Maléfices - Claustrophobie - Jeux Descartes Plus,
Volume 05 (1990)
Est-il vraiment nécessaire de courir le monde pour rencontrer
l’aventure dans Maléfices ?
Hervé Fontanières ne le pense pas et il vous explique comment
affronter le Mystère... sans avoir besoin de beaucoup se déplacer.
Oubliez le Guide !
Parmi tous ceux qui ont entrepris de mettre au point un scénario de jeu
de rôle, et de Maléfices en particulier, qui n’a jamais rêvé d’être
l’auteur d’une épopée fulgurante, d’une fresque inoubliable, digne
héritière des Tarass Boulba, Marco Polo ou de la Terre à la Lune ? Qui
n’a jamais imaginé les premiers épisodes d’une de ces aventures
mémorables, où, plongés dans des paysages fabuleux, confrontés à des
dangers impensables et des ennemis hors du commun, les héros sont
contraints de se surpasser à chaque instant, pour simplement sauver
leur vie ?
Même si, par vocation, Maléfices est plutôt destiné à une ambiance
intimiste, personne ne dédaignerait un de ces récits trépidants qui
emmènerait nos personnages au bout du monde, et, à l’instar de Jules
Verne ou Edgar Poe, leur ferait affronter des sorciers tribaux au fin
fond des territoires pygmées, courir les mers à la poursuite des
membres mystérieux d’une secte cabaliste, ou escalader le toit du monde
à la recherche d’un précieux renseignement, détenu par un moine fou de
Potala.
Mais ceux qui se sont déjà essayés à l’écriture de scénarios de
Maléfices, savent que l’un des problèmes majeurs de ce genre de “sport”
est de construire un système capable de faire face à toutes les
situations susceptibles de se présenter. Vous connaissez peut-être la
hantise du Maître de Jeu, dont les personnages feraient soudain voler
en éclats les murs de son scénario, pour se retrouver livrés à
eux-mêmes, dans une “autre dimension” ! Bien entendu, il est peu
raisonnable, pour ne pas dire impossible, de vouloir prévoir toutes les
actions et réactions des personnages. Un scénario de Maléfices n’est
pas un fourre-tout équipé d’une série de tiroirs, propres à répondre à
tous les cas de figures. Pour écrire une histoire qui “tienne le coup”,
il est préférable de se placer dans un système cohérent, qui par sa
structure même évitera les surprises.
Attention, il ne s’agit pas de freiner les velléités d’initiative des
joueurs, ni de brider leurs imaginations fertiles, sinon votre scénario
court le risque de se transformer en promenade de santé ou en visite
guidée. Belles images, beau spectacle, mais aucune réelle initiative
de la part des joueurs aucun frisson = échec garanti. Il s’agit surtout
de “baliser le terrain” en plaçant certains garde-fous, et, n’étant
ainsi jamais pris au dépourvu, de ne gâcher ni le plaisir de vos
joueurs, ni le vôtre
Certains esprits chagrins pourront arguer que l’on entrave ainsi la
liberté des joueurs. Mais que je sache, le plaisir de l’explorateur de
labyrinthe est aussi de se retrouver nez-à-nez avec un cul-de-sac et
d’errer longuement sans comprendre dans le dédale. S’il brisait
soudain les murailles qui le cernent pour se retrouver à l’extérieur,
sans même avoir eu la satisfaction de résoudre l’énigme, où serait
passé son plaisir ? Celui-ci est aussi de se faire manipuler, piéger,
induire en erreur, mener en bateau. Car plus grande est alors sa
satisfaction de surmonter cette mécanique infernale, qui, s’il n’y
prend pas garde, l’emportera en Enfer, ou ailleurs...
Je ne paraphraserai pas ici mon ami Michel Gaudo, qui vous a
longuement exposé dans un précédent article toutes les astuces qui
aident à créer un bon scénario de Maléfices. Je désire seulement vous
présenter ici une catégorie bien particulière d’aventures, qui évitent
par certains côtés les problèmes insolubles posés par des projets trop
ambitieux, tout en demandant autant de soin et d’attention que les
autres, celles qui prennent pour cadre les Lieux clos”.
L’aventure intérieure ou les coulisses de l’exploit
L’histoire en lieu clos n’est pas apparue, vous vous en doutez bien,
avec le Jeu de Rôle. Elle tire ses origines de la littérature et
principalement du théâtre. Pour des raisons évidentes de conditions
matérielles, celui-ci demandait des décors réduits. Les auteurs de
théâtre se virent donc obligés, dès l’antiquité, de réduire les
tableaux” différents à quatre ou cinq. Quelquefois ils s’en tenaient à
un lieu unique, où tout se passait, le reste étant rapporté ou raconté
par l’intermédiaire de témoins ou de “lecteurs”.
Un des meilleurs exemples du genre, et pour cause, est Huis clos”, la
pièce de Jean-Paul Sartre, qui en un acte et un seul tableau,
l’intérieur d’un salon second empire, nous décrit une damnation étrange
où “l’Enfer, c’est les autres”.
Les cinéastes se sont eux aussi intéressés au genre. Dans “Midnight
Express”, pour prendre un exemple récent, l’action se déroule
entièrement dans l’enceinte d’une prison turque. Un trafiquant de
drogue amateur se retrouve dans l’enfer plus vrai que nature des
geôles d’Istanbul, dont il sortira finalement, avec l’aide de sa
famille, mais surtout grâce à son courage et à sa volonté
Une prison à votre taille
Un espace clos ne se réduit pas obligatoirement, comme dans “Huis
clos,” à une seule pièce. Si l’histoire se déroule effectivement dans
une unité de lieu relativement restreinte, cet espace est variable.
Même si le cas est limite, il pourra aller jusqu’à la taille d’une
petite ville.
Dans “Les brasiers ne s’éteignent jamais” (N°03 de Maléfices) par
exemple, les personnages se retrouvent enfermés à l’intérieur des murs
de Loudun, d’abord par décision judiciaire, ensuite en raison d’une
mystérieuse malédiction qui les empêche de quitter la ville. Même
s’ils peuvent aller et venir à leur guise, ils n’en sont pas moins
condamnés à trouver la clé de l’énigme à l’intérieur de Loudun,
d’abord pour conserver la vie sauve, ensuite et surtout afin de sauver
leur âme.
Prisons au choix
Le choix d’un lieu clos sera fonction de deux idées principales, qu’il
faudra garder conjointement à l’esprit.
Si l’univers carcéral vous inspire, vous pouvez par exemple, âme
cruelle, placer vos personnages joués dans la dure condition de
détenus, purgeant leurs peines (longues, comme il se doit) à l’ombre
des barreaux d’une maison d’arrêt.
Jail, Sweet Jail
- Innocent ! Je suis innocent !
C’est ce que chacun des personnages joués hurlera du fond de sa
cellule, car il est bien évident que vous ne pouvez faire de vos
personnages d’odieux malfaiteurs, du moins contre leur gré. Il ne fait
aucun doute qu’ils auront tous, dure ironie du destin, été victimes
d’une abominable erreur judiciaire. (Libre à vous, si vous désirez
donner du piment à l’affaire, d’offrir à vos joueurs le choix d’être
d’authentiques assassins ou escrocs, sans que le fait d’être un repris
de justice n’influe en rien sur la situation de chacun.)
Entassés dans une cellule exiguë, les cinq personnages joués verront ce
jour-là arriver parmi eux un drôle de compagnon. Petit homme
souffreteux et malingre, Georges Duval n’a certes rien d’un assassin.
C’est pourtant sous cette accusation qu’il a échoué ici, condamné à
perpétuité pour le meurtre de quatre vieilles dames, qu’il aurait
découpées en morceaux avant de les enterrer dans son jardin, entre les
poireaux et les petits pois.
Mais Georges Duval clame son innocence, qualité décidément diablement
répandue dans cette prison. Il affirmera avoir été l’objet d’une
odieuse machination, perpétrée selon lui par la “Congrégation des
Chevaliers de l’Odalisque”, association dont il n’osera rien révéler,
mais qui, affirme-t-il, lui a adressé une sentence de mort. Qu’ils le
croient ou pas, les personnages ne pourront empêcher l’étrange
bonhomme de succomber deux jours plus tard, étranglé dans son lit.
Soupçonnés de l’avoir assassiné, les personnages seront isolés,
chacun dans un cachot. Dans une de ses poches, chacun trouvera un éclat
d’une sorte de médaillon en ardoise, sur lequel est inscrit un fragment
de phrase.
Quelques jours plus tard, faute de preuves, les personnages seront
remis en cellule, mais ils auront été séparés. Le soir même, chacun
d’entre eux sera victime, soit d’une agression, soit d’une tentative de
vol sur la partie de médaillon qu’il détient. A partir de ce moment, le
problème pour eux sera complexe:
- Éviter de se faire dérober leur morceau de médaillon.
- Entrer à nouveau en contact les uns avec les autres.
- Reconstituer le médaillon.
- A la lumière de la phrase inscrite dessus, retrouver le meurtrier de
Duval.
- Accessoirement, en leur donnant une chance à ce sujet, prouver leur
innocence et recouvrer la liberté.
Libre à vous, sur ce canevas, d’imaginer mille et une aventures à
jouer.
Ensuite, il est indispensable d’indiquer les raisons précises, et bien
entendu plausibles, qui ont amené les personnages à se retrouver dans
cette situation. Il serait en effet tout à fait gênant d’imposer aux
joueurs une position inconfortable, sans la justifier de façon
acceptable.
Comme le montre l’exemple précédent, il est aussi préférable de laisser
les joueurs libres de choisir la personnalité de leur personnage. Il
serait assez malvenu d’en faire des malfaiteurs sans leur demander leur
avis.
L’hypothèse de l’erreur judiciaire laisse à ceux qui le désirent le
choix de préserver au moins leur réputation
Veillez donc à respecter l’histoire que chaque personnage a vécue
antérieurement au scénario que vous proposez. Dans la mesure du
possible, songez également que chacun souhaite avoir une histoire
“future”. Aussi, ménagez une porte de sortie, qui permettra de rejouer
chaque personnage par la suite, si bien sûr il en réchappe !
Au sujet de ces justifications, deux cas se présentent. Dans le
premier, la situation des personnages est conforme à leur condition.
En d’autres termes, même innocent, la place d’un détenu est en prison,
celle d’un soldat à la caserne et celle d’un fou à l’asile. Dans le
second, “l’isolement” est occasionnel, exceptionnel, provoqué par un
événement extérieur.
Cher intérieur
Ils avaient été surpris par l’orage, un orage d’une puissance
incroyable, comme le conducteur de la charrette n’en avait lui-même
jamais vu. Par chance, leur véhicule avait rompu son essieu juste en
face de cette vieille bâtisse délabrée, abandonnée depuis longtemps
semblait-il.
Ils y avaient pénétré avec soulagement. Ce n’était sans doute que
quatre murs avec un mauvais toit, mais ils suffiraient bien à les
protéger de la tempête. Chacun avait trouvé une place pour la nuit et
pensait s’endormir du sommeil du juste.
Mais lorsque Joan voulut sortir à l’extérieur pour aller chercher son
bagage dans la charrette, qu’il trouva portes et fenêtres closes et que
personne ne put, malgré des efforts conjoints, les faire bouger d’un
pouce, chacun fut persuadé que la nuit serait longue...
Libre de ses chaînes
L’emprisonnement peut, il est vrai, être ressenti par les joueurs comme
artificiel et contraignant. Il peut être mieux accepté dans le cas où
les personnages joués l’ont eux-mêmes “choisi”. Pour reprendre deux
exemples célèbres du cinéma, les internés de “Vol au-dessus d’un nid de
coucou” n’avaient guère d’autre choix que de s’enfuir de l’hôpital
psychiatrique,... ou d’y mourir ! Shock Corridor, par contre, raconte
l’histoire d’un journaliste se faisant volontairement interner pour
découvrir le coupable d’un crime.
On retrouve un cas de figure analogue dans le scénario “Délivrez-nous
du mal” (N0 04 de Maléfices). Tous les personnages y sont des moines,
et à ce titre rigoureusement contraints de demeurer dans l’enceinte de
leur monastère. Dans ce cas, l’isolement par rapport au monde extérieur
ne vient pas d’une agression on d’une contrainte. Il est librement
consenti par les personnages, du moins s’ils acceptent de se prêter au
jeu de la vocation monastique. Le jeu est ici double accepter
l’isolement et endosser la mentalité de moine, ce qui est de loin le
plus difficile.
Êtes-vous In ?
Êtes-vous Out ?
L’espace clos présente des avantages et des inconvénients. Le point le
plus intéressant est l’unité de lieu. Celle-ci permet de ne pas se
perdre dans la description de multiples décors, et par voie de
conséquence de “soigner l’intérieur”. Il est bien évidemment plus
facile de décrire de fond en comble une pièce ou une maison, qu’une
ville entière. Cela permet surtout de reporter toute son intention à
l’intrigue, à la psychologie des personnages non joués, au suspens.
Attention un beau décor ne fait pas obligatoirement un bon scénario.
Comme disait Gabin Pour faire un bon film, il faut trois choses une
bonne histoire, une bonne histoire, une bonne histoire”.
Il est très facile de se laisser obnubiler par la beauté,
l’originalité ou l’intérêt historique du lieu dans lequel on place son
histoire... et d’en oublier celle-ci ! Prenez garde que les beautés du
paysage ne finissent par masquer l’indigence du scénario. Placer son
aventure dans un lieu clos, aussi insolite soit-il, ne suffit donc pas.
Si vous vous en tenez à un décor restreint, il est indispensable que
l’histoire soit solide et fournie, en d’autres termes, que la richesse
intérieure compense la sobriété de l’environnement.
Soir d’éruption
Ainsi, il ne suffit pas d’emprisonner vos personnages dans les
entrailles du Fuji-Yama, un soir d’éruption, encore faut-il qu’ils y
vivent un moment intense d’émotion. Si vous les vaporisez avant qu’ils
aient eu la moindre chance de s’en sortir, ou que vous les faites
délivrer par une troupe de policiers armés jusqu’aux dents qui leur
voleront la vedette, le suspens s’annihilera de lui-même. Par contre,
s’ils se retrouvent attachés par les pieds au-dessus du gouffre
bouillonnant, avec comme seule aide, leur courage, leurs muscles et
deux kilos et demi de cervelle, nul doute qu’ils n’oublieront pas de
sitôt leur évasion rocambolesque, si tant est qu’ils la réussissent
bien entendu...
Votre scénario devra donc être soutenu par une logique sans faille,
car rien d’extérieur ne pourra venir récupérer une éventuelle lacune.
Les anciens auteurs de théâtre grec ou romain usaient, parfois
abusaient, du “Deus ex machina”, c’est-à-dire de l’intervention divine
pour démêler les intrigues inextricables dont ils ne parvenaient pas à
sortir. Il est préférable de renoncer à cet artifice. Au contraire, la
solution de votre scénario devra se trouver dissimulée à l’intérieur
même du lieu clos. Un des intérêts de la chose sera d’écarteler votre
personnage entre la menace de ne jamais s’échapper vivant avant d’avoir
trouvé la solution de l’intrigue et la certitude de savoir celle-ci à
portée de main.
Champ d’horreur
A l’intérieur des murs clos de la caserne en cet automne 1916, la
centaine de jeunes recrues du 13e régiment d’infanterie, dont
beaucoup ont à peine vingt ans, est consignée, en attendant de
rejoindre le front. Les.. jeunes soldats ont vu depuis quelques jours
s’ajouter à l’angoisse qui les saisit à l’idée d’aller risquer leur
peau dans l’enfer de Verdun, une terreur plus insidieuse. Car chaque
nuit, depuis trois jours, malgré les gardes doublées, malgré la
vigilance des appelés eux-mêmes, un d’entre eux est assassiné de façon
horrible.
Le premier a été retrouvé cloué par les membres à la porte du
réfectoire. La langue arrachée, il est sans doute mort de froid et
d’épuisement sans pouvoir appeler ses camarades au secours. Le second
avait été enfermé dans le garde-manger, la gorge déchirée, pendu à un
crochet de boucherie parmi les bœufs et les moutons. Le dernier fut
découvert lorsque l’on vidangea le plus grand des fûts de vin destinés
aux soldats. Dépecé comme un porc, il avait été jeté dans l’énorme
barrique depuis la veille, son sang s’étant sûrement mélangé au vin…
Dans la chambre n°17, celle où dorment les personnages joués, la peur
rôde. Tous les morts en effet faisaient partie de cette chambre. Sur
les douze du départ, il n’en reste plus que neuf. On se soupçonne, on
se surveille, on s’accuse. Certains commencent à parler de malédiction.
Est-il vrai que parmi les contingents précédents, les occupants de
cette chambre avaient déjà été frappés par une hécatombe inexpliquée ?
Doit-on croire les ragots qui accusent Ferdinand, frustre paysan de
Sologne et rebouteux à ses heures, de se détourner à la vue de la croix
et de se lever la nuit, pour aller manigancer on ne sait quoi dans son
infirmerie ? Doit-on soupçonner le caporal Dugommier, brute alcoolique
qui fait régner la terreur parmi les soldats de cette chambrée dont il
est responsable ? Et le jeune capitaine de Reschenbach, aristocrate
fragile et raffiné, est-il, comme on le murmure, si avide de jeunes et
beaux garçons, qu’il menace les récalcitrants des pires châtiments ? Ou
bien est-il plus facile de rejeter la faute sur Hector, “le fou”, qui
ne parle à personne, ne regarde personne, passant ses journées à
tailler d’une main experte un bout de bois à l’aide d’un grand coutelas
de chasse ? C’est à vous d’en décider, de choisir une de ces
hypothèses, ou d’imaginer une autre solution, celles-ci devenant de
fausses pistes. A moins que plusieurs de ces hypothèses ne
s’enchevêtrent. En tout état de cause, tout sera consommé avant une
dizaine de jours, date du départ des soldats pour Verdun.
Échapperont-ils à ce cauchemar ? Certains diront “à quoi bon”, si c’est
pour plonger bientôt dans un autre enfer, celui des tranchées...
Le loup dans la bergerie ou le mouton enragé
Dans son roman “dix petits nègres”, Agatha Christie nous offre un
excellent exemple d’histoire en lieu clos. En effet, la majeure partie
du récit se déroule sur l’île de Nègre. Là, dix personnes invitées à un
séjour de villégiature, se retrouvent traquées par un mystérieux
assassin, dont on comprend vite qu’il se trouve parmi eux. A l’instar
de la célèbre romancière, vous pouvez très bien faire de l’un de vos
personnages joués le véritable coupable. Les exemples de la caserne et
de la prison, exposés plus haut, s’y prêtent particulièrement. La
position sera certes inconfortable pour le joueur désigné, encore que
certains possèdent des capacités insoupçonnées pour endosser le costume
de “méchant”. Mais la situation donnera lieu à de savoureux quiproquos,
ce lever la nuit, qui ne fera qu’augmenter le mystère pour aller et le
suspens.
Deux temps, trois mouvements
Malgré ce que l’on pourrait croire un lieu clos n’est pas
obligatoirement immobile. Comme Agatha Christie, encore elle, dans “Le
crime de l’Orient Express”, rien ne vous empêche de placer toute ou
partie de votre scénario dans un moyen de transport, bateau, train,
avion, dirigeable ou sous-marin ! Rappelez- vous Vingt mille lieues
sous les mers, Cinq semaines en ballon ou l’ile au Trésor.
Toutefois, l’exemple suivant vous montre à quel point on peut quelque-
fois regretter ce bon plancher des Vaches...
Croisière rouge
Le 9 Juillet 1906, une quarantaine de passagers s’embarquent sur le
Pennsylvania, qui fait la liaison mensuelle entre Le Havre et New York.
La mer est calme, le temps clair. Le voyage s’annonce avant tout
monotone pour ces gens, dont la plupart sont des voyageurs de
commerce, commerçants et des hommes d’affaires. La traversée se déroule
sans problèmes jusqu’à la nuit du 15 Juillet.
Vers quatre heures du matin, les passagers sont réveillés en sursaut
par les hurlements des sirènes du bateau et les cris des membres
d’équipage. Sautant en hâte au bas de leurs couchettes, ils ont tout
juste le temps de sortir de leur cabine.
Dehors, ils aperçoivent l’éclat rougeoyant d’un incendie qui dévore
rapidement le pont inférieur. Dans la panique que l’on imagine, les
canots de sauvetage sont jetés à la mer. Les personnages joués se
retrouvent bien entendu dans le même canot qui s’éloigne assez
facilement du bateau en flammes. Il y a là un marin du Pennsylvania et
une demi-douzaine de passagers hagards et dépenaillés. Tout le monde
reprend son souffle et ses esprits. Quelques minutes plus tard, le
Pennsylvania sombre corps et biens, emportant par le fond les
malheureux qui se débattaient encore au bastingage. Les naufragés se
retrouvent loin de tout, en plein Océan Atlantique, avec seulement le
mince espoir d’être recueillis par un bateau de passage.
Mais alors que chacun se désole, une lueur d’abord diffuse naît dans la
nuit d’encre où vient de disparaître le vapeur. Est-ce un navire?
Auraient-ils la chance d’être secourus aussi rapidement ? La vague
luminosité joue avec les brumes flottantes qui stagnent sur la mer,
disparaît comme si elle était partout à la fois.
Mais elle grandit peu à peu, gagne en intensité, jusqu’à devenir une
flamme intense dont on ne peut déterminer la nature et qui s’avance
inexorablement vers la frêle embarcation dérivant sur la mer...
Savant fou à la Jules Verne, en quête de cobayes pour ses expériences
innommables ? Vaisseau fantôme transportant les âmes des marins morts
sans sépulture ? Naufrageurs à la recherche de proies faciles ? Ou quoi
d’autre sorti de votre imagination dérangée ?
A vous de jouer...
Enfer privé
Nous avons vu plus haut le cas où les personnages en arrivaient à se
soupçonner les uns les autres. Mais, au-delà de cette insupportable
incertitude, vous pouvez faire pire et ajouter à l’isolement, la totale
solitude...
Fiat lux
Ce 24 Décembre 1907, le personnage joué se prépare un bien morne noël.
Du haut des vingt-huit mètres du phare dont il a la garde, il regarde
l’océan. A travers le brouillard qui ne se lèvera pas encore
aujourd’hui, il n’aperçoit même pas les côtes de sa Bretagne natale,
qu’il n’a pas revue depuis le mois de Juillet. Six mois de veille seul
dans ce phare, six longs mois de solitude qui prendront fin le premier
Janvier au soir, lorsque Loïc Lecouaz viendra le relever. Mais pour
l’heure il reste seul, alors que de l’ouest s’avance vers lui une des
innombrables tempêtes qui font trembler sur son socle ce vieux phare
délabré, battu par les flots.
Vers minuit, il envoie une pensée à Mathilde, sa femme, et à la petite
Chloé, qu’il reverra bientôt. Puis, après avoir vérifié une fois de
plus le moteur du fanal, qui empêchera tant de navires de s’échouer sur
les récifs à fleur d’eau qui tapissent la passe, il va se coucher.
Mais au matin, alors qu’il ouvre la fenêtre donnant sur l’océan, il
tressaille : une mouette, une de celles qui viennent le narguer tous
les jours, en jouant avec les courants aériens alors que lui reste
prisonnier de sa tour de guet, a été clouée sur le volet. Qui a pu, au
cours de la nuit, à plus de vingt mètres du sol, alors que dehors le
vent faisait trembler l’édifice, se livrer à cette macabre mise en
scène ?
Le gardien aura beau fouiller le phare de fond en comble, il ne
trouvera rien ni personne. Pourtant, il faut bien admettre que
quelqu’un est ici, avec lui, sur le phare. Qui donc ? Le gardien
veillera peut-être toute la nuit, essayant vainement de percevoir à
travers les mugissements du vent, un bruit suspect, un cri, un
craquement. Il patrouillera sans doute du haut du phare au sommet des
fondations, sans rien découvrir.
Rien non plus au matin, rien sur les volets, rien sur les portes ou les
fenêtres, rien au sommet du phare ou sur les murs. Mais au bas de la
tour, accrochée sur quelques cailloux sur lesquels fut édifié le phare,
une barque attend, vide. Le canot semble avoir supporté maintes et
maintes journées de mer peut-être des semaines. Le gardien a peur de
penser des années, car remonte à son esprit la vieille légende de
l’Ankou, qui, menant la barque des morts, recueille le premier marin de
l’année à périr en mer. Le premier de l’année...
Nous sommes le 26 Décembre. Le premier de l’année.
En compulsant les registres du phare, le gardien constatera qu’à quatre
reprises, au cours des cinquante années d’existence du phare,
lorsqu’on vint faire la relève du début d’année, on retrouva celui-ci
vide.
De nombreuses idées de scénarios donc, propres à stimuler votre
imagination. Si vous aimez le changement, rien ne vous empêché de
créer plusieurs variantes sur le même thème et pourquoi pas de les
faire jouer successivement au même groupe. En tout état de cause,
j’espère que cet article vous amènera sur la voie d’autres idées,
celles-là plus personnelles et vous convaincra que Maléfices est un jeu
dont vous n’avez pas encore découvert toutes les richesses.
Hervé FONTANIÈRES.