Une Visite au Zoo

Casus Belli N° 54 - octobre 1989

Chien perdu avec collier

Ce jour-là, nos amis ont été priés à déjeuner par Lord Andrew Milton dans son luxueux appartement londonien. Un verre en main, hôte et invités bavardent gaiement du temps qu’il fait en ce 24 mars 1922. C’est alors qu’Archibald, le butler (majordome) de Lord Milton, paraît et informe son maître que le repas risque fort d’être retardé. « La cuisinière a eu quelques difficultés d’approvisionnement, Mylord » explique-t-il si on lui demande pourquoi (et chaque renseignement devra lui être spécifiquement demandé, Archie est un vrai butler qui ne répond qu’aux questions qu’on lui pose !). En fait, Mary-Elisabeth, femme de chambre de Lady Milton (laquelle séjourne cette semaine chez sa mère dans le Sussex), chargée ce jour de faire quelques achats de victuailles, n’a pas accompli cette tâche.— « Pourquoi donc, Archibald ? » (pensez à la chanson Tout va très bien, Madame la Marquise) — « Parce qu’elle a erré toute la matinée dans Regent’s Park »… « Elle y cherchait Willy, Mylord »… « Parce qu’elle l’avait perdu »… « En le promenant ce matin »…
Il serait amusant que les joueurs prennent d’abord Willy pour un enfant — c’est en fait le fox-terrier de Lady Milton, et Lord Milton est désespéré à l’idée de la scène atroce qui l’attend si Willy n’est pas retrouvé avant le retour de son épouse. L’interrogatoire de Mary-Elisabeth doit être mené avec doigté. Les joueurs ne doivent pas se contenter de jeter les dés, ils doivent vraiment baratiner, ou être éloquents ou argumenter, pour apprendre le fin mot de l’histoire. En effet, la jeune et accorte Mary-Beth (pour les intimes) profitait des promenades de Willy pour retrouver Jasper, jeune homme exerçant l’honorable profession de premier assistant du sous-chef jardinier de Regent’s Park. Pendant que ce dernier lui faisait apprécier la qualité du gazon des fourrés du parc, elle laissait Willy attaché à un banc de bois. Bien sûr, elle cherchera à cacher son inconduite, racontant des histoires abracadabrantes: chienne en chaleur affolant Willy, dogue enragé poursuivant le pauvre fox-terrier, individu louche rôdant dans les allées… Mais elle s’emmêle dans ses histoires et peut même paraître suspecte. Aux joueurs de s’y retrouver (le M.J. peut bien s’amuser à jouer Mary-Beth !).
Ce matin, au sortir des buissons, la jeune femme a retrouvé cassée une traverse du banc auquel elle avait attaché Willy, et le chien disparu. Elle jure que le banc était intact à son arrivée: le chien a dû tirer sur sa laisse et casser la traverse de bois.

A la recherche de Willy

Bien entendu, les paragraphes précédents peuvent être sans difficultés adaptés à Boston ou à Paris, par exemple. Si les personnages sont parisiens, l’appartement de leur riche ami se situera au mieux à Vincennes, nous allons comprendre pourquoi. A propos, l’idéal est que le propriétaire du chien soit l’un des personnages-joueurs. Si aucun de ceux-ci ne peut avoir le train de maison convenable, il faut en faire d’excellents amis de Lord Milton, tout disposés à l’aider à retrouver son chien perdu (pour des Anglais, c’est plus facile: chacun sait qu’ils donnent beaucoup d’importance à leurs animaux familiers). Si les personnages ne sont pas enthousiasmés par la perspective de courir après le toutou, faites-leur comprendre que la bienveillance d’un homme comme Lord Milton, très riche d’argent et de relations bien placées, pourra leur être extrêmement utile dans l’avenir. La recherche de Willy sur les lieux du « crime » ne donnera rien, sauf que…

1) La traverse a été mordue par le chien (ne l’indiquez que si les personnages examinent le banc avec soin) avant qu’il ne réussisse à la casser. Tout ceci est un comportement très surprenant chez un brave toutou comme Willy, décrit comme intelligent, affectueux, fidèle et obéissant (et c’est tout-à-fait exact !).

2) Un Trouver Objet Caché permettra de repérer sur le banc, du côté où était attaché le chien, non pas un, mais une série de… cacas d’oiseau. Un Zoologie difficile (malus de 20) ou la consultation d’un expert (ornithologue, vétérinaire, marchand d’oiseaux) indiquera que le « dépôt » provient d’une espèce exotique de perroquet. Très étrange sous nos climats, non ? Vous me direz, il faut être vicieux pour s’intéresser à ce genre de petites choses, mais je le répète, à AdC, mieux vaut être du genre esprit tordu que gros biceps.

A présent, les joueurs vont devoir se secouer les méninges. Espérons qu’ils penseront:

— à passer une annonce dans les journaux du soir (Willy a un collier où figurent les armoiries de Lord Milton… mais pas son nom ni son adresse, ce serait d’un vulgaire, très cher !);

— à demander au Gardien des Arcanes quels bâtiments et quartiers entourent Regent’s Park. Car, entre autres curiosités (comme l’ambassade de Transylvanie, qui n’existe pas et n’a rien à voir avec l’histoire, mais ça peut être drôle), on trouve le zoo de Londres tout près de Regent’s Park.

— et surtout — c’est sans doute le plus direct — à demander aux gardiens du parc s’ils ont aperçu Willy. Ils pourront apprendre — s’ils s’y prennent avec un minimum de politesse, jeu de rôle, jeu de rôle, même pour les petits détails ! — que le chien a effectivement été vu, courant comme un dératé dans la direction du zoo (vu la taille de celui-ci, il n’y a rien d’autre de ce côté). Evidemment, il n’est pas certain que Willy soit entré dans le zoo, mais il faut bien chercher quelque part, et tous les chiens aiment les odeurs bizarres.

Une drôle de ménagerie

Pour le Gardien des Arcanes, il nous faut à présent lever le voile sur ce que cache ce zoo riche d’une foule d’animaux venus de toutes les colonies de la Couronne.
Reginald Barton était vétérinaire et passionné d’occultisme. Pendant la Guerre (la Der des der, vous savez), il s’occupait des chevaux d’un bataillon d’artillerie mobile. Un jour de 1917, un obus allemand de 240 mm tomba sur l’écurie où il travaillait. Il fut enseveli sous des chevaux déchiquetés. On le releva grièvement blessé et surtout — mais cela ne se voyait pas — complètement fou. C’est dans un vieux château français transformé en hôpital, où il était soigné, qu’il fit la fatale trouvaille: au fond d’un coffre moisi, dans la bibliothèque, un exemplaire du Livre des Maîtres qui Viendront, écrit au XVIIIe siècle par le moine défroqué Hégésippe le Borgne. Rentré à Londres, Barton entreprit de favoriser la venue des Maîtres en question. Il se fit engager au zoo, dont il devint rapidement sous-directeur — et véritable patron, le directeur officiel, Mr Mac Cullough, lui manifestant une confiance aveugle depuis l’ingestion d’un cocktail préparé suivant une recette de frère Hégésippe. Au reste, depuis six mois au moins, le directeur ne met plus les pieds au zoo en raison d’une allergie subite aux poils et aux plumes, apparue après que Réginald lui ait offert un certain bouquet de fleurs.
Profitant du départ et du décès prématuré pour cause de guerre mondiale d’un grand nombre de gardiens, Barton a fait engager un personnel tout dévoué à sa cause, car sélectionné suivant des critères très particuliers. Il n’y a plus dans le zoo que quelques gardiens âgés à ne pas faire partie de cette troupe de fous dangereux, et ils sont « généreusement » dispensés de corvées nocturnes et de travail dans le lazaret — le secteur du zoo où sont installés les animaux nouveaux venus pour quelques mois d’acclimatation.
Barton — aujourd’hui un grand et gros homme très brun, forte moustache et oeil sombre et brillant — a fait entourer le lazaret d’une grille qui en fait un zoo à l’intérieur du zoo. Pourtant, depuis plus de six mois, aucun animal nouveau n’y a été introduit, les archives administratives du zoo pourraient en témoigner… si on pouvait les consulter ! C’est que le grand prêtre des Maîtres à Venir est sur le point d’arriver à ses fins. Après quelques amusettes, prises de contact avec quelques goules et autres horreurs mineures hantant vieux cimetières, égouts désaffectés et tunnels de métro, il est entré en contact mental avec les Maîtres. Ceux-ci ne sont autre que des représentants d’une race extraterrestre jadis puissante, mais aujourd’hui dégénérée et survivant de rapines grâce aux restes de leur antique science, totalement orientés vers le mal et la souffrance.
Il n’y a que deux grains de sable dans la machine infernale de Barton. Le premier est un homme jeune, amoureux des animaux, qui a terminé la guerre couvert de décorations et ayant gagné l’amitié d’un général bien placé au ministère de la Guerre. Cet appui ministériel a obligé Barton à accepter Paul Phillips — c’est son nom — dans le personnel du zoo. Il est tenu à l’écart du lazaret, mais il est plus curieux que les quelques vieux gardiens survivants d’avant-guerre. Il sait que les chiens errants égarés dans le zoo et capturés par les gardiens ne sont pas livrés à la fourrière. Il sait que ses collègues apportent parfois de nuit d’étranges colis. Surtout, il trouve qu’il y a quelque chose de bizarre dans le comportement des animaux. Paul Phillips peut devenir un PNJ intéressant, s’il survit à sa rencontre avec les goules (voir plus loin), qui s’impliquera volontiers dans l’histoire au côté des personnages.
Nous parlerons plus loin du second grain de sable.

Une grosse boule de papier

Revenons à nos courageux investigateurs. Si ils enquêtent au zoo, dans l’après-midi, ils ne pourront pas constater grandchose, en dehors du fait que la plupart des gardiens sont jeunes et peu aimables. Ils peuvent découvrir la grille du lazaret, dûment signalée par des pancartes: « Lazaret. Entrée interdite ». Ils ne verront rien de l’intérieur, masqué par un rideau de végétation et des entrepôts. Ils peuvent aussi se lier avec l’un des rares vieux gardiens. Si ils sont assez convaincants, le vieux promettra de penser à eux au cas où… En fait, il se propose d’en parler à Paul Phillips, qui quitte son service en début d’après-midi et que les investigateurs ne pourront donc rencontrer.
Si par ailleurs un personnage se renseigne à la fourrière, il pourra — à condition de se montrer un peu curieux (si on ne se montre pas curieux à AdC, mieux vaut aller gros-biller ailleurs) —apprendre que la « récolte » de chiens par la fourrière est en baisse ces derniers mois. Si (mais c’est peu probable, ils n’ont guère de raison de le faire) un personnage cherchait du côté de la police ou des journaux populaires, il pourrait découvrir que la population des clochards suit la même courbe descendante que celle des cabots errants. Mais tout cela n’intéresse pas grand monde.
En fait, Paul Phillips a aperçu Willy (entré dans le zoo en passant par… un terrier bien sûr) après que celui-ci ait « pris livraison » du message. Sachant que son sort risquait d’être funeste, il l’a apprivoisé, attrapé (Paul sait y faire avec les animaux) et emporté chez lui, dans un modeste immeuble presque désert des bas quartiers. Hélas, sans qu’il le sache, un de ses jeunes collègues l’a vu faire.
Dans la soirée, Paul, prévenu par son ami le vieux gardien ou par la lecture d’une petite annonce, fait avertir Lord Milton (il y a un seul téléphone dans l’immeuble, au rez-de-chaussée: celui d’une épicerie, qui ferme vers 19 heures). Il est inquiet, craint d’être agressé si il sort et demande qu’on vienne le chercher.

Trois solutions alors.
1) Petite annonce: les investigateurs arrivent chez Paul, qui a pu téléphoner, vers 21 heures (la nuit est déjà noire, des nuages masquent une lune presque pleine).

2) Transmission par le vieux gardien: l’épicerie est fermée, c’est le vieux qui portera le message, les investigateurs n’arrivent que vers 22 heures.

3) Ni l’un ni l’autre: les investigateurs liront le reste dans le journal du matin.

Cas 1 — Alors que nos amis viennent d’entrer dans le modeste appartement de Paul, des coups violents ébranlent puis démolissent la porte. Ce sont 1d4 + 1 goules, envoyées par Barton, qui sont arrivées par la trappe d’égout qui se trouve devant la porte. A leur vue, pour les personnages qui réussissent leur jet de SAN, perte de 1 point de SAN par goule. Pour ceux qui le ratent, perte du même nombre plus 1d4. Le combat sera sans merci.
Barton a décidé de se débarrasser une fois pour toutes de Phillips qui est une menace permanante pour ses activités car c’est un élément incontrôlé.

Cas 2 — Nos amis trouvent la porte enfoncée, du sang partout, et le corps déchiqueté du malheureux Paul, qui serre encore une baïonnette, souvenir de guerre, dans son poing crispé. Double horreur: le corps a été à moitié dévoré. Triple horreur: à côté de Paul gît une goule, bel et bien morte — Paul était un soldat d’élite. Pour tout cela, perte de 4 ou 4 + 1d6 points de SAN (en cas de folie temporaire, si il y a phobie post-critique, ce sera une hématophobie — phobie du sang).
Sous un meuble traîne la laisse de Willy…

Cas 3 — La mort de Paul est relatée dans les journaux le lendemain matin, car une patrouille de police a trouvé suspecte la porte béante du bâtiment et a découvert le carnage.
Dans les cas 2 et 3, Willy a pu s’enfuir et vers 9 heures du matin, crotté de façon invraissemblable (et même ensanglanté si on regarde bien), il rentre à la maison tout seul. Avant de se jeter sur sa pâtée, il va déposer fièrement aux pieds de son maître une grosse boule de papiers (qui, dans le cas 1, est « remise » par le brave toutou dès que son maître arrive chez Paul Phillips).

Le Professeur Roger Gregson

Cette boule de papiers est composée d’un invraissemblable agglomérat de tous les fonds de corbeille du zoo: pages de journaux, prospectus, emballages de chocolats, sacs variés… Tout ce « papier à lettres » improvisé est couvert d’une fine écriture au crayon (pas de stylos bille en 1922 !). Hélas, plusieurs pages manquent et d’autres ont été presque rendues illisibles (en autre par la bave de Willy).
Le début même du texte a disparu.
« (…) retraite récente me laissant des loisirs, je suis devenu un visiteur assidu du grand zoo de Londres. On ne se refait pas: toute une vie de professeur de zoologie laisse forcément des traces. Au bout de quelque temps, je fus frappé par des comportements fort curieux de la part des animaux, ressemblant par bien des aspects au « syndrome pré- catastrophique » que j’ai décrit lors d’une de mes conférences au British Museum à partir d’observations réalisées au Pundjab en 1907. C’est ainsi que (…) » (lignes maculées et page perdue).
« (…) heurtant à une mauvaise volonté et à une incompétence inadmissible de la part de l’administration du zoo. Je tentai d’aller voir le directeur, Mc Cullough, mais depuis notre dernière rencontre il y a dix ou douze ans, il me paraît être devenu gâteux — il doit pourtant être plus jeune que moi ! Il s’est de plus entiché de ce damné Barton et (…)
(…) décidai de tirer l’affaire au clair en me cachant dans le zoo afin d’y observer le comportement nocturne des animaux. J’étais sûr de découvrir ainsi les clefs de l’énigme. Je ne devais pas être déçu !
Le 25 février, je me laissai donc enfermer dans l’enceinte. La nuit tombée et les déambulations des gardiens terminées, je me mis à explorer les allées, à la lueur de la pleine lune. Très vite, mes observations furent confirmées. Et surtout, je me rendis compte d’une activité très curieuse dans le lazaret. Profitant d’une distraction d’un gardien qui en sortit en oubliant de verrouiller la petite porte, je parvins (…)
(…) horreur indicible qui m’étreignait. Je ne sais comment je parvins à m’enfuir, mais je fus aperçu et poursuivi et j’ignore encore par quel miracle j’ai abouti sous la protection de mes solides amis, qui me cachent et me nourrissent de leur mieux. Par quel miracle cela se peut-il ? Comment ont-ils deviné mes besoins de papier et de crayon ? Mais mon crayon justement s’épuise. Pour l’amour du Ciel, qui que vous soyez, agissez. Car l’horreur guette Londres, et peut-être bien plus. »
La signature est maculée. Robson, Grayson, Gregson ? On distingue le prénom: Roger.
Si avec tout cela, vos investigateurs ne réussissent pas (par l’intermédiaire des archives du British Museum notamment) à retrouver la trace du professeur Roger Gregson, grain de sable n° 2, c’est qu’il dorment !


A l’adresse indiquée par le Museum (pour Paris, remplacez-le par le Jardin des Plantes), la logeuse monte la garde. C’est une dame de poids, Irlandaise et veuve d’Irlandais, buvant par fidélité chaque jour la ration de whiskey de feu Gerald Mallory (son homme) avec la sienne propre. Elle enrage, car le professeur (dont elle tient le ménage) ne lui avait pas dit mot d’une absence qui se prolonge depuis un mois ! Non elle n’a pas prévenu la police: elle est irlandaise catholique et ne porte pas dans son coeur les forces de répression anglaises. (Dans le cas d’investigateurs français, remplacez l’Irlandaise par une Corse animée des mêmes sentiments). Si les personnages sont très diplomates (ils peuvent se dire journalistes, parler d’un reportage sur le professeur et proposer de prendre en photo la veuve Mallory dans l’appartement de Roger Gregson), elle leur permettra de visiter les lieux. On pourra (Trouver Objet Caché) y découvrir de nombreuses photos prises au zoo et (Bibliothèque) extraire d’un monceau de papiers le texte d’une conférence sur le « syndrome pré-catastrophique » chez les animaux. Le professeur y explique que, face à l’imminence d’un cataclysme qui les terrifie (tremblement de terre, incendie de forêt), des animaux aussi différents que des tigres et des antilopes peuvent adopter des comportements d’inquiétude similaires, et même montrer tous les signes d’une angoisse quasi humaine.

C’est beau un zoo la nuit

Vous vous doutez à présent de ce qui s’est passé. Il est probable que nos amis vont s’efforcer d’imiter le professeur… Noteront-ils que nous sommes maintenant le 25 mars, donc que la lune est pleine, comme elle l’était le soir de la disparition de Roger Gregson ? Espérons qu’ils se muniront de quelques arguments solides (pistolets, couteaux, petits outils… plus serait peu vraisemblable) avant de se laisser enfermer dans le zoo.
Ils remarqueront que des patrouilles de deux ou trois gardiens arpentent les allées et surveillent les grilles. Elles sortent du lazaret et y retournent. Il faudra faire un sort en silence à une patrouille pour se procurer une clef. Les gardiens sont armés (pistolets, couteaux), bien qu’il ne s’agisse pas d’experts — ils sont même plutôt maladroits. En cas de bruit (détonations), si les personnages ont pris garde d’agir assez loin du lazaret, indiquez- leur que les animaux, dès que la bagarre commence à être bruyante, se mettent à barrir, rugir, hennir… dans tout le zoo (pour couvrir les bruits suspects).
Bref, nos amis parviennent à pénétrer dans le lazaret. Les premières cages sont désertes, inoccupées depuis des mois. Seul, au centre, un espace est éclairé: une vaste fosse bétonnée destinée à des crocodiles et autres grosses bêtes écailleuses plus ou moins marécageophiles.

L’horreur de rigueur

C’est là que se cache l’horreur de rigueur dans tout scénario d’AdC un tant soit peu respectueux de tonton H.P.L.
Au bord de la fosse, sous la lueur de quelques lampes et d’une pleine lune boursouflée, une quinzaine de gardiens sont réunis, psalmodiant une mélopée aux paroles gutturales dont les accents lugubres glacent le sang dans les veines des plus aguerris (pas mal, cette phrase, hein ? Vous pouvez la reprendre sans frais, je vous conseille un ton caverneux et une pièce éclairée par une chandelle unique, de préférence vacillante).
Au fond de la fosse, Reginald Barton, vêtu d'une longue robe verdâtre, nourrit ses six pensionnaires, disposés en demi-cercle devant lui. Aargh ! A première vue, on croirait voir des hybrides de crapaud buffle et de crocodile. Du premier, ils ont les pattes postérieures tzillées pour le saut, les pattes avant semblent préhensiles (et, horreur ! le sont effectivement, mais aussi armées de griffes redoutables), le cou goitreux eeet les yeux globuleux. Du second, le croco, ils ont les écailles, la queue en fléau meurtrier, les machoires hyper-dentues, et surtout... la taille. La taille d'un modèle adulte, du genre que l'on rencontre dans les fleuves africains, quand ils ont dévoré tout un village. Enormes !
Mais le plus atroce peut-être est que leur regard brille d'une terrible lueur, dont la signification est confirmée par l'enflure du crâne, bombé de façon obscène (H.P.L. serait content de mi, là !): ces monstruosités sont non seulement méchantes (vous aviez pigé, je parie !) mais intelligentes ! Elles sont aussi porteuse d'un dispositif bionique implanté dans leur organisme grâce à la science de leurs ancêtres et qui agit un peu comme les " boucliers " utilisés dans Dune : tout ce qui va vite ne peut pas les atteindre, " absorbé " en quelque sorte dans une autre dimension. Alors balle, obus, flèches... rien à faire; ces horreurs sont vulnérables, mais au corps à corps et seulement si on a la force de percer leurs écailles. Dur dur pour l'humain moyen.
Mais je parlais du repas de ces charmantes bestioles: Barton leur jette des animaux vivants, dont des chiens et, pour la bonne gueule, traîne devant les monstres le corps d'un homme, visiblement une clochard, certainement encore vivant (rien à faire pour le sauver).
Les bêtes repues (les investigateurs doivent s'approcher avec précaution, il est facile d'apercevoir trois ou quatre gardes armés de fusil), une terrifiante cérémonie commence. Le silence le plus profond se fait, puis résonne la voix de Barton, éructant des syllabes maléfiques auxquelles répondent d'atroces sifflements émis par les monstres. Une brume apparaît au centre du demi-cercle formé par les susdits et se condense peu à peu. En quelques minutes, un septième monstre se matérialise au milieu de ses frères. Comme à chaque pleine lune depuis six mois.
Bien sûr, tout ce spectacle est coûteux en points de SAN. Jet de dé sous la SAN réussi : 1d6+3 points perdus. Jet raté = retirer, si le second jet est réussi, la perte sera de 2d6+3, si il est aussi raté, la perte sera de 3d6+3. Si les investigateurs pensent à se boucher les oreilles et/ou s'efforcent d'échapper aux moments les plus atroces (fermer les yeux quand le clochard est dévoré ou quand le n°7 apparaît), le " +3 " de perte n'est pas compté.
Nos amis sont de toute façon trop bouleversés pour faire, quelque chose avant la fin de l'odieuse cérémonie. Ils peuvent alors tenter d'agir en ouvrant le feu sur les bêtes (inutile bien sur: les projectiles disparaissent dans une éclair lumineux dans un espace d'un mètre à quelques centimètres de leurs écailles) ou sur Barton (c'est une meilleur idée), ou ils peuvent s'enfuir. Dans tous les cas, ils sont repérés et pris en chasse. Bien sûr, si Barton est mort ou sérieusement touché, les poursuivants seront très désorganisés.

Des alliés inespérés

Ils parviendront sans mal à ressortir du lazaret comme ils y sont entrés, mais pour s'apercevoir que le zoo est une souricière (!): à chaque porte sont embusqués des gardiens armés prêts à tirer les fuyards comme des lapins. La chance des investigateurs est que les monstres mettent quelque temps à récuperer du transfert interstellaire qui vient d'avoir lieu, surtout si Barton a été tué. Nos amis ont donc un moment pour réflechir, dans les allées obscures du zoo, avant que les horreurs, dont l'odorat est infaillible, ne leur courent après.
Espérons que, avec l'aide des jappements et des bonds de Willy, qui les a sans doute accompagnés, ils comprendront la signification des rugissements et grondements des lions, tigres, panthères, ours, loups, etc... Il faut les libérer, si besoin est en tirant dans les serrures des cages et des portes des enclos, malgré la peur que les fauves peuvent inspirer. Mais devant ces alliés inespérés, deux obstacles: les gardiens armés et la grille du lazaret.
Quel personnage futé pensera alors à libérer éléphants et rhinocéros, tout aussi excités que les carnassiers ? Couverts par un tir nourri de nos amis, les pachydermes se ruent sur les grilles. Mus par une fureur formidable, ils les défoncent et les fauves s'engouffrent dans la brèche.
La suite est un combat sanglant, terrifiant et sans merci. Force restera aux défenseurs de notre planète...
A la fin de la nuit, les "bêtes" mortes, les animaux (vous voyez la différence ?) survivants errent sans but dans le zoo puis regagnent leur cage. Les gardiens qui n'ont pas été tués sont devenus des crétins bavants. Barton a été - mort ou vif - projeté pendant la bagarre à une hauteur impressionnante par le plus gros des éléphants. Une enquête dans son appartement pourra révéler ses antécédents et permettre de retrouver divers ouvrages très maléfiques, très couteux en SAN et très inutiles.
Alors, dans les premières lueurs de l'aube, l'on voit surgir du fond de la caverne des ours... vous avez deviné : le professeur Gregson, qui n'est pour rien dans l'action concertée des animaux.
Quel joueur malin comprendra que Willy a été " prévenu " par un oiseau tropical évadé, qu'il a couru chercher la "lettre" de Gregson, que celui-ci a été caché par les ours (dont l'odeur l'a protégé des investigations des Bêtes), dans la fosse desquelles il était tombé en s'enfuyant... Et que le papier à lettre improvisé a été récupéré un peu partout par les singes, qui se sont débrouillés pour le faire parvenir aux ours: dans beaucoup de zoos, divers oetits animaux apprivoisés, dont les singes, sont en semi-liberté dans la journée pour l'amusement des visiteurs.
" Mais, s'est exclamé un de " mes " joueurs, nous avons été tout du long manipulé par les animaux ! ". Donnez droit à un tel petit génie à 1d20 (minimum 10) + 1d6 de récupération de SAN et aux autres 1d20 (minimum 10), qu'ils auront mérité.
Et la prochaine fois que vous irez au zoo, saluez de ma part le plus gros des éléphants.

scénario - Frank Stora ((NDLR: hé oui! le même que le spécialiste d'Air Force et de Tank Leader! La preuve que wargame et jeu de rôle ne s'excluent pas! )
illustration - Rolland Barthélémy