Maléfices - De quelques petits conseils pour créer un scénario - Jeux Descartes Plus, Volume 02 (1987)

Une lettre parfaite est une lettre qui ne contient qu'une idée.

Si vous avez une idée, dites-la et arrêtez-vous.

C'est déjà si beau d'avoir une idée !

Paul Reboux

Le nouveau savoir-écrire.

S‘il suffit d’une idée pour écrire une lettre, il en va souvent de même pour un scénario de jeux de rôle, à condition évidemment que cette idée soit bonne.

Mais il nous arrive parfois d’être à cours d’idées, cel­les-ci ne venant pas toujours spontanément.

Dans ce cas il existe différen­tes méthodes qui peuvent permettre de remédier à cet état de choses.

La lecture de n’importe quel quotidien en est une par exemple.

Ouvrons ensemble la page En pleine nuit une des fait-divers de notre quotidien régional, dans le mien je vois aujourd’hui deux petits drames qui, on doit bien le dire, n’ont rien d’extraordi­naire... et pourtant ?

Premier fait-divers : Drame de la folie Montboudif

Hier soir au cours d’une crise de démence Ernest Berk a étranglé sa petite sœur âgée de douze ans puis a tenté de mettre fin à ses jours. Appelés par les voisins, les gendar­mes se sont rendus rapidement sur les lieux et ont pu s’emparer du dément avant qu’il ne parvienne à ses fins. C’est une bien tragique histoire qui endeuille toute une famille honorablement connue dans notre région. Monsieur Louis-Xavier Berk, le père du forcené venait de prendre sa retraite, après avoir tenu pendant plus de vingt-cinq ans la perception de Montboudif, où il était aimé de tous ; qu’il veuille bien, en ces tragi­ques circonstances, accepter l’ex­pression de notre sympathie la plus sincère.

Deuxième fait-divers : En pleine nuit une maison s’écroule

C’est encore tremblant d’émo­tion que Monsieur Hervé Fontaniè­res, berger de la région de la Thibaudière nous fait le récit suivant :

“La nuit dernière, ne pouvant trouver le sommeil, je me promenais dans la campagne; arrivé à la hauteur du Clos de la Benestance, vieille mai­son abandonnée depuis de nom­breuses années, j’entendis un cra­quement sinistre et je vis avec stupé­faction la façade de la maison s’écrouler brusquement sans raison apparente; en même temps, prove­nant de l’intérieur une plainte s’éleva comme si la bâtisse poussait un hurlement de mort.

Je m’enfuis à toutes jambes, et j’ai encore dans les oreilles le cri de détresse de cette maison qui meurt; parfois les pierres ont une âme.”

Nous laissons toute la responsabilité de ses allégations à Monsieur Fon­tanières qui est, certes, un brave berger, mais qui peut-être est pourvu d’un peu trop d’imagination.

Apparemment rien de bien passion­nant dans ces deux faits divers : le premier concerne un drame de la démence, comme malheureuse­ment il en arrive fréquemment et le second nous décrit comment une vieille maison en ruines finit par s’écrouler, ce qui n’a rien de bien extraordinaire, si ce n’est le fait qu’un berger vraisemblablement simplet ou ivre (ou ivre et simplet) fut le témoin de cet incident.

Pourtant une maison rendant l’âme en exhalant de lugubres plaintes, c’est déjà un beau sujet d’histoire fantastique, et de plus les deux arti­cles figurant côte à côte dans la même page du quotidien nous inci­tent à imaginer que le drame relaté dans le premier fait-divers aurait très bien pu, après tout, se dérouler dans la maison dont il est question dans le second fait-divers.

Et voilà que grâce à notre quotidien, notre imagination s’enflamme. Ré­fléchissons donc :

Et si plusieurs crimes avaient eu lieu dans cette maison !

Vous voyez que nous avions raison de réfléchir un instant, notre scénario commence à prendre forme. Après tout cette maison est peut-être maudite à cause de cela ?

Alors inventons vite trois petites his­toires criminelles qui auraient pu avoir lieu au clos de la Benestance. Cependant du fait qu’il s’agit d’un scénario pour Maléfices, il faudra chronologiquement le situer à l’épo­que où se déroule le jeu.

Trois petites histoires criminelles

Première histoire:

En février 1896, la famille Marestaing vient habiter le clos de la Benestance.

La famille se compose de Albert Marestaing. 45 ans, de sa femme Pierrette, 40 ans et d’Hector Mares­ng, le père d’Albert, 70 ans.

Composons sur ce canevas un schéma classique d’histoire :

Hector, le vieux Marestaing a de l’argent, par exemple. Bien entendu, son fils et sa belle-fille convoitent sa fortune et toujours comme de bien entendu, ils ont l’intention de le faire passer de vie à trépas.

En août 1 896, les époux pendant la nuit, scient une marche en haut de l’escalier qui mène du rez-de-chaussée aux chambres du premier étage.

Le matin, l’aïeul dégringole l’esca­lier, se casse la figure et la pipe par la même occasion, exit l’aïeul. C’est un “regrettable” accident.

Albert Marestaing hérite de son père.

Mais à partir de cet instant, profitant de sa soudaine richesse, il se met à courir la gueuse et à tâter de la bouteille, délaissant complètement sa femme... ce qu’elle n’apprécie guère!

Un jour elle le menace de tout dire à la police s’il ne rentre pas dans le droit chemin et pour être certaine qu’à partir de cet instant il filera doux elle lui fait signer une “confession” concernant son odieux crime (il de­vait être encore plus saoul ce soir-là que d’habitude).

Notre homme se range durant quel­ques temps puis retombe dans ses travers et un soir où il est ivre mort, sa charmante épouse le pend à une poutre de la salle à manger, laissant bien en évidence sa confession.

On conclut au suicide et Pierrette hérite de son mari et quitte le pays. De 1898 à 1899 laissons la maison inhabitée.

Deuxième histoire:

En 1900, c’est la famille Foras­tié qui reprend la maison, elle est composée de Jules Forastié, 60 ans, de sa femme Marie, 65 ans et de leurs deux enfants, Joseph, 33 ans et Albertine, 14 ans, une enfant adoptée.

Là, inspirons-nous directement du fait-divers paru dans le quotidien. Joseph Forastié, le fils, est débile (c’est peut-être pour cela que ses parents ont tenu à s’installer dans une maison isolée). Il est débile et obsédé et pour cette raison “tourne” autour de sa demi-sœur.

D’où le double avantage de faire de la petite Albertine une demi-sœur : premièrement parce que sans cela sa mère l’aurait eue à 51 ans, ce qui tout de même est un peu limite et deuxièmement parce qu’ainsi la si­tuation est moins choquante.

En 1901 c’est le drame, Joseph tente de violer Albertine, celle-ci résiste, fou de rage il l’étrangle.

Cruel dilemme, pour éviter que leur fils soit interné, les parents enterrent la petite Albertine dans le jardin; ils diront par la suite qu’elle est allée continuer ses études “à la ville”.

Cependant en 1 902, Jules Forastié craque, tue son fils et se suicide.

Marie Forastié ne supporte pas de vivre seule dans cette maison; elle regagne la ville et meurt de chagrin très peu de temps après.

La maison n’est rachetée qu’en 1903.

On comprend qu’après tout ce qui vient de se passer, les acheteurs ne se bousculent pas au portillon.

Troisième histoire:

En 1903, un parisien vient ha­biter le clos de la Benesance, il a 24 ans, il se nomme Roland Drover (excusez-moi je n’ai pas pu résister) et il est d’origine anglaise.

C’est un artiste, il écrit et illustre des histoires pour enfants et ne semble nullement impressionné par les sinis­tres événements qui se sont dérou­lés dans cette maison.

Il aime la région, fait de la photo et adore faire des portraits d’enfants, dont il se sert ensuite pour l’exécu­tion de ses dessins.

Parfois une de ses petites voisines, ravissante enfant de douze ans vient le voir et il lui offre volontiers à goûter.

Avouons-le tout de suite, nous nous inspirons dans cette troisième his­toire de Lewis Carrol pour camper le personnage de l’artiste; mais pour­quoi pas puisque nous avons décidé de puiser notre inspiration aux sour­ces les plus diverses.

Après, la suite est facile à deviner, nous sommes à la campagne, très vite les gens vont jaser, puis on expédiera des lettres anonymes, des pierres vont voler dans les carreaux de la maison de l’artiste.

Le pauvre Roland sera peut-être même interrogé par les gendarmes, alors qu’il est bien entendu totale­ment innocent.

Mais, peut-on lutter contre la calom­nie et l’hostilité de tout un village ? Un triste soir où il sera particulière­ment déprimé, notre artiste ne se sentira plus le courage de lutter contre la médisance; le pauvre Ro­land Drover va se dégonfler (N.D.L.R. aïe, aïe, aïe !) et mettre fin à ses jours.

Depuis la maison n’a plus jamais été habitée.

Home sweet home

Nous voici donc propriétaires d’un charmant cottage où depuis 1896 il s’est passé de drôles de choses.

Puisque nous avons décidé de faire rentrer cette maison dans la catégo­rie des lieux maudits, étudions son cas de plus près.

Et tout d’abord posons-nous la ques­tion essentielle qui consiste à se demander :

Est-ce un lieu maudit parce que des événements tragiques se sont dérou­lés dans ses murs ou au contraire est-ce parce que ce lieu est maudit que de pareils événements ont eu lieu ?

Cela vaut la peine d’y réfléchir, il me semble que la deuxième solution offre de multiples avantages pour le déroulement d’une intrigue.

En effet, imaginons un instant que la maison se comporte comme une véritable entité, douée d’une per­sonnalité propre et que de plus elle soit particulièrement névrosée avec des accès de folies homicides, ac­cès qu’elle parviendrait à communi­quer à ses occupants.

Imaginons maintenant que les per­sonnages des joueurs pour une rai­son quelconque se trouvent dans l’obligation d’y séjourner pour quel­que temps (un soir d’orage ils peu­vent, leur véhicule étant tombé en panne, être dans l’obligation de se réfugier là par exemple, ou l’un d’eux peut hériter de la maison, ou bien encore certaines rumeurs peu­vent leur faire croire qu’un trésor se trouve en cet endroit etc. etc.).

Je vous laisse le soin d’imaginer une introduction à cette histoire.

D’ailleurs le but de cet article n’est pas de créer un scénario mais de fournir des éléments pour en construire un selon votre gré.

Une fois les personnages de vos joueurs sur place, il vous est possi­ble d’inventer toutes sortes d’élé­ments tous plus fantastiques que les autres.

Essayons d’examiner certaines de ces possibilités :

1 - Dès que les personnages auront pénétré à l’intérieur, la maison fer­mera automatiquement toutes ses issues et ne les laissera sortir que lorsqu’ils auront résolu les énigmes constituées par les trois affaires cri­minelles et qu’ils se seront rendus compte que c’est la maison qui est responsable de cet état de choses (en fait ce que cherche la maison c’est une sorte de psychanalyse).

2 - La maison va fournir petit à petit des éléments pour que les person­nages puissent reconstituer les faits. Ex: La marche du haut de l’escalier grincera lugubrement à une heure bien précise, ceci pour rappeler l’assassinat d’Hector Marestaing (première affaire); on entend pleu­rer une petite fille, assassinat d’Al­bertine (Deuxième affaire) etc, etc.

Ainsi d’indices en indices les per­sonnages pourront reconstituer les trois drames successifs.

3 - Le spiritisme peut entrer pour une large part dans ce type d’his­toire. Il y a eu assez de morts en ces lieux pour que ce genre de pratique soit justifié.

Par contre si l’enquête traîne, la maison qui, comme nous l’avons vu, n’a pas très bon caractère, peut s’énerver et cet énervement va rejail­lir sur le caractère des personnages (jet d’ouverture d’esprit) et dans le cas où cela tournerait vraiment mal on peut très bien envisager que cela se termine par un sanglant pugilat, voire un véritable massacre entre les personnages.

De plus n’oublions pas que les per­sonnages ne pouvant pas sortir de la maison tant que l’énigme n’est pas résolue, ils peuvent tout bêtement mourir de faim.

Bien entendu pour protéger cette charmante demeure, il vous faudra rendre impossible toute tentative de défoncer les portes ou les fenêtres; pics, pioches etc. peuvent être im­médiatement arrachés des mains des petits malins qui tenteraient ce genre de choses par une force magique qu’utilise la maison (par exemple, télékinésie qui pourrait servir à projeter un pot de fleur sur la tête de l’audacieux qui voudrait creuser un trou dans le mur).

Mais je vous laisse libre de choisir et d’inventer tout ce qu’il vous plaira, mon but n’étant ici que de fournir un départ à une histoire fantastique.

Je me suis simplement permis de vous livrer les locaux “clef en mains” maintenant, à vous de jouer.

Inspirations

“Un beau livre, c’est celui qui sème à foison les points d’interroga­tion” disait Jean Cocteau, et c’est aussi celui qui titille notre imagination et nous ouvre de nouveaux hori­zons; alors, pourquoi se priver du plaisir de la lecture et ne pas s’en servir pour bâtir nous-mêmes de nouvelles histoires ?

Il existe toutes sortes d’ouvrages qui peuvent servir de base à de bons scénarios.

A ce sujet vous pouvez consulter la liste d’ouvrages figurant dans le livret de règles de Maléfices.

Prenons par exemple cette histoire véridique que j’ai lue dans un des Guides Noirs édités par les Ed. Tchou.

Ne peut-on rêver plus beau début pour un scénario fantastique ?

Cette histoire se passe en forêt de Fontainebleau dans la région du “Chêne au chien”. A cet endroit on peut voir un mausolée circulaire qui fut construit en 1870.

Il s’agit du tombeau du comte de Chevillard, homme passionné par la chasse qui exigea d’être enterré avec ses chevaux et ses chiens: “ses vieux amis” dit-il en parlant d’eux dans son testament.

La chose est originale, mais on peut la comprendre: qui n’a pas un jour été trahi par un ami !

Je dois dire que pour ma part, quand il m’arrive de penser à “certains” de mes amis je regarde mon chat avec beaucoup de tendresse.

Cependant si le comte de Chevillard s’en était tenu là, l’histoire n’aurait rien de bien extraordinaire, mais le comte était un original et il exigeait de surcroît la chose suivante:

“Je laisse mes marbres, mes albâ­tres, mes colonnes et mes portraits de femmes pour l’ornement dudit tombeau et aussi mes statues de marbre, de bronze et de bois.”

La famille prit la chose très mal, le fils et la fille du comte attaquèrent le testament et exigèrent “au nom du respect des sépultures” qu’il ne soit pas exécuté.

Leur avocat, au cours de sa plaidoi­rie s’écria: “Quoi ! ces portraits de femmes autour d’une tombe, c’est le catalogue de Don Juan chanté sur un cercueil.

En effet le comte avait fait exécuter un semainier mobile que n’ont pas encore inventé les spécialistes de Play Boy et qui permettait au mort d’avoir la visite chaque jour d’une autre compagne d’outre-tombe.

Cette invention, quasi surréaliste, une des plus originales du XIXe siè­cle, ne reçut pas l’accord du tribu­nal, ni de la veuve d’ailleurs.

Cependant, plus compréhensive que ses enfants, la comtesse fit ré­pondre par son homme de loi qu’elle était chargée de faire exécuter ce tombeau prévu par une clause tes­tamentaire et qu’elle tenait à respec­ter cette clause.

Cependant, pour ne pas choquer la moralité publique elle ferait rempla­cer les statues des sept “créatures” par une statue sacrée de la Vierge entourée de marbres antiques !

Elle y fut autorisée par un jugement en date du 3 février 1870, jugement rendu par le tribunal de la Seine.

On ignore ce que sont devenues les statues des sept maîtresses du comté.

A vous de rêver, partant de là, et d’imaginer le destin de ces sept statues mystérieuses.

Conclusion

Que les lecteurs qui “passeront à l’acte” et rédigeront des scénarios en se servant des histoires citées ci-dessus n’hésitent pas à nous les faire parvenir, c’est avec grand plai­sir que nous en prendrons connais­sance et que nous en reparlerons dans le prochain numéro de JD +.

D’ailleurs je profite de cette occa­sion pour signaler que cette offre n’est pas limitative, n’hésitez jamais à nous faire parvenir vos scénarios, alors si le cœur vous en dit écrivez-nous à: JD + Jeux Descartes, 5 rue de la Beaume, Paris 75008.

Et maintenant permettez-moi de vous souhaiter d’éprouver ce plaisir merveilleux qui consiste à “inventer” une histoire; même si cela demande de longues heures de travail et de préparation, cela offre également de grandes joies; mais je pense que vous le saviez déjà.



Michel Gaudo.