L’occasion rêvée
Dans le précédent numéro nous en étions restés au moment où,
l’escadre de Malte fonçait à 30 nœuds, droit sur un sous-marin italien.
La formation de route suivie par les Britanniques permet au commandant
italien de se placer dans une position extrêmement favorable qui va lui
permettre de torpiller simultanément les trois croiseurs anglais.
L’ennemi se rapproche rapidement, le commandant italien a pris sa
décision. il sait, lui, par les messages de son Amirauté que son
opérateur radio a décodé, qu’une escadre italienne suit actuellement le
même cap et la même route que les Anglais. Il calcule que s’il arrive,
ne serait-ce qu’à ralentir l’allure des 3 croiseurs, cela pourrait être
pour la marine italienne la revanche tant souhaitée depuis les
désastres de Tarente et Matapan. Mais il y a ces 4 destroyers, par
bonheur un peu en retrait. Il réfléchit : s’il tire de trop loin,
l’ennemi a de fortes chances, à 30 nœuds, d’éviter la plupart des
torpilles, s’il lance de près il est quasiment perdu. Sa décision est
prise : un sous-marin pour 2, peut-être 3 croiseurs, cela ne se discute
pas, ne peut pas se discuter. Et puis, il est temps de montrer à ces
sous-mariniers allemands que les Italiens, eux aussi, savent se battre
sur mer avec efficacité.
A 13 h 30, la formation anglaise, ne se doutant de rien, file
toujours ses 32 nœuds suivant le même cap : droit sur le sous-marin. Le
commandant Italien les laisse approcher. 800, 700, 600 mètres. A 500
mètres, 3 torpilles partent vers le croiseur léger de tribord
(l’Achilles). Fuoco, le commandant vient de lancer 3 autres « siluris »
(torpilles) en direction du Charybdis, suivies de 2 autres fonçant à 30
nœuds à la rencontre du Manchester.
Voici le schéma de la formation britannique au moment où elle est
attaquée par le sous-marin
A = croiseur léger Achilles
M = croiseur Manchester
C = croiseur AA Charybdis
S = sous-marin
Le festival des torpilles
Lancées de très près, sous un angle favorable, les 3 torpilles
parties sur l’Achilles ont toutes atteint leur but; coupé en deux, le
croiseur coule immédiatement. Le Charybdis qui se trouvait à environ
1350 mètres du sous-marin n’a pu éviter qu’une torpille, les deux
autres ont touché. La coque éventrée, le croiseur AA en feu est la
proie des explosions, il s’incline sur bâbord et chavire lentement. A
bord du Manchester, le plus éloigné, (1500 mètres environ) on a tout de
suite compris, un brusque changement de cap a permis d’éviter la
première torpille, mais pas la deuxième qui a atteint le bâtiment à
l’arrière. Durement touché (21 points de dégâts) le navire anglais
lutte pour sa survie. Sa vitesse est tombée à 8 nœuds. Le commandant
ordonne de noyer les soutes arrières, il pense que son bâtiment peut
encore être sauvé.
Une victoire à la Pyrrus
L’Achilles et le Manchester touchés à tribord, le Charybdis à
bâbord, les commandants des destroyers ont tout de suite situé la
position approximative de l’ennemi. Réduisant leur vitesse à 14 nœuds,
les 4 destroyers se mettent aussitôt en recherche Asdic. Le contact est
vite établi, la fréquence de renvoi du signal est très rapide,
l’adversaire n’est pas loin. Arrivés sur la position présumée de leur
objectif les 4 destroyers commencent à lancer leurs grenades
anti-sous-marines. Les patterns (chapelets) succèdent aux patterns. La
mer déchirée par des dizaines d’explosions ressemble à un volcan en
éruption. Soudain, les veilleurs à bord des destroyers, signalent
l’apparition de nombreuses épaves flottantes. Le grenadage est
interrompu. Les destroyers stoppent aussitôt, les équipages voient
alors avec une certaine satisfaction une grande tache d’huile qui
s’étend de plus en plus: le sous-marin italien n’a pas survécu à sa
victoire. La coque éventrée par l’explosion des charges de profondeur,
il a coulé entrainant avec lui le commandant et 55 hommes d’équipage.
Un retour impossible
Pendant ce temps, les incendies maitrisés, le Manchester a repris
sa route mais à 8 nœuds seulement. Encadré par les 4 destroyers il
pense pouvoir rallier Alexandrie. Cependant l’escadre de Messine
poursuivant sa route se rapprochait inexorablement du navire blessé. A
15 h les vigies italiennes repèrent sur leur avant bâbord un groupe de
navires. Les navires italiens gagnent rapidement sur les Anglais. La
distance diminue. Flairant un piège l’amiral italien divise son escadre
en deux parties égales prenant les bâtiments britanniques dans un étau.
A 15000 m les croiseurs italiens ouvrent le feu. La riposte anglaise
est faible. Des salves italiennes touchent le croiseur anglais qui,
soudain, s’embrase explose et coule rapidement. Les 4 destroyers
britanniques fuient à 36 nœuds. C’est en repêchant les marins anglais
que l’amiral italien connut la vérité et l’Italie toute entière
l’exploit du commandant de sous-marin qui, à lui seul, avait permis la
destruction de l’escadre légère de Malte.
Les Anglais reprennent l’initiative
Pendant ce temps l’Amirauté britannique ne restait pas inactive.
Peu après l’attaque de l’escadre qui protégeait le Formidable, un
groupe naval comprenant 4 croiseurs (Ajax, Perth, Hermione, Cairo) et 8
destroyers (4 Kelly et 4 Glowworn) fonçait cap au Nord-Ouest à 32 nœuds
vers un petit port du Sud de la Crète : Sfakia. Elle devait y arriver
aux environs de 17 heures.
La flotte partie d’Alexandrie à 3 h du matin éclatait en 3
groupes: une force navale comprenant les croiseurs Sheffield,
Newcastle, Fidji, Jamaica et 4 destroyers type Glowworn se dirigeait
vers Mycènes. Elle devait effectuer un bombardement de l’aérodrome vers
20 heures.
Deux croiseurs (Arethusa et Calcutta) et 5 destroyers type Cossak
filaient à 29 nœuds vers un autre port du Sud de la Crête : Mélambes.
Ils devaient l’atteindre vers 18 h 30 pour embarquer des troupes.
La 3° partie de l’escadre, la plus importante, comprenait les
cuirassés Barham et Valiant, les croiseurs Sydney et Dido ainsi que 3
destroyers type Vampire. L’objectif était de bombarder les
installations aéronavales de Scarpento afin de rendre inutilisables
l’aérodrome et la base d’hydravions. A 16 h 30 le bombardement naval
devait commencer.
Enfin un groupe de soutien formé du cuirassé Queen Elisabeth, du
croiseur Southampton et de 4 destroyers type Hardy suivait à 25 nœuds
les croiseurs qui devaient embarquer les troupes à Sfakia. Les Anglais
prévoyaient qu’ils auraient vraisemblablement à faire face aux forces
aériennes allemandes aussi avaient-ils organisé 2 raids aériens devant
détourner l’attention des Germano-italiens.
Diversion dans les airs
A 13 h une force aérienne comprenant 6 Beaufighters, 6 Bristol
Beauforts et 10 Blenheims s’envolait de l’aérodrome de Fouka, objectif
: bombarder Eleusis en plein cœur du dispositif aérien allemand.
Cependant qu’à la même heure 1 Albacore et 3 Sunderlands mettaient le
cap vers Molaoi. Les Gladiators, Hurricanes et Fulmars assuraient la
protection par roulement de l’escorte du Formidable (qui regagnait
péniblement Alexandrie à 8 nœuds); ainsi que des aérodromes de
Marsa-Mathrou et de Fouka, vitaux pour les Britanniques maintenant que
leur porte-avions était devenu incapable d’assurer sa mission. Il faut
d’ailleurs signaler que son pont d’envol endommagé bloquait à
l’intérieur des hangars : 6 Swordfishs et 8 Albacores dont les Anglais
auraient bien aimé se servir en ce moment. Le raid sur Eleusis était
programmé pour 15 h 10. Celui sur Molaoi aux environs de 16 heures.
Les Germano-Italiens ont des problèmes
En effet, leurs bases de Scarpento, Argos et Molaoi sévèrement
endommagées empêchaient les Allemands de déployer leur aviation et,
surtout, les obligeaient à concentrer un maximum d’appareils sur les
autres aérodromes ce qui n’allait pas sans risque. Aussi avaient-ils
envoyé 4 ME-110 et 27 DO-17 à Derna. Ceci pour permettre l’arrivée de
12 Z-506 et de 12 MC-200 sur la base de Tatoi. Pendant que 6 Z-501
rejoignaient Mycènes.
Le plan des Anglais était bon puisqu’il consistait à maintenir la
pression avant la nuit sur les aérodromes précédemment endommagés et
même d’attaquer de nouvelles bases (Mycènes).
L’opération tiroir
Cependant qu’avaient lieu ces préparatifs, les Britanniques
évacuaient 3000 hommes de la ligne de front et les dirigeaient vers les
ports d’embarquement de Sfakia et Mélambes. De ces troupes, 1000
provenaient de Rethimo et 2000 de la région de La Canée. Ceci laissait
toujours les Anglais en position de force devant les effectifs
allemands assez réduits qui leur faisaient face.
L’alerte est donnée
A 15 h 10, comme prévu, une vague de bombardiers britanniques
surgit soudain dans le ciel grec ; venant de la mer, ils n’ont pas été
détectés. Ils foncent droit sur la base d’Eleusis. Mais où sont les
chasseurs allemands ? Les 6 ME-110 et les 6 FW-189 basés ordinairement
à Eleusis servent en ce moment de protection au convoi de péniches qui
fait route vers l’île de Crète. 12 ME-109 sont encours de
ravitaillement sur la base de Tatoi. 6 RE-2000 et 6 ME-109 couvrent
Mycènes. Seuls 4 RE-2000 et 5 ME-109 sont en vol dans le secteur,
couvrant le ravitaillement des 12 ME-109 de Tatoi. Ce sont ces 9
appareils qui tentent de s’opposer courageusement aux bombardiers
britanniques. Mais ils arrivent trop tard pour empêcher le bombardement
de l’aérodrome. Sur les 17 JU-88, les 9 HE-III et l’arado 196 qui se
trouvaient au sol, seuls 10 JU-88 ont pu décoller en catastrophe. Et
c’est la répétition de l’opération « Scarpento ». Le terrain encaisse
15.5 points de dégâts, la DCA 2 mais, ce qui est plus grave, il y a 10
appareils détruits au sol. 5 HE-111,1 Arado et 4 JU-88. Poursuivis par
les chasseurs germano-italiens, les bombardiers anglais, bientôt
rejoints, sont attaqués par 5 ME-109 et 4 RE-2000 auxquels les
Allemands ajoutent les 10 JU-88 qui ont réussi à décoller.
Le premier combat donne comme perte de part et d’autre :
1 RE-2000 + 1 ME-109 + 6 JU-88 chez les Germano-Italiens
1 Beaufort + 3 Blenheims chez les Britanniques
Il reste pour le 2ème combat :
Côté Anglais : 6 Beaufighters + 5 Beauforts + 7 Blenheims
Camps allemand : 4 ME-109 + 3 RE-2000 et 4 JU-88
Se jugeant par trop en infériorité numérique les Germano-Italiens
rompent le combat.
A 15 h 30, un Arado-196 retour de mission repère en mer à une
cinquantaine de Km de Scarpento une escadre anglaise comprenant 2
cuirassés, 2 croiseurs et 3 destroyers, cap droit sur l’île, vitesse 25
nœuds. Signal radio bien reçu, les Allemands font décoller à 16 h :
18 JU-87 de Mycènes
5 JU-87 de Scarpento
7 JU-88 d’Eleusis
4 SM-79 de Tatoi + 12 JU-87
Les instructions reçues par les chefs d’escadrille sont les suivantes :
- A 17 h une première attaque en piqué sera effectuée par 23 JU-87
(Mycènes + Scarpento) auxquels se joindront les 7 JU-88 d’Eleusis.
- A 17 h 30 aura lieu une seconde attaque avec 4 SM-79 + 12 JU-87
(ceux de Tatoi obligés d’atterrir à Mycènes pour se ravitailler en
carburant). Les Allemands commencent à avoir des problèmes de
logistique. Ces 16 appareils devront en priorité attaquer les unités
navales endommagées lors du raid précédent.
Un ouragan de feu
A 16h30, comme prévu, l’escadre lourde britannique se présente
devant l’île de Scarpento. Les 2 cuirassés catapultent leurs Walrus
pour régler le tir. Deux appareils survolent l’objectif (aérodrome)
pendant que les 4 autres surveillent le ciel aux quatre points
cardinaux. A 16h35 les pièces lourdes britanniques ouvrent le feu, à
15000 m.
Aussitôt un ouragan de fer et de feu s’abat sur l’aérodrome. A
chaque salve, 16 obus de 381 pesant chacun une tonne partent en
sifflant vers leur cible. A 17 h il ne reste pratiquement plus rien.
Tout est bouleversé, anéanti. 188 points de dégâts sont signalés au
parti germano-italien. Ici les stukas ne se poseront plus et de
longtemps !
La vengeance tombe du ciel
A 17 h 05, le Walrus qui surveille les approches de l’île dans le
secteur Nord signale l’arrivée d’une formation aérienne importante.
Aussitôt les Anglais adoptent le dispositif anti-aérien prévu. Depuis
déjà un bon moment les pilotes allemands n’ont plus besoin de compas
pour guider leur vol. Depuis des kilomètres ils voient monter dans le
ciel la fumée des incendies provoqués par le bombardement naval. Et
c’est avec une froide détermination que, les dents serrées, ils piquent
l’un après l’autre sur leur objectif. Eh oui, un seul objectif, le plus
gros, le plus beau : le Valiant. Dans le hurlement des sirènes, ils
foncent à travers le mur de feu de la DCA, lâchent leur cargaison
mortelle et remontent le plus vite possible tachant de sauver leur peau
après avoir distribué la mort. 23 JU-87 et 7 JU-88, cela représente pas
mal de bombes lâchées sur une unique cible. Impossible de le manquer.
Un taille 1 à 25 nœuds cela représente en piqué une chance sur deux de
toucher ! (50 %). Et le Valiant encaisse, il encaisse même beaucoup,
l’addition est salée : à la mesure de la note à régler !
L’arbitre annonce aux Anglais « 35, 25 points de dégâts » et à tous : «
appareils abattus : 3 JU88 et 5 JU87 ».
La vitesse du Valiant est tombée à 12 nœuds. Il est 17 h 15 l’escadre
anglaise met cap au sud, mission remplie.
Pendant ce temps Molaoi a subi un bombardement aérien, 1 Albacore
et trois Sunderlands ont causé 5,75 points de dégâts à la base. Ils
sont interceptés sur le retour par 6 ME -109. Résultat du combat : 1
Sunderland abattu.
Sur mer
Pendant que se déroulaient ces événements qui avaient pour but
d’empêcher l’intervention des stukas au Sud de l’île de Crète en les
obligeant à intervenir sur la flotte et en neutralisant les aérodromes
les plus rapprochés; en mer, il y avait du nouveau.
Le convoi de péniches parti du Pirée se trouvait maintenant
protégé par l’escadre de Tarente avec laquelle il avait fait la
jonction. Mais les Italiens avaient détaché les 3 croiseurs légers
(Montecucolli, Attendolo et E. Di Savoia) qui, accompagnés de 3
destroyers, contournaient à 15 h la pointe Sud-Ouest de l’île de Crête
à 30 nœuds, dispositif en file, 2 destroyers devant, 1 en serre-file.
Distance entre les navires 3000 mètres, ce qui les mettait à l’abri
d’un torpillage simultané (voir la fin des croiseurs légers de Malte).
A partir de 16 h 30 ce groupe naval croise devant Sfakia, ayant
pris contact avec le sous-marin qui, depuis la nuit monte la garde
devant ce port, les Italiens ayant prévu depuis le début du jeu que les
Anglais rembarqueraient dans le secteur.
Aux environs de 17 heures, les vigies italiennes signalent l’arrivée de
navires de guerre venant du Sud.
Que va-t-il se passer ? L’escadre de Messine se trouve à environ 3
heures de route dans l’Ouest, celle de Naples est bien trop au Nord
pour pouvoir intervenir.
Que va faire le commandement germano-italien ?
Les Anglais vont-ils pouvoir rembarquer ?
La suite dans le prochain numéro de Casus Belli.
Jean Ricard