les
lieux. On pourra (Trouver Objet Caché) y découvrir de nombreuses
photos prises au zoo et (Bibliothèque) extraire d’un
monceau de papiers le texte d’une conférence sur le « syndrome
pré-catastrophique » chez les animaux. Le professeur y explique
que, face à l’imminence d’un cataclysme qui les terrifie (tremblement
de terre, incendie de forêt), des animaux aussi différents
que des tigres et des antilopes peuvent adopter des comportements
d’inquiétude similaires, et même montrer tous les signes
d’une angoisse quasi humaine.
C’est beau un zoo la nuit
Vous vous doutez à présent de ce qui s’est passé. Il est
probable
que nos amis vont s’efforcer d’imiter le professeur… Noteront-ils
que nous sommes maintenant le 25 mars, donc que la lune est
pleine, comme elle l’était le soir de la disparition de Roger
Gregson ? Espérons qu’ils se muniront de quelques arguments
solides (pistolets, couteaux, petits outils… plus serait peu
vraisemblable)
avant de se laisser enfermer dans le zoo.
Ils remarqueront que des patrouilles de deux ou trois gardiens
arpentent les allées et surveillent les grilles. Elles sortent du
lazaret et y retournent. Il faudra faire un sort en silence à une
patrouille pour se procurer une clef. Les gardiens sont armés
(pistolets, couteaux), bien qu’il ne s’agisse pas d’experts — ils
sont même plutôt maladroits. En cas de bruit (détonations), si les
personnages ont pris garde d’agir assez loin du lazaret, indiquez-
leur que les animaux, dès que la bagarre commence à être
bruyante, se mettent à barrir, rugir, hennir… dans tout le zoo
(pour couvrir les bruits suspects).
Bref, nos amis parviennent à pénétrer dans le lazaret. Les premières
cages sont désertes, inoccupées depuis des mois. Seul,
au centre, un espace est éclairé: une vaste fosse bétonnée destinée
à des crocodiles et autres grosses bêtes écailleuses plus
ou moins marécageophiles.
L’horreur de rigueur
C’est là que se cache l’horreur de rigueur dans tout scénario
d’AdC un tant soit peu respectueux de tonton H.P.L.
Au bord de la fosse, sous la lueur de quelques lampes et d’une
pleine lune boursouflée, une quinzaine de gardiens sont réunis,
psalmodiant une mélopée aux paroles gutturales dont les
accents lugubres glacent le sang dans les veines des plus
aguerris (pas mal, cette phrase, hein ? Vous pouvez la reprendre
sans frais, je vous conseille un ton caverneux et une pièce éclairée
par
une chandelle unique, de préférence vacillante).
Au fond de la fosse, Reginald Barton, vêtu d'une longue robe verdâtre,
nourrit
ses six pensionnaires, disposés en demi-cercle devant lui. Aargh !
A première vue, on croirait voir des hybrides de crapaud buffle et de
crocodile.
Du premier, ils ont les pattes postérieures tzillées pour le saut, les
pattes avant
semblent préhensiles (et, horreur ! le sont effectivement, mais aussi
armées de griffes redoutables),
le cou goitreux eeet les yeux globuleux. Du second, le croco, ils ont
les écailles, la queue en fléau meurtrier,
les machoires hyper-dentues, et surtout... la taille. La taille d'un
modèle adulte, du genre que l'on rencontre
dans les fleuves africains, quand ils ont dévoré tout un village.
Enormes !
Mais le plus atroce peut-être est que leur regard brille d'une terrible
lueur, dont la signification est confirmée
par l'enflure du crâne, bombé de façon obscène (H.P.L. serait content
de mi, là !): ces monstruosités sont non seulement méchantes
(vous aviez pigé, je parie !) mais intelligentes ! Elles sont aussi
porteuse d'un dispositif bionique implanté dans leur organisme grâce à
la science de leurs ancêtres et qui agit un peu comme les " boucliers "
utilisés dans Dune : tout ce qui va vite ne peut pas les atteindre, "
absorbé " en quelque sorte dans une autre dimension. Alors balle, obus,
flèches...
rien à faire; ces horreurs sont vulnérables, mais au corps à corps et
seulement si on a la force de percer leurs écailles.
Dur dur pour l'humain moyen.
Mais je parlais du repas de ces
charmantes bestioles: Barton leur jette des animaux vivants, dont des
chiens et,
pour la bonne gueule, traîne devant les monstres le corps d'un homme,
visiblement une clochard, certainement encore vivant (rien à faire pour
le sauver).
Les bêtes repues (les investigateurs doivent s'approcher avec
précaution, il est facile d'apercevoir trois ou quatre gardes armés de
fusil), une terrifiante cérémonie commence.
Le silence le plus profond se fait, puis résonne la voix de Barton,
éructant des syllabes maléfiques auxquelles répondent d'atroces
sifflements émis par les monstres.
Une brume apparaît au centre du demi-cercle formé par les susdits et se
condense peu à peu. En quelques minutes, un septième monstre se
matérialise au milieu de ses frères. Comme à chaque pleine lune depuis
six mois.
Bien sûr, tout ce spectacle est coûteux en points de SAN. Jet de dé
sous la SAN réussi : 1d6+3 points perdus. Jet raté = retirer, si le
second jet est réussi, la perte sera de 2d6+3, si il est aussi raté, la
perte sera de 3d6+3. Si les investigateurs pensent à se boucher les
oreilles et/ou s'efforcent d'échapper aux moments les plus atroces
(fermer les yeux quand le clochard est dévoré ou quand le n°7
apparaît),
le " +3 " de perte n'est pas compté.
Nos amis sont de toute façon trop bouleversés pour faire, quelque chose
avant la fin de l'odieuse cérémonie. Ils peuvent alors tenter d'agir
en ouvrant le feu sur les bêtes (inutile bien sur: les projectiles
disparaissent dans une éclair lumineux dans un espace d'un mètre à
quelques centimètres de leurs écailles) ou sur Barton
(c'est une meilleur idée), ou ils peuvent s'enfuir. Dans tous les cas,
ils sont repérés et pris en chasse. Bien sûr, si Barton est mort ou
sérieusement touché, les poursuivants seront très désorganisés.
Des alliés inespérés
Ils parviendront sans mal à ressortir du lazaret comme ils y sont
entrés, mais pour s'apercevoir que le zoo est une souricière (!): à
chaque porte sont embusqués des gardiens armés prêts à tirer les
fuyards comme des lapins. La chance des investigateurs est que les
monstres mettent quelque temps à récuperer du transfert interstellaire
qui vient d'avoir lieu, surtout si Barton a été tué. Nos amis ont donc
un moment pour réflechir,
dans les allées obscures du zoo, avant que les horreurs, dont l'odorat
est infaillible, ne leur courent après.
Espérons que, avec l'aide des jappements et des bonds de Willy, qui les
a sans doute accompagnés, ils comprendront la signification des
rugissements et grondements des lions, tigres, panthères, ours, loups,
etc... Il faut les libérer, si besoin est en tirant dans les serrures
des cages et des portes des enclos, malgré la peur que les fauves
peuvent inspirer. Mais devant ces alliés inespérés, deux obstacles: les
gardiens armés et la grille du lazaret.
Quel personnage futé pensera alors à libérer éléphants et rhinocéros,
tout aussi excités que les carnassiers ? Couverts par un tir nourri de
nos amis, les pachydermes se ruent sur les grilles. Mus par une fureur
formidable, ils les défoncent et les fauves s'engouffrent dans la
brèche.
La suite est un combat sanglant, terrifiant et sans merci. Force
restera aux défenseurs de notre planète...
A la fin de la nuit, les "bêtes" mortes, les animaux (vous voyez la
différence ?) survivants errent sans but dans le zoo puis regagnent
leur cage. Les gardiens qui n'ont pas été tués sont devenus des crétins
bavants. Barton a été - mort ou vif - projeté pendant la bagarre à une
hauteur impressionnante par le plus gros des éléphants.
Une enquête dans son appartement pourra révéler ses antécédents et
permettre de retrouver divers ouvrages très maléfiques, très couteux en
SAN et très inutiles.
Alors, dans les premières lueurs de l'aube, l'on voit surgir du fond de
la caverne des ours... vous avez deviné : le professeur Gregson, qui
n'est pour rien dans l'action concertée des animaux.
Quel joueur malin comprendra que Willy a été " prévenu " par un oiseau
tropical évadé, qu'il a couru chercher la "lettre" de Gregson, que
celui-ci a été caché par les ours (dont l'odeur l'a protégé des
investigations des Bêtes), dans la fosse desquelles il était tombé en
s'enfuyant... Et que le papier à lettre improvisé a été récupéré un peu
partout par les singes, qui se sont débrouillés pour le faire parvenir
aux ours:
dans beaucoup de zoos, divers oetits animaux apprivoisés, dont les
singes, sont en semi-liberté dans la journée pour l'amusement des
visiteurs.
" Mais, s'est exclamé un de " mes " joueurs, nous avons été tout du
long manipulé par les animaux ! ". Donnez droit à un tel petit génie à
1d20 (minimum 10) + 1d6 de récupération de SAN et aux autres 1d20
(minimum 10), qu'ils auront mérité.
Et la prochaine fois que vous irez au zoo, saluez de ma part le plus
gros des éléphants.
scénario - Frank Stora ((NDLR: hé oui! le même que le
spécialiste
d'Air Force et de Tank Leader! La preuve que wargame et jeu de rôle ne
s'excluent pas! )
illustration - Rolland Barthélémy
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