Casus Belli N° 45
Le thème du scénarioUn terrible monstre est tiré de sa léthargie par les travaux de percement d'une nouvelle ligne du métro londonien. Il doit achever sa maturation pour pouvoir quitter la Terre et, pour cela, il doit se nourrir...La première rencontreTout commence dans la nuit du 1 au 2 avril 1892. Les PJs ont passé la soirée à s'encanailler dans un music-hall de Whitechapel. Vers 3 heures du matin, ils décident de rentrer et choisissent de marcher afin de se dégriser. Dédaignant les cabs qui proposent de les prendre, ils avancent dans des rues désertes se soutenant les uns les autres. Ils arrivent ainsi près du chantier du métro. Là, un clochard les aborde en leur demandant la charité. Quoi qu'ils fassent, la bête tapie non loin attend patiemment leur départ pour s'attaquer au malheureux. En s'éloignant, les PJs entendent donc un cri terrifiant : le monstre a fondu sur sa proie. Quelques instants plus tard, du pauvre homme il ne reste rien, rien qu'une bouteille cassée de mauvais whiskey. Les traces de sang mènent au fond de la tranchée, et les PJs ont à peine le temps de s'approcher que la bête se jette sur eux ! Leur seule chance de salut est dans la fuite, une fuite éperdue, à perdre haleine. Confusément les PJs sentent que le monstre n'est pas loin derrière, le battement de ses ailes leur glace le sang...Brusquement, cette impression disparaît. Au loin ils aperçoivent un policier. Flegmatique, celui-ci s'enquiert avec tact de la raison de leur comportement. Alors qu'ils reprennent leur souffle, la bête attaque le bobby, l'arrache du sol et le dévore entièrement sous leurs yeux. Puis la poursuite reprend de plus belle. Les PJs sont rapidement hors d'haleine et leur fin semble inéluctable. C'est alors que l'aube pointe et que le monstre arrête inexplicablement la poursuite... Le cas de Thomas WillardDeux jours auparavant, le 30 mars, 4 ouvriers travaillant au fond de la nouvelle tranchée du métro ont découvert un souterrain. Isolés des autres, ils décidèrent de l'explorer seuls à la recherche d'un hypothétique trésor. En fait de trésor, ils tombèrent sur l'ancien laboratoire de Nickleby et par voie de conséquence sur la bête. Arrachée à sa torpeur par l'approche de créatures vivantes, elle attaqua aussitôt...Trois des ouvriers la combattirent de leur mieux, mais le quatrième, Thomas Willard, s'enfuit fou de peur, et lança un bâton de dynamite dans le souterrain, condamnant du même coup le passage et ses compagnons... Willard, incapable de paroles cohérentes fut transporté au London Hospital. L'incident fut relaté dans la presse comme un accident banal, du à la maladresse d'un des ouvriers. Le travail cessa sur ce chantier en attendant que l'on dégage les corps. Dans le laboratoire miraculeusement épargné par l'explosion, la bête dévora les trois malheureux, mua, puis dévora sa mue pour satisfaire sa faim. Enfin repue, elle se creusa un passage vers l'air libre et la liberté, atteignit son but le premier avril à la nuit tombée... Willard est maintenant aux portes de la folie. Pour le soigner, les médecins le bourrent de somnifères, mais ce dont ils ne peuvent se douter c'est que Thomas Willard redoute par dessus tout de s'endormir... Il imagine la bête en train de roder autour de lui, prête à bondir à la moindre défaillance de sa part. Chaque fois qu'il s'assoupit sous l'effet des drogues, son sommeil forcé est peuplé de cauchemars indicibles où son esprit tourmenté hurle en silence sa souffrance et vacille un peu plus. A chaque réveil, fou d'angoisse, il s'attend à la voir au pied de son lit. La journée, il tremble au moindre son, au moindre courant d'air, à la moindre ombre. La nuit, il lutte de toute son énergie contre les drogues et cela le précipite d'autant plus vite dans les abîmes de la folie. Les PJs ne peuvent tirer de lui qu'une description apocalyptique quoique assez juste de la bête et de vagues allusions à un trésor. L'enquêteAprès la terrible poursuite, les PJs peuvent aller dormir quelques heures avant que n'ouvrent les bâtiments officiels, ou prévenir immédiatement la police.A Scotland Yard, ils seront poliment écoutés, mais les policiers ne feront rien pour cacher qu'ils les croient victimes d'hallucinations. Ils questionneront patiemment les PJs sur les raisons de leur présence dans les rues de Londres aux petites heures du matin, sur ce qu'ils ont bu, etc. Puis ils seront congédiés après un sermon moralisateur sur les méfaits de l'alcool... Les PJs peuvent apprendre qu'il y a eu une explosion le 30 mars dernier au chantier du métro soit par des ouvriers d'un autre chantier proche, soit par la direction des travaux ou par les journaux (voir « Le cas de Thomas Willard »). Pour identifier l'horrible « serpent ailé » qui les a poursuivi, ils peuvent s'informer à la Salle de Lecture du British Museum. Le préposé n'a aucun livre sur ce sujet, mais si les PJs insistent, il leur amènera une demi-heure après une dizaine de lourds volumes de légendes et d'histoire, une « Histoire des Dragons » et un livre consacré aux serpents du monde entier. Il y en a pour des jours de lecture, mais si les PJs s'attellent courageusement à la tâche, ils peuvent découvrir en quelques heures les informations suivantes :
ChiselhamC'est aujourd'hui un paisible bourg à une demi-heure de train de Londres. L'unique abbaye est située au nord du bourg et on peut la visiter tous les après-midi, de deux à cinq heures. Outre l'architecture, on peut y admirer quelques reliques ayant soi-disant appartenu au père Jeremy. Il y a un vieux gobelet de métal, deux crucifix, dont un accroché à une chaîne, et un grand bâton au bout duquel est fixé un crucifix. Les pères connaissent l'histoire officielle de Jeremy, telle que les PJs l'ont lue dans le livre de Hanning. Ils raconteront avec emphase que le père Jeremy a supplié Dieu de renvoyer le démon ailé aux enfers, lui offrant de se sacrifier pour cela, et que celui-ci, touché par sa foi, l'a aidé à le repousser à l'aide de son seul bâton. Pour eux, Jeremy était déjà prêtre quand il a repoussé le démon, et ils déclareront toute autre théorie fausse. A moins que les PJs ne leur disent qu'ils enquêtent sur des serpents ailés, les pères seront aimables et révèleront même que la canonisation du père Jeremy est actuellement à l'étude au Vatican. Il n'y a rien de plus à apprendre.Une visite de Chisleham ou une demande de renseignements sur le père Jeremy dans un pub ou à la mairie apprendra forcément aux PJs l'existence du couple Spenser. La plupart des habitants de Chisleham connaissent le nom du père Jeremy, le seul homme d'église célèbre dont puisse s'enorgueillir le bourg, et beaucoup d'entre eux connaissent les Spenser, ou en ont entendu parler. Georges et Emma Spenser sont un couple de retraités un peu originaux, mais très gentils. Après une vie de labeur, jouissant de rentes confortables, ils se sont découverts une passion, la vie du père Jeremy, et ont décidé de s'y consacrer désormais. Ils ont improvisé un petit « musée » dans leur maison, qu'ils ont inauguré officiellement il y a sept ans. Leur passion a beaucoup fait rire les habitants de Chisleham, et leur mini-musée a même eu à l'époque un certain succès, mais cela n'a pas duré. Actuellement, il n'a pas été visité depuis deux ans. Cependant, leur passion les a rendus populaires parmi les habitants du bourg. Les seules personnes à qui leur « musée » déplaît sont les pères de l'abbaye, qui n'en parleront surtout pas aux PJs. La maison des Spenser est située au cœur de Chisleham, c'est un petit cottage charmant. A l'entrée du jardin, un écriteau pointé vers la maison indique « musée ». Celui-ci contient de vieux couverts, un crucifix, quelques parchemins, un livre et un bâton surmonté d'un crucifix similaire à celui de l'abbaye. Georges Spenser est gros et chauve, et éponge sans cesse sa figure inondée de sueur. Sa femme est brune, petite et menue, avec un chignon et des lunettes à double foyer. Tous deux ne cessent de bouger et parlent très vite. Ils se montreront ravis de l'intérêt que les PJs portent au père Jeremy, et les saouleront de paroles sur le bon père. A moins qu'ils ne se montrent grossiers, ils diront tout ce qu'ils savent. Ils se sont renseignés dans différentes bibliothèques du pays et sont à peu près certains des faits suivants :
La véritable histoire de Jeremy NicklebyJeremy Nickleby était un savant païen, demeurant à Londres. Il recherchait la connaissance pour lui-même et méprisait ses concitoyens. Comme il se méfiait de leur obscurantisme, il avait installé son laboratoire dans la profonde cave de sa maison, et en avait parfaitement camouflé l'entrée (voir « Le cas de Thomas Willard »). Il étudiait surtout la médecine et l'astronomie, mais un jour, il récupéra un grimoire maléfique, aux pages couvertes d'une connaissance malsaine et dangereuse. Jeremy se mit à l'étudier sans relâche, puis il commença à apprendre les sorts qu'il contenait. Il créa tout d'abord un bâton magique, sur lequel il accrocha une croix, par dérision. Ce bâton lui permettait d'emmagasiner des points de Pouvoir (sort Enchanter une canne dans « Les Ombres de Yog- Sothoth » ou « Fragments d'épouvante »). Puis il apprit le sort Flétrissement. Enfin, lors d'une nuit funeste, il invoqua une horreur chasseresse à quelques rues de chez lui. Jeremy avait mal lu le sort et ignorait qu'un sacrifice était nécessaire. Heureusement pour lui, la créature dévora d'abord un malheureux passant. Jeremy était incapable de la contrôler, aussi s'enfuit-il. La bête commença à dévorer vagabonds et sans-abri, puis les membres de la milice quand ils arrivèrent. Chez lui, Jeremy réfléchit pendant une heure, puis il prit son courage à deux mains et revint armé de son bâton magique sur les lieux du combat. Sur place, à l'aide des points de POU du bâton, il réussit à lancer un sort de Flétrissement qui tua presque la créature. Quelques minutes plus tard, l'aube pointait et les rayons du soleil l'achevaient. Jeremy examina alors le cadavre sur lequel il récupéra une curieuse pierre rosée (voir « La bête »). A la suite de cet horrible incident, il brûla le livre et se remit à l'étude de l'astronomie, mais il savait désormais que des choses horribles vivent dans les étoiles, et l'étude ne lui amena plus la paix. De plus, il était hanté par le souvenir des morts qu'il avait inconsciemment causées. Il vécut ainsi douloureusement pendant un an, lorsqu'un jour, un événement le força à sceller définitivement son laboratoire (voir « La bête »). Effrayé, il décida de se repentir désormais et chercha le salut dans la foi. Le reste de sa vie, il tenta de faire le bien autour de lui...La bêteII y a très longtemps à Londres, Jeremy Nickleby, durant une de ses expériences nocturnes, invoqua une horreur chasseresse qui sema la mort et la désolation. Les gardes et la milice la combattirent vaillamment jusqu'à l'aube quand la lumière du soleil lui porta le coup mortel. Jeremy fut l'un des seuls à avoir le courage d'examiner le cadavre du « dragon ». Il trouva dans son flanc déchiré une sphère rosée dure comme la pierre et trouée comme une éponge. La glissant sous son manteau, il l'emmena dans le secret de son laboratoire souterrain. La sphère y resta ainsi une année entière, servant de presse-papier. Un jour, elle exsuda un liquide poisseux, et des milliers de minuscules horreurs chasseresses, grosses comme des libellules, en sortirent, la sphère était en fait un oeuf... Effrayé par cette découverte, Jeremy quitta précipitamment son laboratoire et en scella l'entrée sous des monceaux de pierraille. Sa vie changea du tout au tout, de savant curieux et athée, il devint un fervent croyant et s'enferma dans une abbaye pour expier ses péchés. Dans le laboratoire, les « libellules », faute de pouvoir se repaître des entrailles de leur « mère » se dévorèrent les unes les autres en un ballet hystérique et sanguinaire, les vainqueurs grossissant à vue d'œil. Seule la plus cruelle d'entre-elles survécut. La bête, mesurant déjà près d'un mètre, se retrouva prise au piège, enfermée entre quatre murs (voir « Le chantier »). Elle s'enroula alors sur elle-même et attendit patiemment que sa prison s'ouvre. Elle attendit durant des siècles, endurant les tourments de la faim et nourrissant une haine sans bornes pour ses geôliers. L'heure de sa délivrance sonna un certain 30 mars 1892. Bien qu'affaiblie par des siècles de jeûne, elle n'eut aucun mal à tuer les 3 ouvriers. Elle sentit la vie revenir en elle et accomplit la première des 6 mues qui feront d'elle un adulte. A chaque mue, la bête grandit de 2 mètres et gagne en Force et en Intelligence. Une fois la dernière achevée, elle sera enfin capable de créer un Portail (sort Création de Portail) et de s'échapper de ce monde hostile. Après sa rencontre avec les PJs, la bête ne retourne pas dans le laboratoire devenu trop exigu, elle se réfugie plutôt dans les égouts par la bouche béante d'un collecteur se jetant dans la Tamise. Là elle établit son repaire, muant le jour et sortant la nuit pour chasser. A partir du 6 avril, la bête est trop gigantesque pour pouvoir sortir et doit se contenter de ce qui lui tombe sous la main...
Le chantierA la fin du XIXème siècle, Londres possède déjà un métro doté de nombreuses lignes. La grande partie du réseau est à ciel ouvert, les rames circulant au fond de tranchées très profondes. La raison en est que la plupart des locomotives sont encore à vapeur... L'introduction progressive des motrices électriques enfouira peu à peu le métro sous terre. Le chantier du métro se présente comme une tranchée profonde couverte d'un toit de bois pour éviter que le fond ne devienne vite un bourbier. Le front de la tranchée est en pente douce. Le chemin taillé dans les éboulis par la bête est un boyau praticable pour un homme, bien que d'une stabilité précaire. Le boyau débouche sur le couloir, juste à l'entrée du laboratoire. Celui-ci est divisé en deux salles. La première est meublée d'une table et d'un coffre en bois vermoulu contenant des objets usuels. L'entrée de la seconde est barrée par une porte défoncée sur laquelle on devine encore, sur chacune de ses faces, un signe des Anciens. Cette seconde pièce est celle où eut lieu le combat, le sol est poisseux de sang, les quelques meubles renversés et brisés. Parmi les débris de verre et les éclats de bois, les PJs peuvent trouver l'« oeuf » (voir « La Bête »). Un signe des Anciens a été gravé à la hâte par Jeremy sur chaque mur. Les égoutsLa bête se terre quelque part sous Whitechapel, dans des égouts parmi les plus vieux de Londres. Ils sont formés d'un réseau inextricable de couloirs étroits, boyaux et petites salles voûtées, envahi par les rats. La bête est dans l'une d'elles. Les murs suintant d'eau sont couverts de moisissures, les moellons pourrissent et une odeur aussi méphitique que pestilentielle prend les PJs à la gorge. Le sol, mal pavé, disparaît sous une eau glauque et croupissante, parfois animée d'un léger courant. Le réseau communiquant avec la Tamise, le niveau de l'eau varie au gré des marées.Durant leurs recherches, les PJs peuvent découvrir plusieurs indices qui les mèneront à la bête. Pour chaque tranche de 15 minutes passées à patauger, le Gardien lance 1D100, si le résultat est inférieur à 20%, les PJs trouvent un indice. A chaque indice découvert, les chances d'en trouver un autre doublent. A titre d'exemples voici plusieurs indices possibles :
ChronologieLes faits marqués entre parenthèses sont relatés dans la presse le jour suivant :30 mars : explosion sur un chantier du métro (voir « Le cas de Thomas Willard »). Première mue (voir « La Bête »). 1 avril : les PJs sont poursuivis par la bête (voir « Première Rencontre »). 2 avril : deuxième mue. 4 avril : le laboratoire est découvert par l'équipe chargée de dégager les victimes de l'explosion. Malgré les recherches, les corps ne sont pas retrouvés. 3-5 avril : disparition d'une dizaine de personnes - dont deux bobbies - dans le quartier de Whitechapel. Troisième et quatrième mues. 6 avril : une équipe d'égoutiers disparaît à son tour sans laisser de traces. Cinquième mue. 7 avril : au crépuscule, tous les rats de Whitechapel sortent des égouts en un exode massif pour fuir la bête. Sixième et dernière mue. 8 avril : la bête est mature, elle crée un Portail et rentre « chez elle ». Scénario : Pierre Lejoyeux et Frédéric Blayo / Illustrations : Eric Larnoy / Plans : Stéphane Truffert |