Maléfices - Être ou ne pas être fantastique ? - Jeux Descartes Plus, Volume 04 (1989)

Être ou ne pas être fantastique ? Sacrée question que se pose Hervé Fontanières, un des « grands anciens », à propos de Maléfices. Mais, au même titre que la fin ne justifie pas toujours les moyens, l’odeur de soufre qui émane de ce jeu peut très bien ne pas provenir des entrailles de l’Enfer. Jean Ray (pour ne citer que lui) l’avait d’ailleurs très bien compris : le Fantastique est un état d’esprit et ne doit jamais être un procédé...

Être ou ne pas être Fantastique ?

Maléfices. Pour les fidèles amateurs de ce jeu de rôle, comme pour ceux qui ignorent encore le charme discret du frisson qui passe certains soirs autour de tables dont toutes ne sont pas des guéridons, le mot est évocateur de Fantastique. C’était d’ailleurs bien là le vœu de toute l’équipe de Maléfices : renouer, en cette ère électronique, parée de bits et d’écrans luminescents, avec la douce et étrange chaleur des foyers de bois mort réchauffant le cœur des campagnes françaises, à l’heure où les vieilles gens se souviennent de singulières histoires. Depuis, nous pensons ne pas vous avoir déçus, en vous entraînant, plus que de raison, sur les chemins du surnaturel, en vous contant ces histoires inquiétantes qui, comme nous l’espérons, en font encore frissonner certains.

Mais les amateurs de Maléfices savent par expérience qu’une de ces aventures ne débouche pas nécessairement sur le Fantastique. Rappelez-vous « Délivrez-nous du Mal » (N°4) ou « Le dompteur de volcans » (N°5).

Si, à certaines tables d’un autre type, le monstre est toujours au rendez-vous, hordes d’humanoïdes sempiternellement prêtes à se faire hacher menu, ignoble méchant invariablement retranché dans son repère inexpugnable et pourtant définitivement destiné à succomber, disons, sans pour autant dénigrer nos chers confrères, qu’il n’en va pas de même pour Maléfices.

Dès le début, nous avons renoncé à considérer une aventure de jeu de rôle comme une partie de chasse, où le trophée compte plus que la traque. Ainsi, comme le pêcheur qui rejette à l’eau le brochet qu’il a vaincu après tant de patience et d’efforts, nous privilégions la poursuite à la mise à mort ; même si les méchants finissent par connaître le triste sort qui leur revient, justice oblige. Le chemin qui s’ouvre devant vous est tout imprégné de soufre. Mais cette odeur âcre qui emplit mes narines, est-ce véritablement une effluve de l’enfer, ou les relents montant du cagibi de ma concierge ?

Pour qui paie le crime ?

Alors qu’au 7 de la Rue Dareau, une nouvelle vieille dame, la troisième en moins de quinze jours, vient de décéder soudainement, les locataires cherchent les causes de cette hécatombe. Certains prétendent que l’endroit est réputé comme malsain depuis des décennies, en raison de l’humidité qui remonte des Catacombes toutes proches. D’autres, faisant remarquer que toutes les mortes avaient dépassé la soixantaine, penchent pour le crime crapuleux, sans d’ailleurs définir de mobile. D’autres encore pensent à un évadé de l’asile d’aliénés de la Rue d’Alésia. Certains enfin, en privé, reportent tous leurs soupçons sur madame Delgal. Connue pour son caractère susceptible, elle vit seule en recluse depuis des années avec son chat noir, animal sournois et inquiétant. Toujours prête à chercher querelle à ses voisines, Maryse Delgal a eu des mots avec à peu près tous les habitants de la rue, qui fuient comme la peste sa petite silhouette noire et ses regards venimeux, chargés d’on ne sait quelle menace.

Mais le lendemain, lorsqu’on découvre le cadavre de madame Delgal, empalé sur une des piques des grilles du Parc Montsouris tout proche, tout le monde s’interroge de plus belle : vengeance, justice privée, assassinat crapuleux, crime de déséquilibré ou quoi d’autre ?

Voici une des énigmes que nous vous proposerons tout au long de cet article, d’abord pour illustrer notre propos, ensuite, pourquoi pas, pour vous donner le départ d’un ou plusieurs scénarios.

Ainsi, si vous désirez créer vos propres scénarios de Maléfices et y ménager le suspense, vous aurez intérêt à conserver tout au long de votre aventure, cette part d’ambiguïté et d’incertitude qui font tout le charme et l’intérêt du Fantastique.

L’équilibre de l’inquiétude

Contrairement à ce que beaucoup croient, le Fantastique se distingue du « Merveilleux », tout simplement parce que les deux genres ne posent pas leurs bases sur le même monde.

Description : - Dans le Merveilleux, tout est surnaturel : voler dans les airs, changer le plomb en or, les princes en grenouilles et inversement, voire réveiller les princesses, sont des choses naturelles.

Description : - Le Fantastique, lui, joue sur le paradoxe. L’histoire fantastique débute dans un monde réel. Ce n’est que par la suite, et progressivement, que l’irréel s’introduit, s’insinue peu à peu dans les pans de ce bel édifice, le fera se lézarder et peut-être s’écrouler. Mais auparavant, l’auteur nous aura plusieurs fois fait douter de nous-mêmes, osciller tour à tour entre explication rationnelle et hypothèse fantastique.

Ainsi, le surnaturel n’est pas indispensable au Fantastique. L’idée seule qu’il peut exister suffit à créer la peur. Il peut se contenter de rester dans l’ombre, menaçant, sans que l’on sache, même après le mot « Fin », ce qui s’est véritablement passé, si le réel a véritablement basculé ou si l’on a été abusé par les circonstances ou les apparences. C’est dans ce balancement entre réel et irréel que se situe la clé d’un bon suspense.

Qui ne s’est attendu, jusqu’aux dernières pages de la célèbre aventure de Sherlock Holmes, « Le chien des Baskerville », à voir surgir du néant LA créature monstrueuse et maléfique ? Peut-être beaucoup furent, comme moi, secrètement déçus de découvrir, derrière l’image mythique du monstre surnaturel, un simple molosse affublé d’un masque de cuir. Mais nous avons tremblé avec les autres, et c’était le seul souci de Sir Conan Doyle.

Ainsi, pour soutenir l’intérêt de vos scénarios de Maléfices, vous devrez jouer sur cette incertitude, en laissant vos joueurs se demander, le plus longtemps possible, si l’aventure qu’ils vivent relève ou non du surnaturel. Et ceci vaudra, quel que soit le choix que vous aurez fait a priori : être ou ne pas être fantastique.

La Foire aux chimères

Machiavélique personnage ! Ainsi vous avez choisi de mystifier vos joueurs, en les menant sur les chemins de l’illusion ? Pour vous, le Fantastique ne sera qu’un leurre, une diversion qui ne servira qu’à égarer les recherches de vos personnages sur les sentiers de l’étrange, pour une fois stériles. Le choix du ressort véritable de votre histoire peut être multiple : énigme policière, machination, espionnage ou simple fait divers. Nous vous faisons confiance sur ce point. L’article de Michel Gaudo sur la création d’un scénario, pourra vous aider sur ce point. Cette « illusion » de Fantastique se créera de plusieurs manières.

Le hasard peut être le seul « maître » en la matière. En plaçant aux bons endroits et aux bons moments quelques événements fortuits et insolites, vous pourrez créer le doute chez vos joueurs, afin de les envoyer sur une fausse piste. Vous pourrez bien sûr user, à cet effet, de l’inépuisable panoplie du Fantastique qui, bien que du plus pur classique, fait toujours son effet. Quoi de plus inquiétant qu’une lande embrumée parcourue de feux follets pour mettre vos personnages dans l’ambiance, même si la sombre masure qui se profile à travers les squelettes d’arbres dépourvus de feuilles, loin d’être celle de Dracula ou du Docteur Mabuse , n’abrite qu’un couple de fonctionnaires en retraite, assis devant un bon feu ? Mais vous pouvez également être plus subtils...

Apprenti sorcier

"Le comte Karlov ne pouvait qu’être coupable. C’était lui-même qui avait fait disparaître son épouse, pour jouir de sa liberté en compagnie d’Olga, sa jeune maîtresse. Le corps de la malheureuse devait être enfoui dans le sous-sol de sa villa. Pour s’en assurer, il fallait y pénétrer de nuit et fouiller la cave. Entrer dans la propriété fut assez aisé, forcer la porte un peu plus ardue. Nous nous dirigions vers la cave, lorsqu’un bruit nous parvint de l’étage supérieur. Nous nous glissâmes dans l’escalier. Le major Henry se dévoua pour entrouvrir la porte et risquer un œil dans la pièce. Ce qu’il y vit le stupéfia :

Karlov, vêtu d’un large manteau pourpre et coiffé d’un turban, opérait une sorte de cérémonie rituelle, devant une bonne vingtaine de personnes. À l’issue de celle-ci, il passa une lame dans le ventre d’une femme inconsciente allongée devant lui. Le major Henry ne voulut en voir davantage et referma la porte. Nous décidâmes de quitter au plus tôt la maison, n’ayant pas prévu de nous attaquer à tant d’adversaires."

En réalité, le comte Karlov, illusionniste amateur, donnait ce soir-là une petite représentation privée pour quelques amis qu’il avait eus à dîner. La « sacrifiée » était la belle Olga, pour l’occasion sa partenaire, qu’il avait eu trop de mal à convaincre de venir vivre avec lui pour la trucider, scrupules qu’il n’avait pas eus pour son épouse légitime, qui reposait en effet à cinq pieds sous terre, dans un coin de la cave.

Mais cette « intoxication » des personnages peut également faire partie de la stratégie d’un des « méchants » de l’histoire, afin de détourner des soupçons ou égarer des recherches. Ce méchant peut en outre utiliser ce stratagème pour tenter d’effrayer les personnages ; ou du moins influencer leurs actions ultérieures.

Ne m’appelez plus vampire...

Depuis plusieurs semaines, un petit village du Magne, à l’extrême sud de la Grèce, semble coupé du monde. Aucune nouvelle n’en parvient. Le commerce semble avoir été abandonné par les habitants, dont aucun ne s’est montré dans les villages voisins.

Un des cousins d’un villageois, inquiet de ne recevoir aucune nouvelle, décide de se rendre sur place avec deux amis. Lorsqu’il parvient au village, l’homme apprend le décès de son cousin, dont la femme met la plus mauvaise grâce à relater les circonstances. Malgré le mutisme des villageois, l’homme apprend que depuis moins d’un mois, pas moins de quatre personnes sont mortes dans le village, toutes de la même façon lui dit-on, à la suite d’un long et lent dépérissement.

Quelques jours après leur arrivée, les trois hommes découvrent un nouveau cadavre, portant deux blessures à la base du cou et entièrement vidé de son sang. Ceci leur fait immédiatement penser aux Broucolaques, nom grec donné aux vampires. Le fait que les morts résidaient tous dans le même secteur du village, à côté du cimetière, renforce leur conviction. Le pope lui-même fait partie des victimes. Plusieurs tombes du village sont du reste soulevées, certaines défoncées. D’ailleurs, quand vient la nuit, des ombres errent dans le village, jusque sous les fenêtres des visiteurs, en proférant d’inaudibles menaces.

La vérité est plus pragmatique. Les villageois ont découvert fortuitement qu’une des tombes du village était celle d’un pirate célèbre et qu’elle recelait sûrement un trésor important. Certains d’entre eux ont voulu le récupérer. Le pope, qui s’opposait à la profanation des tombes, a été assassiné. Devant ce forfait, le cousin de notre homme a voulu alerter les autorités du village voisin. Il a été lui aussi exécuté, avec quelques autres qui avaient pris son parti. Les villageois se sont ensuite mis d’accord, d’une part pour ne plus entretenir de rapports avec l’extérieur, d’autre part pour faire croire à d’éventuels curieux que le village était menacé par les vampires.

Double-jeu

Il est également possible d’utiliser le Fantastique, en marge de l’histoire proprement dite, en le faisant intervenir comme simple événement, sans qu’il en soit le ressort principal. Il peut ainsi faire office de révélateur de renseignements. Vous pourrez par exemple intégrer au scénario une scène concernant l’utilisation d’une Table Tournante ou d’un Verre Spirite (pages 86, 87 et 93 du Spécial Sorcellerie, « À la lisière de la nuit »). Les esprits n’étant pas tous chagrins, il sera également possible d’y faire appel en faisant apparaître un ectoplasme (page 94 et 95, « À la lisière de la nuit »), à moins que vous n’utilisiez le Miroir Enchanté (page 98 et 99 du même ouvrage), ou la boussole alphabet pour communiquer à distance (page 100).

Quoi qu’il en soit, si vos possibilités sont multiples, il sera toutefois judicieux d’éviter de « parachuter », sans souci de cohérence, des objets ou des sortilèges dans un scénario, sous peine de rater votre effet. Nous vous conseillons plutôt, et cette idée sera développée plus loin, d’intégrer le mieux possible les éléments surnaturels, quitte à développer un « mini-scénario » à l’intérieur de l’histoire principale.

Le miroir révélateur

Par trois fois, quelqu’un s’était introduit dans l’église pour la saccager et laisser sur le sol ces traces ignobles. Pouvait-on croire le sacristain, qui, emporté par la superstition, affirmait que c’était l’empreinte même du diable qui marquait l’autel chaque matin ? Ou fallait-il avec le curé, penser qu’il ne s’agissait là que de vandales, acharnés à braver l’autorité de l’église ?

Le vieux Bérenger avait, lui, son idée. Mais pour cela, il fallait se rendre à Dinan, à plus de cent kilomètres de là. Dans le Carmel des Chesmaies, se trouvait une relique des plus précieuses, un miroir qui, disait-il, nous permettrait de connaître le visage de celui qui s’introduisait ainsi dans l’église. Cet objet, dont lui seul connaissait les propriétés, pourrait, nous assura-t-il, emmagasiner les images durant la nuit, pour les restituer à volonté (« À la lisière de la nuit », page 98 et 99).

Attention, car il est parfois dangereux de mélanger les genres. Ainsi, si vous donnez trop d’importance à cet « intermède » surnaturel, il risquera de voler la vedette à l’intrigue principale, en lui faisant perdre de son impact. Ou bien, il apparaîtra comme un « gadget », destiné à pallier les faiblesses éventuelles d’un récit. Aussi, nous vous conseillons plutôt, si vraiment les vapeurs de soufre vous enivrent, de franchir le Styx et de poser avec nous vos pieds sur ce sentier brûlant et rougeoyant qui s’étale devant vous, à perte de vue...

La voie Noire

Certains affirment que le plaisir que l’on prend à un bon repas tient autant à ce qu’il y a dans l’assiette qu’à la façon dont il est présenté. Il en va de même pour une bonne histoire. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées ; encore faut-il les présenter de façon à captiver le lecteur ou le spectateur. Depuis Bram Stocker, il est paru des centaines de romans, il s’est tourné des dizaines de films traitant des vampires. Mais bien peu sont arrivés à la hauteur de "Dracula .

Nombreux sont les réalisateurs qui ont pris pour thème le délire d’un savant fou, rêvant de transformer des animaux en humains ou inversement. Mais combien ont réussi, comme Wells, à recréer l’angoisse diffuse qui ne cesse de croître tout au long de « L’île du Docteur Moreau » ? Les histoires de possessions diaboliques, et de retour de l’Antéchrist sur terre sont légion. Mais qui a rendu aussi bien qu’lra Levin dans son « Bébé pour Rosemary », cette atmosphère insoutenable d’étouffement progressif ?

N’est pas Edgar Poe, Gustav Meyrinck ou Stevenson qui veut. Mais tous ces écrivains fantastiques utilisent, chacun avec leur talent propre, ce dosage subtil entre le réel et surnaturel, où l’angoisse se devine plus qu’elle ne se montre, où la peur se nourrit avant tout d’inconnu. N’oubliez jamais que le Fantastique n’est pas exactement l’horreur. Dans Maléfices, la peur est moins terreur qu’angoisse, la menace vient d’une ombre, d’un sentiment diffus de danger, d’une porte laissée entrouverte.

L’apparition du sorcier, du monstre, voire du diable en personne se prépare. Car finalement, si la frayeur ne nous mettait pas les sens en ébullition, Lucifer lui-même ne semblerait-il pas un peu ridicule, avec sa tête de bouc et sa queue fourchue ?

Pourvu qu’il ne m’entende pas...

Pas de fumée sans feu

Nous nous tenions à l’extérieur du cercle, tracé à terre à l’aide de charbon et de chaux. Les fumées colorées des encensoirs envahissaient peu à peu la clairière, masquant progressivement les étoiles, et faisant paraître horriblement lointains les premiers arbres de la forêt toute proche.

Bientôt, on n’entendit même plus les cris furtifs qui nous parvenaient tout à l’heure des sous-bois. Nous nous apercevions à peine les uns les autres. Soudain, un crépitement léger prit naissance tout autour de nous. Il enfla rapidement, pour devenir grondement, alors que des lueurs apparaissaient çà et là, comme si la forêt avait pris feu. Nous nous trouvâmes bientôt totalement entourés d’un mur de flammes, quand une voix étonnamment douce nous parvint...

Magic-Market

Comme nous l’avons dit plus haut, il faut éviter de plaquer un enduit fantastique sur votre scénario, par exemple en utilisant sans discernement les sorts ou les objets indiqués dans les deux spéciaux déjà parus, « À la lisière de la nuit » et « le Bestiaire » . Ces deux ouvrages sont riches, puisqu’ils vous proposent près de cent sortilèges et objets magiques. Mais il ne s’agit pas d’y puiser à tort et à travers, simplement pour donner à un scénario un ressort qu’il n’a pas.

Votre histoire n’aura pas plus d’intérêt si vous offrez à vos personnages la connaissance d’une demi-douzaine de sorts et la possession d’autant d’objets enchantés. Les personnages, du moins tels que nous les concevons, ne participent pas à une aventure pour faire leur marché, même si les sorcières ont le leur (voir le sort « le marché de la sorcière », page 49, « À la lisière de la nuit »).

De plus, les sorciers ne tiennent pas boutique comme de vulgaires colporteurs aux coins des rues. Gardez-vous bien de banaliser la magie noire ou blanche en en abusant. Conservez au « Grand Art », le mystère dont il s’entoure lui-même encore aujourd’hui. N’est-ce pas, Judith ? (voir « Les soirs de la magie », pages 3 et 4 d’« À la lisière de la nuit »).

Si vous désirez utiliser à bon escient les deux numéros spéciaux de Maléfices nous vous conseillons d’intégrer le plus possible les sorts ou les objets choisis à vos scénarios.

Clair de flamme

Le vieil Alfred nous avait pourtant prévenus. Mais aucun de nous ne s’était méfié, lorsque nous avions pénétré dans la pièce, de la lumière blafarde de cette bougie, posée sur la table. Si nous avions regardé de plus près, nous aurions cependant remarqué l’aspect insolite du chandelier, qui représentait une main humaine, admirablement reproduite, trop admirablement. Sophie s’apercut, trop tard. qu’il s’agissait en fait d’une véritable main, à moitié momifiée. Avant que nous réalisions, chacun de nous se retrouva stupéfié, parfaitement immobile et pourtant totalement conscient de tout ce qui se passait dans la pièce. Personne ne put esquisser le moindre geste lorsque l’abominable Von Blatz sortit de sa cachette. Il nous nargua un moment, fort de sa puissance, nous assurant que jamais personne ne parviendrait à le retrouver. Avant de partir, il voulut, comme il le dit, « nous laisser un souvenir indélébile de lui ». Il sortit alors un rasoir, et sous nos yeux horrifiés, taillada lentement, posément, la joue de la pauvre Sophie d’Albret, lui laissant à jamais une cicatrice affreuse sur le visage. Ensuite il partit, sans que personne n’ait pu l’en empêcher. Et il nous fallut attendre encore plusieurs heures, que la bougie ait fini de se consumer, avant de retrouver l’usage de nos membres et de la parole... (Voir « La main de Gloire », « À la lisière de la nuit », page 73).

Si l’histoire s’y prête, vous pouvez même imaginer, à l’intérieur de l’intrigue, un mini-scénario, qui pourra consister en une petite quête, visant à trouver un objet indispensable à la poursuite de l’action.

Mon royaume pour un bâton

Charles Vernon n’avait jamais pratiqué de rituel de magie, qu’elle fût blanche ou noire. Il était clair, Judith l’avait prévenu sur ce point, qu’il courait un grand risque s’il se lançait dans cette expérience sans aide. Il fallait donc augmenter ses chances de réussite et diminuer les risques d’accident, en trouvant un moyen d’augmenter son contrôle sur le sortilège.

Plusieurs choix s’offraient à Charles :

Description : - Confectionner ou faire confectionner « un pentacle » qui, en tant que support occulte, lui donnerait un bonus de 3 sur son jet (« À la lisière de la nuit », page 11).

Description : - Confectionner le « Breuvage de crapaud » (« Bestiaire », page 31). Ceci est plus facile que pour un pentacle, mais ne donne qu’un bonus de 2.

Description : - Confectionner un « bâton de sorcier », opération longue et difficile, réservée aux sorciers confirmés (Seuil de pratique : 17).

Description : - Voler le bâton d’un sorcier, ce qui somme toute est à la portée de n’importe qui. Charles Vernon choisira cette dernière « méthode ». Apprenant la présence, au col de la Ferté, d’un vieil homme réputé pour ses relations privilégiées avec les démons, il s’y rendra. Effectivement, l’homme parcourt la montagne à longueur de journée, sans jamais se séparer d’un long bâton de chêne. Ne doutant pas un seul instant qu’il s’agisse de l’objet qu’il cherche, Charles n’hésitera pas à fracasser la tête du vieil homme pour s’emparer du précieux bâton.

Comme vous le savez déjà, la sorcellerie est un « art » souvent exigeant quant aux conditions matérielles. Certains sortilèges demandent des ingrédients assez peu courants (c’est le moins qu’on puisse dire, par exemple, pour des écailles de poisson-volant ou une tête de lion !). De plus, la réalisation d’un sort exige parfois de se dérouler à un endroit et à un moment bien précis. Ainsi, vos personnages pourront être obligés d’oublier momentanément l’énigme qui les intéresse, afin de réunir les conditions favorables à la réalisation du sort, ce qui ne sera pas toujours facile !

Naufrageurs naufragés

Un jour ou l’autre, comme trop souvent ces derniers mois, ils reviendraient. Les pirates passeraient la pointe de la presqu’île, au fond de la baie, avant de fondre sur le petit village. Ils pilleraient, violeraient, tueraient, avant de s’en retourner, jusqu’à la prochaine fois. Le conseil des anciens décida d’aller voir Almira, la vieille folle qui croupissait dans sa cabane, au sommet de la falaise. Celle-ci affirma qu’elle pourrait couler sans aucun problème le bateau des pirates. Pour ce faire, il était nécessaire de pêcher huit murènes un soir de pleine lune, puis de les vider, en prenant soin de ne pas abîmer les peaux, ce qui, pour les pêcheurs de Tarmira, était monnaie courante. Mais il fallait emplir ensuite ces peaux flasques du sang et de la poudre d’os, provenant de la dépouille d’une veuve de marin mort en mer. Ce n’était pas ce qui manquait dans ce petit village de Sicile. Mais qui devait-on sacrifier, sans avoir d’ailleurs la certitude que le maléfice donnerait les effets escomptés ? (Sort « La malédiction de la pieuvre », « Bestiaire » page 76).

Réactions en chaîne

À la lecture des numéros spéciaux de Maléfices, vous aurez peut-être remarqué que les sortilèges présentés sont souvent liés les uns aux autres. Il est bien évident qu’un pacte avec le diable ne pourra se réaliser que si l’on est dans un premier temps capable d’évoquer le démon (« À la lisière de la nuit », pages 14 et 15) De même, l’acquisition d’un familier sera impossible si l’on n’a pas au préalable signé de pacte.

Comme l’a montré l’exemple de Charles Vernon présenté plus haut, il est bon, lorsqu’on veut lancer un sortilège, d’utiliser un ou plusieurs supports occultes, pour diminuer les risques d’effets incontrôlés. Mais nombreux sont les sortilèges qui peuvent être combinés, augmentant ainsi les chances de réussite facilitant leur réalisation. Par exemple, le sort « Les fers à cheval ( »Bestiaire", page 20) permet de se rendre dans un lieu propice à l’évocation du démon, ce qui bien sûr facilitera ce dernier rituel.

Par ailleurs, le sort « Inspirer des sentiments de haine », ne peut être utilisé que les jours d’orage, de grand vent ou de tempête. On pourra remédier à cet inconvénient en maîtrisant également le sort « Contrôler les éléments », qui donne le pouvoir de provoquer à volonté les perturbations atmosphériques désirées, à moins que l’on ne préfère « La conque du Triton » (« Bestiaire », page 69), son équivalent en mer.

À vous, en parcourant les deux numéros Hors-Série de Maléfices, d’en découvrir toutes les subtilités, et en créant vos propres scénarios, d’enrichir un jeu qui, comme nous l’espérons, ne cessera de vous dévoiler de nouvelles possibilités et de vous ouvrir des horizons inexplorés...

Hervé FONTANIÈRES.