Article paru dans le Casus Belli N° 84 et mis à disposition avec
l'autorisation de son auteur
Esprit vampire, fantôme, tous ces mots ont souvent perdu l’aura
de mystère et d’angoisse qui les distinguait auparavant Cela est dû au
fait que l’on rencontre souvent ces entités dans la plupart des jeux de
rôle. Et dès qu’on sait qu’un fantôme peut être « tué » à coups d’épée,
la peur qu’il suscite n’est pas plus terrible que celle ressentie face
à un gros ours. Nous vous proposons ici d’introduire dans vos campagnes
la notion d’esprits qui vivent en marge de notre monde et qui cherchent
a s’y nourrir et parfois même a s’y incarner. Heureusement, vous verrez
qu’il n’y a pas que des désavantages à cela et quel que soit votre
univers (médiéval-fantastique, horreur ou pirates) savoir qu’il y a «
autre chose » que le monde visible y ajoutera de la profondeur.
Les différentes familles d’esprits
Pour cet article, nous nous contenterons d’évoquer les grandes
catégories d’esprits, sachant que vous pourrez détailler vous-mêmes
chacune d’elles.
Les lamies
On les appelle aussi vampire, succube, muse, suivant leurs
affinités. Ce sont des êtres qui ont besoin de percevoir des émotions à
travers un être humain. Elles l’investissent donc et lui donne des
capacités visant à lui faire découvrir la mort, la haine, l’amour,
l’art, dans des formes exacerbées. Le possédé devient alors un «
artis-te » particulièrement doué dans le domaine concerné. Mais dès que
la lamie l’abandonne, ou qu’il ne la nourrit plus, elle le laisse dans
un état de manque chronique.
Les esprits-totems
Ces esprits sont souvent liés à des dieux animaux ou païens.
L’exemple le plus fréquent est fourni par ces tribus d’hommes-lions,
d’hommes-jaguars, qui passent un pacte avec l’esprit totémique pour
bénéficier de tous ses attributs. Evidemment, ce lien se paye aussi, et
plus le totem est primitif, plus le mode de paiement l’est également.
Les âmes des morts
Peu puissants, ces esprits sont les âmes de ceux qui sont
restés coincés, après la mort de l’humain qui les abritait, entre la
terre et un autre « ailleurs ». On les désignera sous le terme
générique de fantômes. Ils « hantent » les humains qu’ils rencontrent
pour essayer de regagner le monde des vivants (ce qu’ils ne pourront
jamais), pour se venger de ceux qui sont restés sur terre (quête vaine,
mais fréquente), ou aider des humains (cas extrêmement rare de la «
bonne action » qui leur permettra de partir « ailleurs »).
Comment se faire posséder
Les lamies
Attirer leur attention. Les lamies étant voraces de sensations,
elles auront tendance à aller d’elles-mêmes vers les sujets qu’elles
sentent prometteurs. Mais des manifestations excessives, comme des
orgies, des happenings artistiques, peuvent les attirer. Elles
entreront alors en contact avec le futur possédé par le biais du rêve,
lui promettant ce qu’il désire (célébrité, richesse, amour...) s’il se
laisse investir. Comme les vampires de la légende, une lamie ne peut
posséder un humain de cette manière que si celui-ci le désire. Elle
peut également avoir plu-sieurs « victimes » en même temps, car elle ne
se fixe pas dans le corps de celui qu’elle visite.
Objets et lieux « magiques ». Lorsque l’humain qu’elles
possédaient meurt, certaines lamies entrent dans une sorte de stase et
restent liées à un lieu ou à un objet. Si quelqu’un utilise l’objet, ou
exerce une certaine activité dans le lieu, c’est comme s’il acceptait
d’être possédé. La lamie se réveille et investit son nouvel « époux »
(terme approprié car de nombreuses lamies se mettent en stase dans un
anneau). Dans ce cas, la lamie aura du mal à avoir plusieurs hôtes.
Esprits-totems
Invocation temporaire. Les tribus sauvages connaissent les chants
et les danses qui appellent les esprits-totems, dieux ou loas (pour le
vaudou). L’attention de l’esprit en question est capté par le chant, et
il investit le corps du prêtre ou du guerrier qui l’invoque. Son action
dépend de sa nature (l’esprit-lion donnera force et rapidité, le loa
des carrefours fournira des conseils avisés). L’incarnation dure un
certain temps, au-delà duquel l’esprit quitte l’humain et le laisse à
bout de souffle.
Lien définitif. Un humain peut vouloir se lier définitivement à un
esprit-totem. Cela nécessite généralement une cérémonie, au cours de
laquelle on tatoue les symboles du totem sur son corps (les
scarifications sont également très efficaces). L’humain acquerra
définitivement certains pouvoirs de son totem, mais de façon moins
forte que par une invocation temporaire. Ce genre de lien est souvent
pratiqué lors de la cérémonie initiatique qui marque le passage à l’âge
adulte.
Fantômes
Mauvais endroit. Certains endroits sont « remplis » de fantômes, et
le simple fait de s’y promener peut les faire s’attacher à vous.
Parfois, c’est la pratique mal maîtrisée d’actes magiques sur des
sanctuaires qui les attire. De nombreux nécromants sont donc infestés
de fantômes (infesté veut dire hanté par une nuée de fantômes).
Envoûtement. Les sorciers peuvent obliger des fantômes à posséder
des humains. Pour un envoûtement classique, il faut qu’ils possèdent
une « relique», c’est-à-dire une composante organique de la cible à
envoûter (ongles, cheveux, sang...). Sinon, il existe ce que le vaudou
appelle « l’envoi de morts », qui consiste à préparer un piège avec de
la terre provenant d’un cimetière. La personne qui touchera ou tombera
dans ce piège sera alors infestée de fantômes.
Les avantages
Si le diable n’était pas séduisant qui en voudrait ?
Les lamies
L’avantage d’être possédé par une lamie est manifeste, l’hôte
devient alors un artiste hors pair. De plus, sa résistance aux maladies
et au vieillissement est augmentée. Exemple : On peut supposer que
Cyrano de Bergerac (poète et guerrier), Baudelaire (poète maudit),
avaient pour « maîtresse » une lamie, qui leur donna une force, une
inspiration ou une adresse hors du commun.
Les esprits-totems
Qui a combattu des hommes-lions, des hommes-ours ou des
hommes-loups a reconnu la férocité quasi inhumaine qui les menait au
combat. Exemple : De nombreuses tribus américaines ou africaines
connaissent ce mythe, et même celui du loup-garou peut s’y rattacher.
Les âmes des morts
Il n’y a pas d’avantages connus à être infesté de fantômes. Exemple
: Des explorateurs, ayant profané des sépultures, font des cauchemars
toutes les nuits, si terribles qu’ils les mènent au bord de la folie.
Les inconvénients
Les lamies
Une lamie demande à être payée en sensations fortes. Elle incitera
donc à la débauche, aux combats meurtriers, aux attitudes excessives et
autodestructrices (mais la force qu’elle confère à son hôte lui permet
parfois de survivre là où un humain normal aurait déjà perdu la vie ou
la raison).
Les esprits-totems
S’il s’agit d’une invocation temporaire, les esprits-totems sont
très matérialistes et demandent un tribut en rapport avec leur
archétype : des vies, du combat, de la richesse... S’il s’agit d’un
lien permanent, l’hôte devra désormais vivre comme son totem (ou tout
au moins s’en approcher le plus possible). Cette vie n’est pas
forcément violente, elle peut être tranquille si tel est l’esprit de
l’animal.
Les âmes des morts
Elles ne peuvent pas faire autre chose que tourmenter leur hôte,
mais elles le font très bien. La victime est assaillie d’hallucinations
(visuelles ou auditives) ou bien fait des cauchemars particulièrement
éprouvants. La puissance des fantômes est faible durant la journée,
forte durant la nuit.
S’en protéger
Trois protections universelles fonctionnent dans toutes les traditions
et tous les univers.
L’eau salée
L’eau salée empêche la magie de passer (c’est un isolant) et les
esprits de voyager. Cette protection n’est efficace que s’il y a un
grand volume d’eau salée à traverser, et surtout elle évite d’être
possédé, mais ne peut rien faire contre un esprit qui est déjà en
place. C’est le meilleur moyen de se débarrasser d’une lamie, car c’est
un esprit qui accompagne son hôte et non qui vit en lui. Il est donc
possible, en passant d’un continent à l’autre, de faire que la lamie ne
retrouve pas sa victime (du moins pas facilement).
Le sel pur éloigne également toutes sortes d’esprits, pourvu qu’on
le jette sur la forme fantomatique. Le sel inerte (posé sur le pas
d’une porte, par exemple) n’affecte que les esprits les plus faibles.
Le fer
Les grandes quantités de fer empêchent les manifestations magiques.
Un homme en armure « homard » (comme celle des conquistadores) est bien
protégé contre la possession. Par contre, un homme déjà possédé qui met
une armure en fer prend des risques. Au mieux, il perd tous les
avantages de l’esprit qui est en lui. Au pire, il souffre le martyre,
comme si l’armure était chauffée à blanc.
L’alcool
L’alcool est un cas très particulier, car il diminue les défenses
des humains vis-à-vis des possessions (d’où les nombreuses libations
dans les religions, primitives ou non) et permet de mieux se préparer à
recevoir l’esprit. Mais une fois qu’un esprit est à l’intérieur,
l’alcool le soûle deux fois plus que l’humain. Ainsi une personne
possédée par une lamie et qui veut conserver son libre arbitre devra
boire suffisamment pour soûler l’esprit qui l’habite, mais pas trop
pour ne pas sombrer dans un coma éthylique. C’est aussi la raison pour
laquelle des tribus primitives interdisent l’alcool à leur chaman, car
un être qui n’a jamais bu, et ne boira jamais, garde intacte en lui
toute la puissance des esprits.
Les autres protections
Selon l’univers dans lequel vous jouez, vous pourrez y introduire
des talismans, amulettes et autres wangas qui protègent des
possessions, Il existe deux cas dans lesquels cette protection ne sert
à rien :
- Quand on accepte de se laisser posséder.
- Quand
on pratique une magie puissante dans un lieu rempli de fantômes,
ceux-ci profitant de la brèche magique pour infester le magicien.
S’en débarrasser
Quels que soient les civilisations, les univers ou les religions,
la notion d’exorcisme existe partout, car la volonté de se débarrasser
des esprits est universelle. Quoi que vous choisissiez comme méthode (à
vous de l’inventer), elle doit être difficile et longue à mettre en
œuvre. D’autant que plus la possession est volontaire (lamies et
totems), plus l’esprit est difficilement délogeable. A noter qu’après
son départ, le réceptacle perdra tous les bénéfices de la possession,
tout en restant souvent psychiquement affecté par l’aventure.
Pierre Rosenthal
Illustration : Didier Guiserix
Nous avons besoin de vous !
Notre hors-série n°14 (à paraître en mars 95) sera composé en
partie d’une encyclopédie médiévale-fantastique. Si vous avez des
desiderata, mais aussi et surtout des propositions en ce qui concerne
les monstres, armes, sorts, tribus, n’hésitez pas à nous les soumettre.
Les plus intéressantes seront publiées... Pour nous écrire : Casus
Belli, Pièrre Rosenthal, HS n° 14, 1 rue du Colonel Pierre Avia, 75503
Paris Cedex 15
BIBLIOGRAPHIE
Les lecteurs intéressés se reporteront a deux romans de Tim Powers
(chez J’ai Lu) :
Sur des mers plus ignorées et Le poids de son regard. On pourra
également lire le roman précédent :
Les voies d’Anubis qui, s’il n’a pas grand rapport avec le sujet, est
un roman majeur, qui a jeté les bases des deux autres.