Maléfices - Claustrophobie - Jeux Descartes Plus, Volume 05 (1990)

Est-il vraiment nécessaire de courir le monde pour rencontrer l’aventure dans Maléfices ?

Hervé Fontanières ne le pense pas et il vous explique comment affron­ter le Mystère... sans avoir besoin de beaucoup se déplacer.

Oubliez le Guide !

Parmi tous ceux qui ont entrepris de mettre au point un scénario de jeu de rôle, et de Maléfices en particulier, qui n’a jamais rêvé d’être l’auteur d’une épopée fulgurante, d’une fresque inoubliable, digne héritière des Tarass Boulba, Marco Polo ou de la Terre à la Lune ? Qui n’a jamais imaginé les premiers épisodes d’une de ces aventures mémorables, où, plongés dans des paysages fabuleux, confrontés à des dangers impen­sables et des ennemis hors du com­mun, les héros sont contraints de se surpasser à chaque instant, pour sim­plement sauver leur vie ?

Même si, par vocation, Maléfices est plutôt destiné à une ambiance intimiste, personne ne dédaignerait un de ces récits trépidants qui emmè­nerait nos personnages au bout du monde, et, à l’instar de Jules Verne ou Edgar Poe, leur ferait affronter des sorciers tribaux au fin fond des terri­toires pygmées, courir les mers à la poursuite des membres mystérieux d’une secte cabaliste, ou escalader le toit du monde à la recherche d’un précieux renseignement, détenu par un moine fou de Potala.

Mais ceux qui se sont déjà essayés à l’écriture de scénarios de Maléfices, savent que l’un des problèmes majeurs de ce genre de “sport” est de construire un système capable de faire face à toutes les situations susceptibles de se présenter. Vous connaissez peut-être la hantise du Maître de Jeu, dont les personnages feraient soudain voler en éclats les murs de son scénario, pour se retrou­ver livrés à eux-mêmes, dans une “autre dimension” ! Bien entendu, il est peu raisonnable, pour ne pas dire impossible, de vouloir prévoir toutes les actions et réactions des person­nages. Un scénario de Maléfices n’est pas un fourre-tout équipé d’une série de tiroirs, propres à répondre à tous les cas de figures. Pour écrire une histoire qui “tienne le coup”, il est préférable de se placer dans un sys­tème cohérent, qui par sa structure même évitera les surprises.

Attention, il ne s’agit pas de freiner les velléités d’initiative des joueurs, ni de brider leurs imaginations fertiles, sinon votre scénario court le risque de se transformer en promenade de santé ou en visite guidée. Belles images, beau spectacle, mais aucune réelle ini­tiative de la part des joueurs aucun frisson = échec garanti. Il s’agit surtout de “baliser le terrain” en plaçant cer­tains garde-fous, et, n’étant ainsi jamais pris au dépourvu, de ne gâcher ni le plaisir de vos joueurs, ni le vôtre

Certains esprits chagrins pourront arguer que l’on entrave ainsi la liberté des joueurs. Mais que je sache, le plaisir de l’explorateur de labyrinthe est aussi de se retrouver nez-à-nez avec un cul-de-sac et d’errer longue­ment sans comprendre dans le déda­le. S’il brisait soudain les murailles qui le cernent pour se retrouver à l’extérieur, sans même avoir eu la satisfaction de résoudre l’énigme, où serait passé son plaisir ? Celui-ci est aussi de se faire manipuler, piéger, induire en erreur, mener en bateau. Car plus grande est alors sa satisfac­tion de surmonter cette mécanique infernale, qui, s’il n’y prend pas garde, l’emportera en Enfer, ou ailleurs...

Je ne paraphraserai pas ici mon ami Michel Gaudo, qui vous a longue­ment exposé dans un précédent article toutes les astuces qui aident à créer un bon scénario de Maléfices. Je désire seulement vous présenter ici une catégorie bien particulière d’aventures, qui évitent par certains côtés les problèmes insolubles posés par des projets trop ambitieux, tout en demandant autant de soin et d’atten­tion que les autres, celles qui pren­nent pour cadre les Lieux clos”.

L’aventure intérieure ou les coulisses de l’exploit

L’histoire en lieu clos n’est pas apparue, vous vous en doutez bien, avec le Jeu de Rôle. Elle tire ses ori­gines de la littérature et principale­ment du théâtre. Pour des raisons évidentes de conditions matérielles, celui-ci demandait des décors réduits. Les auteurs de théâtre se virent donc obligés, dès l’antiquité, de réduire les tableaux” différents à quatre ou cinq. Quelquefois ils s’en tenaient à un lieu unique, où tout se passait, le reste étant rapporté ou raconté par l’inter­médiaire de témoins ou de “lecteurs”.

Un des meilleurs exemples du genre, et pour cause, est Huis clos”, la pièce de Jean-Paul Sartre, qui en un acte et un seul tableau, l’intérieur d’un salon second empire, nous décrit une damnation étrange où “l’Enfer, c’est les autres”.

Les cinéastes se sont eux aussi intéressés au genre. Dans “Midnight­ Express”, pour prendre un exemple récent, l’action se déroule entière­ment dans l’enceinte d’une prison turque. Un trafiquant de drogue ama­teur se retrouve dans l’enfer plus vrai que nature des geôles d’Istanbul, dont il sortira finalement, avec l’aide de sa famille, mais surtout grâce à son courage et à sa volonté

Une prison à votre taille

Un espace clos ne se réduit pas obligatoirement, comme dans “Huis clos,” à une seule pièce. Si l’histoire se déroule effectivement dans une unité de lieu relativement restreinte, cet espace est variable. Même si le cas est limite, il pourra aller jusqu’à la taille d’une petite ville.

Dans “Les brasiers ne s’éteignent jamais” (N°03 de Maléfices) par exemple, les personnages se retrou­vent enfermés à l’intérieur des murs de Loudun, d’abord par décision judi­ciaire, ensuite en raison d’une mysté­rieuse malédiction qui les empêche de quitter la ville. Même s’ils peuvent aller et venir à leur guise, ils n’en sont pas moins condamnés à trouver la clé de l’énigme à l’intérieur de Lou­dun, d’abord pour conserver la vie sauve, ensuite et surtout afin de sau­ver leur âme.

Prisons au choix

Le choix d’un lieu clos sera fonction de deux idées principales, qu’il faudra garder conjointement à l’esprit.

Si l’univers carcéral vous inspire, vous pouvez par exemple, âme cruel­le, placer vos personnages joués dans la dure condition de déte­nus, purgeant leurs peines (longues, comme il se doit) à l’ombre des barreaux d’une maison d’arrêt.

Jail, Sweet Jail

- Innocent ! Je suis innocent !

C’est ce que chacun des person­nages joués hurlera du fond de sa cellule, car il est bien évident que vous ne pouvez faire de vos person­nages d’odieux malfaiteurs, du moins contre leur gré. Il ne fait aucun doute qu’ils auront tous, dure ironie du des­tin, été victimes d’une abominable erreur judiciaire. (Libre à vous, si vous désirez donner du piment à l’affaire, d’offrir à vos joueurs le choix d’être d’authentiques assassins ou escrocs, sans que le fait d’être un repris de justice n’influe en rien sur la situation de chacun.)

Entassés dans une cellule exiguë, les cinq personnages joués verront ce jour-là arriver parmi eux un drôle de compagnon. Petit homme souffre­teux et malingre, Georges Duval n’a certes rien d’un assassin. C’est pour­tant sous cette accusation qu’il a échoué ici, condamné à perpétuité pour le meurtre de quatre vieilles dames, qu’il aurait découpées en morceaux avant de les enterrer dans son jardin, entre les poireaux et les petits pois.

Mais Georges Duval clame son innocence, qualité décidément dia­blement répandue dans cette prison. Il affirmera avoir été l’objet d’une odieuse machination, perpétrée selon lui par la “Congrégation des Cheva­liers de l’Odalisque”, association dont il n’osera rien révéler, mais qui, affir­me-t-il, lui a adressé une sentence de mort. Qu’ils le croient ou pas, les per­sonnages ne pourront empêcher l’étrange bonhomme de succomber deux jours plus tard, étranglé dans son lit.

Soupçonnés de l’avoir assas­siné, les person­nages seront isolés, chacun dans un cachot. Dans une de ses poches, chacun trouvera un éclat d’une sorte de médaillon en ardoise, sur lequel est inscrit un fragment de phrase.

Quelques jours plus tard, faute de preuves, les personnages seront remis en cellule, mais ils auront été séparés. Le soir même, chacun d’entre eux sera victime, soit d’une agression, soit d’une tentative de vol sur la partie de médaillon qu’il détient. A partir de ce moment, le problème pour eux sera complexe:

- Éviter de se faire dérober leur morceau de médaillon.

- Entrer à nouveau en contact les uns avec les autres.

- Reconstituer le médaillon.

- A la lumière de la phrase inscrite dessus, retrouver le meurtrier de Duval.

- Accessoirement, en leur donnant une chance à ce sujet, prouver leur innocence et recouvrer la liberté.

Libre à vous, sur ce canevas, d’imaginer mille et une aventures à jouer.

Ensuite, il est indispensable d’indi­quer les raisons précises, et bien entendu plausibles, qui ont amené les personnages à se retrouver dans cette situation. Il serait en effet tout à fait gênant d’imposer aux joueurs une position inconfor­table, sans la justifier de façon acceptable.

Comme le montre l’exemple précédent, il est aussi préférable de laisser les joueurs libres de choisir la personnalité de leur personnage. Il serait assez malvenu d’en faire des malfaiteurs sans leur demander leur avis.

L’hypothèse de l’erreur judiciaire laisse à ceux qui le désirent le choix de préserver au moins leur réputation

Veillez donc à respecter l’histoire que chaque personnage a vécue anté­rieurement au scénario que vous proposez. Dans la mesure du possible, songez également que chacun sou­haite avoir une histoire “future”. Aussi, ménagez une porte de sortie, qui permettra de rejouer chaque per­sonnage par la suite, si bien sûr il en réchappe !

Au sujet de ces justifications, deux cas se présentent. Dans le premier, la situation des personnages est confor­me à leur condition. En d’autres termes, même innocent, la place d’un détenu est en prison, celle d’un soldat à la caserne et celle d’un fou à l’asile. Dans le second, “l’isolement” est occasionnel, exceptionnel, provoqué par un événement extérieur.

Cher intérieur

Ils avaient été surpris par l’orage, un orage d’une puissance incroyable, comme le conducteur de la charrette n’en avait lui-même jamais vu. Par chance, leur véhicule avait rompu son essieu juste en face de cette vieille bâtisse délabrée, abandonnée depuis longtemps semblait-il.

Ils y avaient pénétré avec soulagement. Ce n’était sans doute que quatre murs avec un mauvais toit, mais ils suffiraient bien à les protéger de la tempête. Chacun avait trouvé une place pour la nuit et pensait s’endormir du sommeil du juste.

Mais lorsque Joan voulut sortir à l’extérieur pour aller chercher son bagage dans la charrette, qu’il trouva portes et fenêtres closes et que per­sonne ne put, malgré des efforts conjoints, les faire bouger d’un pouce, chacun fut persuadé que la nuit serait longue...

Libre de ses chaînes

L’emprisonnement peut, il est vrai, être ressenti par les joueurs comme artificiel et contraignant. Il peut être mieux accepté dans le cas où les per­sonnages joués l’ont eux-mêmes “choisi”. Pour reprendre deux exemples célèbres du cinéma, les internés de “Vol au-dessus d’un nid de coucou” n’avaient guère d’autre choix que de s’enfuir de l’hôpital psy­chiatrique,... ou d’y mourir ! Shock Corridor, par contre, raconte l’histoire d’un journaliste se faisant volontaire­ment interner pour découvrir le cou­pable d’un crime.

On retrouve un cas de figure ana­logue dans le scénario “Délivrez-nous du mal” (N0 04 de Maléfices). Tous les personnages y sont des moines, et à ce titre rigoureusement contraints de demeurer dans l’enceinte de leur monastère. Dans ce cas, l’isolement par rapport au monde extérieur ne vient pas d’une agression on d’une contrainte. Il est librement consenti par les personnages, du moins s’ils acceptent de se prêter au jeu de la vocation monastique. Le jeu est ici double accepter l’isolement et endosser la mentalité de moine, ce qui est de loin le plus difficile.

Êtes-vous In ?
Êtes-vous Out ?

L’espace clos présente des avan­tages et des inconvénients. Le point le plus intéressant est l’unité de lieu. Celle-ci permet de ne pas se perdre dans la description de multiples décors, et par voie de conséquence de “soigner l’intérieur”. Il est bien évi­demment plus facile de décrire de fond en comble une pièce ou une maison, qu’une ville entière. Cela permet surtout de reporter toute son intention à l’intrigue, à la psychologie des personnages non joués, au sus­pens.

Attention un beau décor ne fait pas obligatoirement un bon scénario. Comme disait Gabin Pour faire un bon film, il faut trois choses une bonne histoire, une bonne histoire, une bonne histoire”.

Il est très facile de se laisser obnu­biler par la beauté, l’originalité ou l’intérêt historique du lieu dans lequel on place son histoire... et d’en oublier celle-ci ! Prenez garde que les beau­tés du paysage ne finissent par mas­quer l’indigence du scénario. Placer son aventure dans un lieu clos, aussi insolite soit-il, ne suffit donc pas. Si vous vous en tenez à un décor res­treint, il est indispensable que l’histoi­re soit solide et fournie, en d’autres termes, que la richesse intérieure compense la sobriété de l’environne­ment.

Soir d’éruption

Ainsi, il ne suffit pas d’emprisonner vos personnages dans les entrailles du Fuji-Yama, un soir d’éruption, encore faut-il qu’ils y vivent un moment intense d’émotion. Si vous les vaporisez avant qu’ils aient eu la moindre chance de s’en sortir, ou que vous les faites délivrer par une troupe de policiers armés jusqu’aux dents qui leur voleront la vedette, le sus­pens s’annihilera de lui-même. Par contre, s’ils se retrouvent attachés par les pieds au-dessus du gouffre bouillonnant, avec comme seule aide, leur courage, leurs muscles et deux kilos et demi de cervelle, nul doute qu’ils n’oublieront pas de sitôt leur évasion rocambolesque, si tant est qu’ils la réussissent bien entendu...

Votre scénario devra donc être sou­tenu par une logique sans faille, car rien d’extérieur ne pourra venir récu­pérer une éventuelle lacune. Les anciens auteurs de théâtre grec ou romain usaient, parfois abusaient, du “Deus ex machina”, c’est-à-dire de l’intervention divine pour démêler les intrigues inextricables dont ils ne par­venaient pas à sortir. Il est préférable de renoncer à cet artifice. Au contrai­re, la solution de votre scénario devra se trouver dissimulée à l’intérieur même du lieu clos. Un des intérêts de la chose sera d’écarteler votre personnage entre la menace de ne jamais s’échapper vivant avant d’avoir trouvé la solution de l’intrigue et la certitude de savoir celle-ci à por­tée de main.

Champ d’horreur

A l’intérieur des murs clos de la caserne en cet automne 1916, la cen­taine de jeunes recrues du 13e régi­ment d’infanterie, dont beaucoup ont à peine vingt ans, est consignée, en attendant de rejoindre le front. Les.. jeunes soldats ont vu depuis quelques jours s’ajouter à l’angoisse qui les saisit à l’idée d’aller risquer leur peau dans l’enfer de Verdun, une terreur plus insidieuse. Car chaque nuit, depuis trois jours, malgré les gardes doublées, malgré la vigilance des appelés eux-mêmes, un d’entre eux est assassiné de façon horrible.

Le premier a été retrouvé cloué par les membres à la porte du réfectoire. La langue arrachée, il est sans doute mort de froid et d’épuisement sans pouvoir appeler ses camarades au secours. Le second avait été enfermé dans le garde-manger, la gorge déchirée, pendu à un crochet de boucherie parmi les bœufs et les moutons. Le dernier fut découvert lorsque l’on vidangea le plus grand des fûts de vin destinés aux soldats. Dépecé comme un porc, il avait été jeté dans l’énorme barrique depuis la veille, son sang s’étant sûrement mélangé au vin…

Dans la chambre n°17, celle où dorment les personnages joués, la peur rôde. Tous les morts en effet faisaient partie de cette chambre. Sur les douze du départ, il n’en reste plus que neuf. On se soupçonne, on se surveille, on s’accuse. Certains commencent à parler de malédiction. Est-il vrai que parmi les contingents précédents, les occupants de cette chambre avaient déjà été frappés par une hécatombe inexpliquée ? Doit-on croire les ragots qui accusent Ferdinand, frustre paysan de Sologne et rebouteux à ses heures, de se détourner à la vue de la croix et de se lever la nuit, pour aller manigancer on ne sait quoi dans son infirmerie ? Doit-on soupçonner le caporal Dugommier, brute alcoolique qui fait régner la terreur parmi les soldats de cette chambrée dont il est responsable ? Et le jeune capitaine de Reschenbach, aristocrate fragile et raffiné, est-il, comme on le murmure, si avide de jeunes et beaux garçons, qu’il menace les récalcitrants des pires châtiments ? Ou bien est-il plus facile de rejeter la faute sur Hector, “le fou”, qui ne parle à personne, ne regarde personne, passant ses journées à tailler d’une main experte un bout de bois à l’aide d’un grand coutelas de chasse ? C’est à vous d’en décider, de choi­sir une de ces hypothèses, ou d’imaginer une autre solution, celles-ci devenant de fausses pistes. A moins que plusieurs de ces hypothèses ne s’enchevêtrent. En tout état de cause, tout sera consommé avant une dizaine de jours, date du départ des soldats pour Verdun. Échapperont-ils à ce cauchemar ? Certains diront “à quoi bon”, si c’est pour plonger bientôt dans un autre enfer, celui des tranchées...

Le loup dans la bergerie ou le mouton enragé

Dans son roman “dix petits nègres”, Agatha Christie nous offre un excellent exemple d’histoire en lieu clos. En effet, la majeure partie du récit se déroule sur l’île de Nègre. Là, dix personnes invitées à un séjour de villégiature, se retrouvent traquées par un mystérieux assassin, dont on comprend vite qu’il se trouve parmi eux. A l’instar de la célèbre romancière, vous pouvez très bien faire de l’un de vos personnages joués le véritable coupable. Les exemples de la caser­ne et de la prison, exposés plus haut, s’y prêtent particulièrement. La posi­tion sera certes inconfortable pour le joueur désigné, encore que certains possèdent des capacités insoupçonnées pour endosser le costume de “méchant”. Mais la situation donnera lieu à de savoureux quiproquos, ce lever la nuit, qui ne fera qu’augmenter le mystère pour aller et le suspens.

Deux temps, trois mouvements

Malgré ce que l’on pourrait croire un lieu clos n’est pas obligatoirement immobile. Comme Agatha Christie, encore elle, dans “Le crime de l’Orient Express”, rien ne vous empêche de placer toute ou partie de votre scénario dans un moyen de transport, bateau, train, avion, diri­geable ou sous-marin ! Rappelez- vous Vingt mille lieues sous les mers, Cinq semaines en ballon ou l’ile au Trésor. Toutefois, l’exemple suivant vous montre à quel point on peut quelque­- fois regretter ce bon plancher des Vaches...

Croisière rouge

Le 9 Juillet 1906, une quarantaine de passagers s’embarquent sur le Pennsylvania, qui fait la liaison mensuelle entre Le Havre et New York. La mer est calme, le temps clair. Le voyage s’annonce avant tout monoto­ne pour ces gens, dont la plupart sont des voyageurs de commerce, commerçants et des hommes d’affaires. La traversée se déroule sans problèmes jusqu’à la nuit du 15 Juillet.

Vers quatre heures du matin, les passagers sont réveillés en sursaut par les hurlements des sirènes du bateau et les cris des membres d’équipage. Sautant en hâte au bas de leurs couchettes, ils ont tout juste le temps de sortir de leur cabine.

Dehors, ils aperçoivent l’éclat rou­geoyant d’un incendie qui dévore rapidement le pont inférieur. Dans la panique que l’on imagine, les canots de sauvetage sont jetés à la mer. Les personnages joués se retrouvent bien entendu dans le même canot qui s’éloigne assez facilement du bateau en flammes. Il y a là un marin du Pennsylvania et une demi-douzaine de passagers hagards et dépenaillés. Tout le monde reprend son souffle et ses esprits. Quelques minutes plus tard, le Pennsylvania sombre corps et biens, emportant par le fond les mal­heureux qui se débattaient encore au bastingage. Les naufragés se retrou­vent loin de tout, en plein Océan Atlantique, avec seulement le mince espoir d’être recueillis par un bateau de passage.

Mais alors que chacun se désole, une lueur d’abord diffuse naît dans la nuit d’encre où vient de disparaître le vapeur. Est-ce un navire? Auraient-ils la chance d’être secourus aussi rapi­dement ? La vague luminosité joue avec les brumes flottantes qui stag­nent sur la mer, disparaît comme si elle était partout à la fois.

Mais elle grandit peu à peu, gagne en intensité, jusqu’à devenir une flamme intense dont on ne peut déterminer la nature et qui s’avance inexorablement vers la frêle embarca­tion dérivant sur la mer...

Savant fou à la Jules Verne, en quête de cobayes pour ses expé­riences innommables ? Vaisseau fan­tôme transportant les âmes des marins morts sans sépulture ? Naufrageurs à la recherche de proies faciles ? Ou quoi d’autre sorti de votre imagination dérangée ?

A vous de jouer...

Enfer privé

Nous avons vu plus haut le cas où les personnages en arrivaient à se soupçon­ner les uns les autres. Mais, au-delà de cette insuppor­table incertitude, vous pouvez faire pire et ajouter à l’isolement, la totale solitude...

Fiat lux

Ce 24 Décembre 1907, le person­nage joué se prépare un bien morne noël. Du haut des vingt-huit mètres du phare dont il a la garde, il regarde l’océan. A travers le brouillard qui ne se lèvera pas encore aujourd’hui, il n’aperçoit même pas les côtes de sa Bretagne natale, qu’il n’a pas revue depuis le mois de Juillet. Six mois de veille seul dans ce phare, six longs mois de solitude qui prendront fin le premier Janvier au soir, lorsque Loïc Lecouaz viendra le relever. Mais pour l’heure il reste seul, alors que de l’ouest s’avance vers lui une des innombrables tempêtes qui font trem­bler sur son socle ce vieux phare délabré, battu par les flots.

Vers minuit, il envoie une pensée à Mathilde, sa femme, et à la petite Chloé, qu’il reverra bientôt. Puis, après avoir vérifié une fois de plus le moteur du fanal, qui empêchera tant de navires de s’échouer sur les récifs à fleur d’eau qui tapissent la passe, il va se coucher.

Mais au matin, alors qu’il ouvre la fenêtre donnant sur l’océan, il tres­saille : une mouette, une de celles qui viennent le narguer tous les jours, en jouant avec les courants aériens alors que lui reste prisonnier de sa tour de guet, a été clouée sur le volet. Qui a pu, au cours de la nuit, à plus de vingt mètres du sol, alors que dehors le vent faisait trembler l’édifi­ce, se livrer à cette macabre mise en scène ?

Le gardien aura beau fouiller le phare de fond en comble, il ne trou­vera rien ni personne. Pourtant, il faut bien admettre que quelqu’un est ici, avec lui, sur le phare. Qui donc ? Le gardien veillera peut-être toute la nuit, essayant vainement de perce­voir à travers les mugissements du vent, un bruit suspect, un cri, un cra­quement. Il patrouillera sans doute du haut du phare au sommet des fonda­tions, sans rien découvrir.

Rien non plus au matin, rien sur les volets, rien sur les portes ou les fenêtres, rien au sommet du phare ou sur les murs. Mais au bas de la tour, accrochée sur quelques cailloux sur lesquels fut édifié le phare, une barque attend, vide. Le canot semble avoir supporté maintes et maintes journées de mer peut-être des semaines. Le gardien a peur de pen­ser des années, car remonte à son esprit la vieille légende de l’Ankou, qui, menant la barque des morts, recueille le premier marin de l’année à périr en mer. Le premier de l’année...

Nous sommes le 26 Décembre. Le premier de l’année.

En compulsant les registres du phare, le gardien constatera qu’à quatre reprises, au cours des cin­quante années d’existence du phare, lorsqu’on vint faire la relève du début d’année, on retrouva celui-ci vide.

De nombreuses idées de scénarios donc, propres à stimuler votre imagi­nation. Si vous aimez le changement, rien ne vous empêché de créer plu­sieurs variantes sur le même thème et pourquoi pas de les faire jouer succes­sivement au même groupe. En tout état de cause, j’espère que cet article vous amènera sur la voie d’autres idées, celles-là plus personnelles et vous convaincra que Maléfices est un jeu dont vous n’avez pas encore découvert toutes les richesses.

Hervé FONTANIÈRES.