Les intrigues secondaires
Descartes - Le supplément N°2 (1992)

Par Anne Vétillard

Les cartes d'événements comptent certainement parmi les éléments qui déroutent le plus les Maîtres de Jeu lorsqu'ils ouvrent pour la première fois une boîte de Torg. Aides de jeu utiles pour arbitrer les combats et relancer l'action, elles remplacent avantageusement des jets de dés fastidieux et permettent d'obtenir des résultats aléatoires sans qu'il soit nécessaire de consulter des tables complexes. De nombreux joueurs préfèrent s'en passer, ce qui est parfaitement légitime, mais, sans le savoir, ils se privent alors d'un assortiment "d'effets spéciaux" qui peuvent transformer une partie ordinaire en une aventure inoubliable. Prenons, par exemple, les intrigues secondaires...

Mise au point

Il existe sept types d'intrigues secondaires : ennemi personnel, erreur d'identité, identité réelle, idylle, implication personnelle, martyre, soupçons. Ce sont des trames très classiques, que l'on retrouve souvent dans les romans ou les films... et qui sont autant de modèles pour le Maître de Jeu. Existe-t-il beaucoup de films d'aventures sans histoires d'amour ? N'avez-vous jamais vu un "second couteau", ami d'enfance du héros, sacrifier sa vie lors d'un combat pour que triomphent les justes ? Ce sont autant de moments épiques qu'il est intéressant de recréer autour d'une table de jeu de rôle. La vie quotidienne des héros est rarement palpitante. Ce sont leurs exploits, leurs luttes et les diverses péripéties de leurs missions qui nous passionnent ! A la différence d'un metteur en scène qui est souvent limité par le budget de sa production, le Maître de Jeu n'a pas à se préoccuper de problèmes financiers ou techniques. Il peut disposer d'une distribution fantastique et d'effets spéciaux extraordinaires. Il lui suffit pour cela de se servir de ses talents de conteur et de l'imagination de ses joueurs. A côté de l'intrigue principale du scénario qui donne les grands fils de l'histoire, les intrigues secondaires peuvent fournir divers petits détails "qui font vrai", des noeuds qui entremêleront le grand et le petit, le passé et le futur, le prévisible et l'incongru...

Les cartes d'intrigues secondaires sont très différentes des autres cartes. Tout d'abord, elles sont marquées du côté joueur d'une ligne orange au lieu d'une ligne grise pour indiquer que le Maître de Jeu doit intervenir lors de leur utilisation. Une fois posée sur la table, une carte ainsi activée y restera jusqu'à la fin du scénario (note : elle ne compte pas dans la limite des quatre cartes dans la main du joueur). Cela signifie, entre autres, que l'intrigue secondaire ne devra pas intervenir qu'une seule fois, au cours de l'histoire. Elle devra se développer lentement ou donner lieu à un coup de théâtre, avant d'arriver à sa conclusion. Ce n'est pas un événement ponctuel, mais bien une intrigue à part entière, parallèle ou intégrée au problème principal. Et si elle a un caractère secondaire, c'est une intrigue tout de même. Le joueur gardera un certain contrôle sur les événements qui vont venir compliquer la vie de son personnage, car c'est lui qui choisira quelle intrigue il mettra en jeu.

Une intrigue secondaire doit toujours garder certains liens avec la trame essentielle du scénario et ne doit pas arriver comme un "cheveu sur la soupe". Il ne faut pas qu'elle prenne le pas sur l'intrigue principale, ou la supplanter dans l'esprit des joueurs... tout du moins à long terme. Elle ne doit pas non plus représenter obligatoirement des problèmes pour le personnage. Lui compliquer la vie, soit, mais ce peut être de temps entemps de manière positive, du moment que l'intrigue enrichit le role-playing et permet à tous de passer un bon moment (ce qui est généralement le but d'une partie de jeu de rôle, non ?).

L'intrigue secondaire ne doit donc pas "parasiter" l'intrigue principale trop longtemps. Elle ne doit pas durer plus d'une ou deux scènes par acte, au maximum. Pas plus qu'elle ne doit intervenir systématiquement dans chaque acte. Tout est une question de dosage. Dès que vous cesserez de surprendre vos joueurs, changez de tactique. A ce propos, il est déconseillé de faire intervenir une intrigue secondaire au moment même où sa carte est jouée. Attendez un peu. Laissez aux joueurs le temps d'oublier qu'elle se trouve sur la table. Ainsi, vous pourrez les surprendre au moment opportun, quand vous déciderez qu'il est temps de l'utiliser...

Attention : ne vous laissez pas leurrer par le fait qu'une intrigue secondaire n'implique souvent qu'un seul personnage. D'une part, les problèmes rencontrés par un PJ peuvent très bien avoir des répercussions sur le groupe tout entier (exemple : avec l'intrigue soupçons , ce sont tous les Chevaliers des Tempêtes qui risquent d'avoir du mal à convaincre leurs interlocuteurs de leur sincérité !). D'autre part, si vous savez les encourager de manière appropriée, les autres joueurs peuvent s'impliquer d'eux-mêmes dans une intrigue qui concerne l'un de leur compagnon d'aventures, conférant ainsi une plus grande profondeur psychologique à l'aventure.

Les intrigues secondaires donnent également aux joueurs la possibilité de tirer parti d'éléments qui peuvent enrichir et crédibiliser leur personnage. Pour créer un aventurier pittoresque, il suffit que son joueur se donne la peine de lui inventer un passé et s'intéresse à sa famille, ses amis, ses ennemis, ses poursuivants éventuels, ses clients... Ces détails restent généralement l'arrière-plan et ne servent qu'à "dessiner" un personnage, à lui donner de la consistance. Grâce aux intrigues secondaires, toutes ces petites touches impressionnistes peuvent donner vie à un véritable individu. Bien sûr, intégrer tous ces éléments exige toujours une bonne dose d'improvisation, mais la tâche du Maître de Jeu se trouvera grandement facilitée s'il effectue un petit travail de préparation avant le début de la partie.

D'un autre côté, si une intrigue secondaire choisie par un personnage est difficilement utilisable dans le scénario qui est joué, le Maître de Jeu a alors deux options : soit la refuser et donner en échange au joueur une Possibilité, soit, en accord avec ce dernier, la transformer en une autre intrigue secondaire qui sera choisie d'un commun accord. Si un joueur décide d'introduire deux intrigues secondaires pendant la même aventure, essayez de lier les deux histoires le plus possible. Les soupçons se combinent ainsi très bien avec l'identité réelle, et l'ennemi personnel avec l'idylle. Existe-t-il quelque chose de pire pour un personnage sentimental que de voir sa fiancée être enlevée par son ennemi juré? Sachez aussi ne pas être trop prévisible. Quand il joue une carte, un joueur s'attend toujours à ce qu'elle agisse de la façon la plus favorable possible pour son personnage. De temps en temps, prenez le contre-pied de l'intrigue proposée en retournant complètement la situation. Ainsi, par exemple, un ennemi personnel peut très bien être obligé de s'allier temporairement avec son ennemi juré afin d'affronter un troisième parti, plus puissant. Mais attention, une fois le danger passé, toutes les traîtrises seront envisageables...Vous pouvez également utiliser des intrigues secondaires pour changer l'ambiance d'un scénario. Si vous avez choisi une aventure à l'atmosphère lourde et sinistre, une intrigue secondaire à caractère humoristique permettra aux joueurs de se détendre un peu... et vous pourrez alors mieux les faire sursauter au moment où ils s'y attendront le moins (cette technique est utilisée dans pratiquement tous les films d'horreur). Inversement, une aventure très pulps pourra gagner de temps à autre un élément dramatique grâce à une intrigue secondaire judicieusement utilisée.

La Préparation

Si vous craignez d'avoir à improviser lorsqu'un joueur fera intervenir une carte d'intrigue secondaire, préparez à l'avance un petit "stock" de mini-scénarios que vous pourrez employer le moment venu. Bien sûr, l'improvisation peut donner lieu à des parties formidables, mais tous les maîtres de jeu ont parfois des panne d'inspirations.., mieux vaut alors disposer de petits cartons et de pense-bêtes. Voici quelques "bases de réflexion" qui pourront vous être utiles...

Le personnage Plus vous demanderez à un joueur des détails sur son personnage, plus votre tâche sera facilitée. Vos questions permettront en outre au joueur de mieux interpréter son alter ego, de mieux le comprendre et de s'y attacher. Prenez en compte tous les petits éléments divers et disparates qui font du personnage un individu à part entière et utilisez-les. Il vous suffit pour cela de prendre quelques notes en prévision de vos futures intrigues secondaires. Quelques questions simples vous permettront de guider le joueur :

En connaissant bien les personnages de vos joueurs, vous pourrez préparer à l'avance quelques intrigues secondaires de différents types, en veillant à ce qu'elles restent suffisamment floues pour être intégrées dans n'importe quel scénario.

Le scénario

Lors de la conception de ses scénarios, le Maître de Jeu peut très bien préparer et imaginer un certain nombre d'intrigues secondaires en tirant parti des éléments qui composent son histoire.

Utilisez les principaux méchants et les alliés éventuels que les personnages rencontrent. Passez en revue tous les types d'intrigues secondaires, les uns après les autres, en vous demandant quel PNJ vous pouvez utiliser avec chacune, et de quelle façon. Vous pouvez aussi faire d'une pierre deux coups en préparant une intrigue liée directement à votre scénario qui exploitera le passé d'un personnage précis. Attention, n'oubliez pas qu'il n'existe qu'une seule carte d'intrigue secondaire de chaque type sur les 156 cartes du jeu. La probabilité qu'elle atterrisse dans la main d'un joueur bien précis, et qu'il choisisse de la faire intervenir, est relativement faible. Evitez donc, dans la mesure du possible, des intrigues secondaires trop restrictives.

La carte "campagne"

La carte "campagne" permet de donner un caractère permanent à une intrigue secondaire. Ainsi, les événements déclenchés par cette dernière ne seront pas entièrement résolus au cours de la partie. De temps en temps (pas dans tous les scénarios), cette intrigue refera surface pour venir compliquer la vie du personnage.

Il est alors essentiel que vous preniez des notes sur la façon dont s'est nouée cette intrigue quand elle a été jouée la première fois. Ces détails vous serviront de point de départ pour ses manifestations ultérieures qui à leur tour, influeront sur les rencontres suivantes. De cette façon, le personnage vivra complètement la continuité de son intrigue.

Déconseillez aux joueurs d'attacher plus de deux intrigues permanentes à leur personnage. Sinon, ils risquent de ne plus jamais avoir le temps de s'occuper du scénario en cours et vous aurez de plus en plus de mal à présenter les événements de façon logique.

La récompense

Pour que le gain d'une Possibilité puisse être accordée par le Maître de Jeu, il faut qu'une intrigue secondaire soit vraiment jouée. Elle doit créer des problèmes au personnage concerné, ou lui offrir la possibilité de faire un grand numéro de role-playing. En effet, il doit mériter la Possibilité supplémentaire qui lui est attribuée à la fin de chaque acte.

Si un autre personnage intervient dans l'intrigue secondaire, n'hésitez pas à lui accorder, à lui aussi, une Possibilité supplémentaire.

Quoi qu'il en soit, une intrigue secondaire devrait toujours être considérée comme un élément permettant d'enrichir un scénario, plutôt que comme un simple artifice technique entraînant une récompense. Comme elle offre avant tout l'occasion de passer d'excellents moments, le gain d'une Possibilité n'est guère plus qu'un "bonus" et ne devrait pas être une fin en soi.

Les intrigues, au cas par cas

Ennemi personnel

En cours d'aventure, le personnage rencontre un PNJ qui lui en veut tout particulièrement. Cette inimitié peut avoir des origines récentes ou remonter à un lointain passé. Dans le premier cas, le personnage peut s'être attiré la haine d'un PNJ au cours d'un scénario précédent ou même au début de l'histoire en cours. Par conséquent vous ne devez pas oublier, de prendre systématiquement des notes sur tous les adversaires qui échapperont aux personnages au cours de leurs aventures. Leur réapparition éventuelle ne pourra qu'épicer leurs missions à venir.

Dans le deuxième cas, tenez surtout compte de l'histoire du personnage, mais n'hésitez pas pour autant à inventer occasionnellement un PNJ dont le joueur ne vous aura jamais parlé auparavant. Il suffira que vous lui donniez les grandes lignes des circonstances dans lesquelles il est censé l'avoir connu pour qu'il s'en "souvienne" tout à coup.

En règle générale, un ennemi personnel va le plus souvent tenter de tuer le personnage concerné, mais il peut aussi vouloir l'humilier, le capturer pour le livrer à la justice de son cosm, lui soutirer un plan secret, etc. Encore une fois, pensez aux ennemis jurés des grands héros du cinéma ou de la littérature. Ainsi, par exemple, dans Tarzan et ses fauves d'E.R. Burroughs, Rokoff, l'implacable adversaire de Tarzan (un modèle du genre ; il semble toujours mourir à la fin d'un roman pour ressusciter dans le suivant) enlève le fils du Seigneur de la Jungle. Son souhait le plus cher est qu'il soit élevé comme un sauvage et ne dispose pas de l'éducation à laquelle sa naissance lui donne droit... une vengeance pour le moins compliquée ! Un ennemi personnel ne doit jamais sembler être parachuté en pleine action. Son apparition doit être rattachée à l'aventure principale. S'il débarque brusquement en hurlant "Ah, ah ! Je te retrouve enfin et je vais me venger !", les joueurs auront la sensation que son intervention est tout à fait artificielle et ils n'auront pas tout à fait tort. Par contre, si l'ennemi en question est directement impliqué dans l'intrigue que les PJ tentent de résoudre, ils ne pourront pas s'empêcher de pester contre lui et peut-être même de faire une petite crise de paranoïa ("Mais comment a-t-il su ? Pourquoi donc est-il ici ?"). Attention tout comme les Chevaliers des Tempêtes, les PNJ doivent — eux aussi — avoir un passé, des motivations propres et de bonne raisons d'intervenir dans le scénario.

Exemples :

Erreur d'identité

Cette intrigue secondaire existe en deux versions : un PJ est pris pour quelqu'un d'autre, ou commet lui-même une erreur en se trompant sur l'identité réelle d'un PNJ.

Dans un cas comme dans l'autre, commencez par faire comme si de rien n'était. L'erreur ne doit pas se révéler immédiatement. Quelques quiproquos judicieux, et la situation deviendra rapidement un vrai sac de noeuds... Plus le nombre de personnages "abusés" augmentera, plus l'intrigue prendra des proportions machiavélique. Ne vous laissez toutefois pas dépasser par les événements. Vous avez tout intérêt à prévoir une porte de sortie au cas où les choses échapperaient à votre contrôle. Inutile de gâcher votre scénario.

Exemples :


Identité réelle

Dans le cas de cette intrigue secondaire —qu'il ne faut pas confondre avec la précédente — un personnage a vraiment une identité secrète qui a une grande importance pour certains PNJ. Même le Chevalier des Tempêtes concerné peut ne pas être au courant ! Comme il est difficile d'avoir beaucoup de personnages avec ce genre de problème, vous pouvez varier les plaisirs (ex. : le PJ connaît l'identité secrète d'un PNJ...).

Exemples :

Idylle

Une belle histoire d'amour, quoi de plus simple... et de plus compliqué à la fois ? Les variantes possibles sont innombrables.

Exemples :

Implication personnelle

Un Chevalier des Tempêtes se trouve impliqué à titre personnel dans l'intrigue principale du scénario. Il est très lié avec un PNJ important, sa ville natale est menacée, le méchant principal du scénario est son ennemi personnel, etc.

Attention, il ne s'agit pas ici de faire intervenir un élément du passé du personnage comme une anecdote hors contexte, mais bien d'impliquer le personnage dans l'histoire principale.

Exemples :

Martyre

Cette carte permet à un personnage de réussir automatiquement une action spectaculaire en sacrifiant sa vie. Le Maître de Jeu doit laisser au joueur concerné l'opportunité de choisir le moment où il veut l'utiliser...N'oubliez pas que le personnage n'est pas obligé de se sacrifier. Mais s'il survit à l'aventure, il gagnera alors moins de Possibilités que ses compagnons. Après tout, il n'a pas accompli sa destinée !

Cette intrigue secondaire peut se révéler être un piège redoutable, si un joueur a la malencontreuse idée d'employer la carte "campagne" pour prolonger son action. Le personnage peut alors avoir "le complexe du martyre" et croire, pour une raison ou pour une autre qu'il doit donner sa vie pour vaincre les Pillards des Possibilités. Il pourra se comporter d'une façon extrêmement téméraire ou — au contraire — se montrer d'une prudence excessive. Accordez une Possibilité supplémentaire au personnage en question à la fin de chaque aventure, qu'elle soit réussie ou non. Attention, ce personnage devra se sacrifier tôt ou tard ; mais il ne sera pas obligé d'avoir placé une nouvelle fois la carte martyre dans son jeu découvert, Il suffira qu'il choisisse une scène dramatiquement appropriée.

Soupçons

A tort ou à raison, un Chevalier des Tempêtes semble s'être rendu coupable d'un méfait quelconque. Cette intrigue est encore plus intéressante si vous arrivez à faire soupçonner le personnage concerné par ses propres compagnons d'aventure. Elle entraînera alors de longues discussions, au cours desquelles le "suspect" tentera de se justifier et de prouver sa bonne foi.

Exemples :

Note finale

Si vous êtes à cours d'idées alors que vous devez improvisez une intrigue secondaire, demandez donc l'aide du joueur concerné. Il vous soumettra sûrement une idée... qu'il ne vous restera plus qu'à modifier suffisamment pour qu'il ne soit jamais sûr de ce qui va lui arriver !