Maléfices - Les mauvais garçons - Jeux Descartes Plus, Volume 03 (1988)

Comme beaucoup s’accordent à le dire, Maléfices est un jeu de rôle dans lequel l’importance du scénario reste primordiale. L’équipe de Maléfices s’est d’ailleurs attachée à fournir à ses joueurs, depuis la sortie du jeu, des scénarios immédiatement jouables. Mais il est certain que les meneurs de jeu ont à cœur de créer eux-mêmes leurs histoires, de laisser leur imaginaire voguer librement vers des contrées d’ailleurs pas toujours avouables.

De nombreux articles sont venus au secours de ces apprentis scénaristes, afin de les guider dans les dédales de leur propre imagination. Mais outre l’histoire, il est un point qu’il faut également particulièrement soigner : les personnages non joués. Car quelle que soit la qualité de l’histoire, encore faut-il la doter de ces personnalités hors du commun, qui donneront à l’intrigue encore plus d’impact, de ces figures inoubliables qui, bienveillantes ou maléfiques, resteront gravées dans l’esprit des joueurs.

Franchement, que seraient L’île au trésor sans John Silver, Michel Strogoff sans le traître Ivan Ogareff ? Peut-on séparer Vingt mille lieues sous les mers du Capitaine Nemo ? Imagine-t-on Excalibur sans Merlin, Arthur, Lancelot, Morgane ou Mordred ?

Figuration

Certes, les personnages qui vivront l’aventure que vous leur proposerez auront besoin de quelques-uns de ces bons samaritains, de ces dignes grand-mères toutes prêtes à leur révéler ce qu’elles ont vu, dimanche dernier dans la cour, alors qu’elles regardaient de derrière leurs rideaux, de ces prêtres dévoués qui leur raconteront tout ce qu’on doit savoir des légendes du pays, de ces bibliothécaires providentiels, possédant LE LIVRE indispensable, ou même de ces cochers généreux, qui les voitureront à l’autre bout du département à trois heures du matin pour quatre sous.

Il y aura bien aussi de ces sous-fifres, espions et hommes de main, dévoués jusqu’à la mort au « MAÎTRE », capables de vous trucider sur ordre sans l’ombre d’un remords.

Je suppose que vous connaissez ces ficelles. Elles sont inusables ; n’ayez aucun scrupule à les employer, les plus grands sont passés par là. Elles vous permettront d’animer vos scénarios, d’y créer l’ambiance, et tout en campant le décor, de fournir à vos joueurs les renseignements indispensables au dénouement de l’histoire.

Mais tout ceci, quoique indispensable, reste accessoire, car nous le savons bien, la grande affaire, c’est le méchant...

Nom : NOSFERATU

Constitution : 0 ( !)
Aptitudes physiques : 18
Culture Générale : 19
Habileté : 18
Perception : 15
Spiritualité : 0
Ouverture d’Esprit : 14
Fluide : 16

Pour faire le portrait d’un méchant

Entre nous, lorsque le commissaire Juve, éternel berné, s’agite tel un pantin, jurant par tous les dieux que la prochaine fois c’est sûr, Fantômas ne lui échappera pas, n’éprouvez-vous pas un ambigu sentiment de satisfaction devant ce triomphe de l’intelligence, fût-elle malfaisante, sur la stupidité ?

Qui est le véritable héros, de Jonathan Harker, obscur clerc de « Solicitor » (agent immobilier anglais), ou du Comte Dracula ?

Est-ce par hasard que Frankenstein s’est ainsi effacé devant sa créature, au point que celle-ci, dans l’esprit des gens, a pris son nom ?

Qui se rappelle qui, du docteur Jekyll ou de Mister Hyde, est le monstre ?

Alors, de quoi est fait un méchant ?

Nom : FANTÔMAS

Constitution : 14
Aptitudes physiques : 13
Culture Générale : 18
Habileté : 14
Perception : 13
Spiritualité : 5
Ouverture d’Esprit : 15
Fluide : 5

I’m bad

D’abord, de tout ce qui n’est pas commun. Un méchant, du moins de ceux qui sont dignes de devenir une des figures marquantes de vos scénarios, n’est jamais médiocre. Il est ignoble, malfaisant, dépravé, sans scrupules, veule, lâche, sans parole, capable des pires atrocités, mais il ne peut pas se permettre d’être un personnage falot et inconsistant, que vos personnages ne prendront pas au sérieux et dont ils ne feront qu’une bouchée. Un affreux doit l’être complètement, j’oserais dire « sérieusement », sous peine de rester au niveau du fait divers. Car plus le méchant sera méprisant et haïssable, plus il sera réussi. Et d’ailleurs, comment Tintin pourrait-il se mettre en vedette sans Rastapopoulos ou le Docteur Müller (Les cigares du Pharaon, - entre autres ! -, L’île Noire) pour lui donner la réplique ?

Certaines mauvaises langues vont même jusqu’à dire que le charme des albums de Tintin tient autant au mauvais caractère du capitaine Haddock, aux élucubrations de Tournesol ou à la maladresse maladive des Dupont-Dupond, qu’au courage et au désintéressement de ce petit reporter.

Ceci tendrait à prouver que ce sont autant les défauts d’un personnage que ses qualités qui le rendent attachant. Qui plus est pour un « méchant »...

Graine d’ortie

Un personnage de ce calibre doit avoir une histoire, un passé. Prenez du temps, voire du plaisir à retracer le déroulement de son existence. Expliquez ce qui l’a amené où il en est. Datez les différentes étapes de sa vie. Outre le fait que cela donnera à votre personnage une dimension, une « épaisseur », vous pourrez éparpiller tout ou partie de ces renseignements dans le scénario, ce qui permettra aux joueurs, d’abord de prendre la mesure de leur adversaire, ensuite d’imaginer les moyens adéquats de l’affronter, et de le vaincre.

Votre personnage non joué doit ensuite posséder un caractère hors du commun, une personnalité unique qui marquera les imaginations des joueurs. Évitez cependant de compliquer à plaisir sa psychologie. Les joueurs passeront à côté de la moitié de ce que vous essaierez de faire passer et vous perdrez en efficacité. Sans tomber dans le simplisme, choisissez deux ou trois traits marquants, facilement compréhensibles : typez votre personnage. Admirez Fantômas : d’une intelligence supérieure, il possède un charisme incomparable qui lui dévoue ses hommes corps et âme. Son seul but est d’amasser une immense fortune pour agrandir son pouvoir. Ses qualités en font un être insaisissable, dont entre parenthèses, personne dans le public ne souhaite l’arrestation, ne serait-ce que pour connaître la suite de ses aventures !

À la lumière de ce qui précède, il est évident que le personnage à créer doit posséder en outre des qualités exceptionnelles, qu’elles soient physiques, mentales, à moins qu’elles ne résident dans une fortune colossale.

Là encore, évitez de trop mélanger les genres, en attribuant à votre personnage des capacités trop surhumaines ou des moyens infinis. Si l’on se réfère tout simplement aux règles de Maléfices, il sera difficile d’imaginer que Jonathan Stephensen possède une Ouverture d’Esprit de 14, une Spiritualité de 15, un Fluide de 16, une constitution de 18, qu’il est en outre riche à millions et possède une armée personnelle de deux cent hommes armés jusqu’aux dents !

Réservez des faiblesses à votre personnage. Elles le rendront plus humain et de ce fait plus crédible. Elles seront de plus le talon d’Achille qui permettra peut-être aux joueurs de gagner la partie...

N’oubliez pas de donner un but, un objectif guidant l’action de ce personnage. Ses actes doivent être dirigés dans une direction précise, sinon il risquera de très vite ressembler à une marionnette, un artifice vide de sens et de contenu.

Prêtez-lui des projets, des plans. Dotez-le d’une logique, qui sera en fait intimement liée à son histoire. Vous comprenez que tout ceci peut devenir une alchimie assez subtile... et passionnante !

Il n’est qu’un cas où l’on excusera l’incohérence de votre personnage : la folie. Encore que les fous peuvent, à l’occasion, se montrer d’une logique absolue et faire preuve d’une suite dans les idées qui font défaut à bien des gens dits « normaux ».

Les méchants aiment le noir

Enfin, drapez votre personnage dans le mystère. Un génie du crime n’habite pas au 25 Avenue des Champs-Élysées, à moins de posséder une solide couverture et... des appuis conséquents. Un savant fou ne fait pas paraître ses projets en librairie (quoiqu’Hitler et Khomeny ne s’en soient pas privés, sans trouver personne pour s’inquiéter outre mesure...).

Dissimulez le personnage derrière un écran de fumée, qui pourra être un réseau de fausses pistes : plusieurs identités, une activité honorable, voire une respectabilité de bon ton. Comme le chevalier Dupin ou Sherlock Holmes pourraient vous le dire, « les meilleures cachettes sont souvent celles qui sont le plus évidentes et le plus visibles » . Placez votre méchant à l’endroit où on l’attend le moins. Vos joueurs seront les derniers à vous en tenir rigueur. Vous le savez, ce sont de grands enfants et ils aiment les surprises !

De plus, le décor où vous placerez le personnage en question sera presque aussi important que le personnage non-joué lui-même : le château brumeux des Carpathes de Bram Stoker, la Maison Uscher d’Edgar Poe, le manoir enténébré du baron Frankenstein, les landes désolées qui abritent le chien des Baskerville, les Hauts de Hurlevent, la base flottante du Docteur No ou l’île de son collègue le Docteur Moreau, autant de sites immortels qui sont une mine d’idées. Mais libre à vous de trouver des repaires dignes de vos méchants...

Nom : BARBE NOIRE

Constitution : 12
Aptitudes physiques : 7
Culture Générale : 11
Habileté : 8
Perception : 10
Spiritualité : 6
Ouverture d’Esprit : 12
Fluide : 5

La beauté du diable

Dans ce jeu de cache-cache qui l’opposera aux joueurs, il peut être bon, mais ce n’est pas une recette, d’éviter de peindre systématiquement le « mauvais » sous une apparence répugnante et horrible. Les sorcières n’ont pas toutes le nez crochu, les ongles sales et démesurés, une verrue sur le nez. Pourquoi ne pas quelquefois en faire une femme fatale ?

Rappelez-vous Mézarovitch (La musique adoucit les meurtres , Maléfices N°7 ) , distingué tueur, snob jusqu’au bout des ongles, Faust sous les traits aquilins de Gérard Philippe dans le film de René Clair « la Beauté du Diable » ou la fausse candeur de Dorian Gray dans Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.

Il n’est pas rare que le démon se dissimule sous les traits charmeurs de quelque créature de rêve, pour tenter et perdre les humains. D’ailleurs, l’Église affirme que depuis Ève et la pomme, tout le mal vient de là, même si elle a quelquefois tendance à confondre péché et saine distraction !

Alors, n’hésitez pas à rendre vos méchants attirants, séducteurs. Si vos personnages s’y laissent prendre, plus dure sera la chute, mais meilleur sera le suspense...

Nom : MORIARTY

Constitution : 14
Aptitudes physiques : 15
Culture Générale : 10
Habileté : 14
Perception : 12
Spiritualité : 7
Ouverture d’Esprit : 13
Fluide : 5

Ouvrez la cage aux oiseaux

Ah, j’oubliais ! Comme la garde meurt mais ne se rend pas, les méchants ont quelquefois des capacités insoupçonnées à glisser entre les mailles du filet qu’on leur aura tendu. Qui imagine Fantômas (toujours lui, mais que voulez-vous, l’exemple est parfait !) derrière les verrous ? Moriarty, le vieil ennemi de Sherlock Holmes, ne se laisse pas prendre vivant... Remarquez à ce sujet que le célèbre détective disparaît avec lui, comme si, dès lors, son existence n’avait plus de sens...

Un criminel sous les verrous est un homme fini, du moins pour les conteurs d’histoires. Que deviendrait Hercule Poirot ou Harry Dickson sans malfaiteurs à pourchasser ? D’ailleurs, pourquoi les méchants s’évadent-ils, sinon pour permettre aux héros de prouver leur utilité ? Imaginez un instant les Dalton, finissant paisiblement leurs jours derrière les barreaux... Lucky Luke n’y survivrait pas.

Ainsi, vous pouvez donc vous débrouiller pour faire échapper in extremis votre méchant. Cependant, laissez toujours à vos personnages, s’ils jouent avec une finesse particulière, une chance de l’attraper, pour laisser du piment à l’affaire. Ce petit stratagème vous permettra, en outre, de réutiliser si vous le voulez votre personnage pour un autre scénario. Comme disent les grands-mères, « c’est dans les vieux pots... »

Nom : DOCTEUR MABUSE

Constitution : 7
Aptitudes physiques : 6
Culture Générale : 15
Habileté : 14
Perception : 14
Spiritualité : 6
Ouverture d’Esprit : 10
Fluide : 7

Un méchant prêt à l’emploi

Pour peut-être vous donner les premières bases d’un scénario, nous vous proposons un personnage « prêt à jouer ». Afin de rétablir l’égalité des sexes, nous avons choisi une femme ; car les hommes n’ont pas le monopole de l’horreur et nos belles compagnes sont capables, comme dans bien d’autres, de nous égaler dans ce domaine. Faites qu’elle ait une longue et « fructueuse » existence.

Anna Drugval naît à Pondicherry, chef-lieu de l’lnde française, en 1865. Fille aînée d’un officier français et d’une indienne, elle vit heureuse les sept premières années de sa vie dans cet Orient mystérieux. Son père est commandant et la vie est facile. Mais un jour, tout bascule : lors d’une visite de routine dans une province éloignée, la caravane du commandant Drugval est attaquée par une bande de Thugs, célèbres assassins qui ravagèrent pendant de longues années les provinces indiennes. Tous les membres de l’expédition sont impitoyablement massacrés ; tous sauf Anna.

Car Amritsar Khan, le chef Thug, a pour une fois été sensible au charme de cette gamine de sept ans, en larmes, qui venait d’assister à l’assassinat de ses parents. Et dans l’esprit d’Amritsar, une idée germe, une idée un peu folle mais qui serait son chef-d’œuvre : former à « l’art » de l’assassinat une jeune métis. Anna devient donc la fille adoptive d’Amritsar Khan qui, en dehors de ses « campagnes », est l’honnête employé d’un grand propriétaire terrien. Mais lorsque vient l’heure, il redevient le chef de ces assassins sans scrupules et sans remords, qui hantent les routes, repèrent leurs proies, s’en font des amis, gagnent leur confiance, avant de les faire passer de vie à trépas.

Anna apprend alors la science des Thugs et le maniement du Rhumal, sorte de petite cordelette servant à étrangler les victimes mises en confiance. Avec la bande d’Amritsar Khan, elle apprend à tuer, sans émotion, sans une pensée pour ses proies, qu’elles soient hommes, femmes, enfants ou vieillards.

Pendant des années, elle mène la vie aventureuse des Thugs, se cachant sous le visage honnête d’une fille de bonne famille, devenant une meurtrière insensible le moment venu.

Avec les Thugs, elle étudie aussi la science des poisons, des breuvages qui tuent à ceux qui rendent fous, de ceux qui délient les langues à ceux qui font tout oublier. Mais, alors qu’Amritsar admire la beauté et l’habileté de la meilleure de ses recrues, Anna n’a jamais oublié la nuit où ses parents sont morts sous les mains de ses compagnons d’aujourd’hui.

Ayant atteint sa majorité, elle accomplit sa vengeance. Profitant du sommeil de son père adoptif, elle l’étrangle avec le rhumal qu’il lui avait offert. L’homme meurt sans un mot, avec seulement dans le regard, un immense étonnement...

Après cela, Anna Drugval veut fuir l’Inde. Mais elle, qui n’est ni tout à fait indienne, ni tout à fait européenne, qui n’a ni argent ni passeport, n’a aucun droit. À la douane, on la refoule. Rejetée de tous, sans patrie, sans passé, Anna crève de faim sur le trottoir de Calcutta. Alors, elle qui n’a pas oublié la science des Thugs tue pour manger, tue pour survivre. Elle n’oubliera jamais ces heures tragiques où seul le crime la sauvera de la mort.

Ayant amassé péniblement l’argent de son voyage, ayant tué et vendu son corps pour acheter le prix de son passage, elle se donnera à un fonctionnaire du port pour qu’il lui fournisse un faux passeport, passeport pour une « vraie » vie nouvelle.

Un matin de 1890, une jeune femme de vingt-cinq ans descend du bateau sur le port de Marseille, sur cette terre de France qu’elle n’a jamais connue, mais dont le sang coule dans ses veines. Dans son cœur, il n’y a plus aucune nostalgie. Il n’y a plus qu’une avide volonté de vivre, d’être riche et adorée.

Anna Drugval prend aussitôt le train de Paris. Dans la ville-lumière, il y aura bien une place pour une fille jeune et jolie, qui ne s’embarrasse pas de scrupules...

Nom : ANNA DRUGVAL

Constitution : 9
Aptitudes physiques : 10
Culture Générale : 12
Habileté : 17
Perception : 16
Spiritualité : 6
Ouverture d’Esprit : 14
Fluide : 10

Anna Drugval est donc un assassin diaboliquement habile, capable de se déplacer dans un silence presque parfait et de surprendre ses adversaires.

Mais c’est aussi une experte dans la confection et l’utilisation des poisons. Elle sait également concocter des breuvages hallucinogènes, des sérums de vérité, ou des potions amoindrissant l’attention.

Du point de vue psychologique, Anna est un hybride entre la femme fatale et la mante religieuse. Incapable d’amour, elle utilisera ses charmes pour amener en position d’infériorité les hommes qu’elle veut voler ou assassiner. Son but : devenir riche et admirée par tous les moyens.

Pour y arriver, elle sera capable de séduire des hommes riches, voire de les épouser, avant de s’en débarrasser.

Outre ses "qualités", Anna Drugval est dotée d’une intelligence moyenne mais pratique. Animée d’une volonté farouche, elle sera tout à fait capable de mettre sur pied une organisation criminelle très structurée dont elle sera le chef, et qui commettra vols, cambriolages, enlèvements, chantages, et bien entendu assassinats crapuleux.

Sous des dehors de demi-mondaine, voire de bourgeoise faussement honorable, Anna Drugval poursuivra dans le crime la réussite que la vie ne lui a pas donnée.

Anna Drugval est une « méchante », comme il en est légion dans toutes les histoires d’aventures. Ils font partie intégrante du récit, et même si nous les haïssons de toutes nos forces pour ce qu’ils sont, nous leur gardons secrètement une certaine sympathie, ne serait-ce que pour le plaisir qu’ils nous donnent à batailler bec et ongles contre le Héros. Mais au-delà des méchants, il y a les monstres...

Un méchant comme jamais vous n’auriez osé en imaginer !

Peter Kurten (1883-1931), n’est pas sorti de l’imaginaire pervers d’un auteur en mal de sensationnel. Même un cerveau perturbé n’aurait pas été jusqu’à réunir en un seul homme tant de perversions, tant de pulsions sadiques, tant d’abominations.

Pourtant, Peter Kurten a bel et bien existé, dans le Düsseldorf des années 30, alors que le nazisme enclenchait son irrésistible ascension vers le pouvoir. Avant qu’on ne puisse lui donner son véritable patronyme, il fut plus connu sous le nom de « Vampire de Düsseldorf ».

Peter Kurten grandit dans la misère, auprès de cinq frères et sœurs, un père alcoolique qui violera la fille aînée avant de finir en prison. Mais une enfance malheureuse explique-t-elle à elle seule les pensées perverses qui animent très tôt l’esprit du petit Peter ? Fasciné par la vue d’un bol de sang frais, Peter Kurten fête ses quatorze ans en immolant un mouton. Buvant le sang à même la gorge à peine tranchée, il s’y baigne et trouve dans ce sacrifice une jouissance quasi- sexuelle.

Ses premiers émois, il les destine à la jolie Hannah, sa voisine. Mais la belle se montre rebelle, et chez Kurten, l’amour devient aussitôt pulsion. Si elle ne veut pas de lui, il la forcera. Mais sa tentative de viol tourne court et Hannah va chercher l’aide de son père. Qu’à cela ne tienne, le jeune Peter s’arme d’un revolver et tire quatre coups sur le bonhomme, sans l’atteindre. Mais le destin de Peter est alors tout tracé.

À quinze ans, il se retrouve vagabond, voleur et proxénète à l’occasion. Il aurait fini sa vie en prison si la guerre n’avait éclaté. Des tranchées, Kurten sort avec le goût amer de la défaite, qui lui feront trouver si douces à ses oreilles les diatribes revanchardes des nazis.

Ayant trouvé un travail tranquille de camionneur, Peter Kurten semble s’assagir jusqu’à l’âge de quarante-six ans, jusqu’à cette année 1929, où le monstre sanguinaire reparaît sous le visage de l’honnête homme.

Sa première victime est un jeune garçon de douze ans, qu’il tue sans aucun prétexte dans son sommeil, avant de boire son sang. Six mois plus tard, c’est la petite Rosa qu’il assassine dans un square. Non content de la violer, il l’éventre, lui fracasse le crâne, lui coupe les oreilles et lui brûle les jambes.

Mais Peter Kurten ne se contente pas de tuer. Alors que les parents effondrés viennent reconnaître le corps, il se rend dans le jardin public, pour se repaître du spectacle, fier d’avoir déplacé autant de monde à lui tout seul.

Puis la frénésie meurtrière s’accélère : un ouvrier Rudolph Scheer, Emma Gross une prostituée, puis Maria. Pour ce dernier crime, Kurten compose un poème qu’il envoie aux journaux, indiquant l’emplacement du cadavre.

Lors de la « Grande Nuit » du 21 Août, il agresse Anna, seize ans, une vieille dame Frau Mantel et tue un ouvrier juif.

Quelques jours plus tard, c’est deux fillettes qui sont violées au cours d’une sorte d’orgie rituelle et sanglante à l’issue de laquelle le vampire boit leur sang.

L’horreur étreint Düsseldorf, où tout le monde se terre.

Mais cela n’arrête pas Kurten, qui continue à hanter les nuits de Düsseldorf et à tuer ses victimes avec toujours autant d’atrocité. Il atteint cependant les limites de la cruauté et de la perversion lorsqu’il écrit deux lettres successives aux parents de la petite Gertrud, cinq ans, où il prend un plaisir sadique à les torturer : « ...pour vous faire vivre comme si vous y étiez les derniers instants de votre enfant... » .

Finalement, c’est un instant de « bonté », un geste de mansuétude qui perdra Kurten. Ayant sauvé Maria Budlich des mains d’un voyou, le Vampire de Düsseldorf l’emmène chez lui. C’est en la raccompagnant au foyer où elle loge qu’il la viole. Pourquoi l’épargne-t-il ? Mystère. Mais la police aux abois ne rate pas l’occasion.

Au domicile de Peter Kurten, sa femme est déjà au courant. Le vampire lui a froidement avoué qu’il était le mystérieux tueur qui terrorisait la ville. Kurten sera arrêté une heure plus tard ; personne dans son entourage n’avait soupçonné ce monsieur d’une quarantaine d’années « toujours bien mis ».

Kurten ira jusqu’au bout de l’horreur en promenant les policiers sur les lieux de ses différents crimes, commentant ses exploits de remarques salaces. « De toutes façons messieurs, leur déclare-t-il, le héros, c’est moi ! »

Confronté à celles de ses victimes qui en ont réchappé, il les salue, l’air narquois. Lorsqu’une d’entre elles lui demande pourquoi il l’a attaquée, il lui répond : « Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je crois que j’ai voulu vous tuer, ma bonne dame. »

Finalement, on établira que Peter Kurten a commis neuf assassinats, trente-six tentatives de meurtre et vingt-huit incendies volontaires. Les psychiatres eurent toutes les peines du monde à déterminer si Kurten était paranoïaque ou mythomane.

Finalement on le reconnaît comme un « pervers polymorphe », mais psychiquement « normal » et il paraît en tant que tel devant la cour. Dans la salle, se trouve un jeune cinéaste nommé... Fritz Lang, qui s’inspirera du fait divers pour son film « M le maudit » .

Le 22 Avril 1931, Peter Kurten est condamné neuf fois à mort et à quinze ans de travaux forcés ! Quelques jours plus tard, la guillotine mettait un terme à la carrière du plus monstrueux criminel de tous les temps : le Vampire de Düsseldorf.

Oserez-vous utiliser dans un de vos scénarios un aussi ignoble personnage ?

En tout cas, même si la psychologie d’un être aussi complexe est impossible à retranscrire exactement, voici ce que « serait », selon nous, Peter Kurten, si vos joueurs avaient pu le croiser :

Nom : PETER KURTEN

Constitution : 15
Aptitudes physiques : 14
Culture Générale : 8
Habileté : 14
Perception : 15
Spiritualité : 5
Ouverture d’Esprit : 4
Fluide : 5

Hervé FONTANIÈRES.