Scénario prévu pour un petit groupe de personnages relativement expérimentés. Il serait souhaitable qu'il y ait un ou plusieurs volants dans l'équipe.

Un mot avant de commencer Vous risquez d'avoir besoin d'une bonne dose d'imagination et de salive pour rendre cet épisode intéressant si vos joueurs sont des maniaques du « scénario à tout prix » (et où il est, le méchant? c'est pas normal, ça fait trois jours qu'il ne se passe rien »). Parce que, justement, il ne s'y passe que peu de choses, à part des occasions de jouer son rôle... Vous voilà donc prévenus.

Première partie Paris, an 142(?)

Introduction historique

Nous sommes entre 1420 et 1430. Depuis le début du siècle, la France est très mal en point. La guerre de Cent Ans traine depuis déjà huit décennies, et ce sont les Anglais qui gagnent. Ils occupent un bon tiers du pays, avec le Nord, la région parisienne, la Normandie, l'Aquitaine... Cela fait bien l'affaire du duc Philippe de Bourgogne, qui contrôle une vaste principauté qu'il gouverne à sa guise.

Charles VI, le roi fou, est mort en octobre 1422, quelques semaines après son vainqueur, Henry V. Ce dernier avait forcé Charles à l'adopter et à le proclamer son héritier. Ses droits au trône de France reviennent à son fils, le tout jeune Henry VI, à peine âgé de quelques mois. Le gouvernement du royaume de France et d’Angleterre échoit à ses oncles, les ducs de Bedford el Gloucester. Le premier se consacrera à la France... Quant à l'ex-dauphin, l'héritier légitime, il est tenu par tous pour quantité négligeable. Il est très jeune, sans vraie expérience politique, sans charisme et sans argent Ses capitaines le trahissent, ses ministres le maintiennent dans une minorité qui s'éternise... Bref, le « roi de Bourges » parait très mal. Evidemment, la donne changera à la fin de la décennie, mais nous n'en sommes pas encore là.

Et maintenant, vous pouvez oublier tout le paragraphe précédent, qui était surtout là pour vous fixer les idées en termes « modernes ». Les contemporains ne voient pas nécessairement la situation de celte façon. Par la force des choses, leur vision est beaucoup plus terre à terre, dépourvue du recul que donne la connaissance de l'avenir, et brouillée par des facteurs personnels, la guerre avec les Anglais est un mal récurrent, bien sûr, mais coupé de suffisamment de trêves pour que le commun des mortels n'ait pas l'impression de vivre à la fin d'un siècle de conflit...

Quant à la haute politique, il s'en moque. Tout le monde est beaucoup plus préoccupé par la hausse des prix, des variations du climat qui se répercutent tragiquement sur les récoltes, des allées et venues des bandes de pillards, etc. A Paris, où commence ce scénario, la population vient de connaître un quart de siècle de tumulte, d'émeutes, de sièges et de famine. Université et bourgeoisie sont passés avec armes et bagages dans le camp du duc de Bourgogne, qui a eu l'intelligence de se présenter comme un modéré. Et dans la mesure où pour l'instant, il soutient les Anglais, Paris les accueille. Le petit Henry VI a été couronné roi de France et d'Angleterre à Notre-Dame, Bedford réside en ville une partie de l'année. Quant à celui qui sera bientôt Charles le Victorieux, il n'est pour l'instant que « le soi-disant dauphin », responsable officiel de tous les maux du royaume.

Et la Caravane, dans tout ça ?

Le moins que l'on puisse dire est qu'elle a connu des temps meilleurs. La vie est très dure pour des baladins itinérants, quand ils doivent partager les routes avec des meutes de soldats au chômage qui vivent sur le pays. Dans les villages, la réaction à l'arrivée d'étrangers est fort simple: tout le monde s'enferme ou court se cacher dans les bois. Il est difficile d'assurer un spectacle quand le public n'est pas volontaire ! Et même quand ils reviennent et comprennent Que ces étranger-là, au moins, ne tueront personne, ils n'ont rien à donner en échange. Oh, bien sûr, ils apprécient, ils remercient, ils oublient pour un moment que la mort se promène librement sur Terre, mais la reconnaissance ne nourrit pas son homme... ou son garou.

De guerre lasse, le Veneur a annoncé que la Caravane allait passer l'été, et peut être la fin de l'année, dans la région de Paris, la vie n'y est pas plus sûre, mais entre les foires et les fêtes religieuses ou profanes, il y aura peut-être du travail. Bien entendu, l'Initié s'est chargé de bien faire entrer dans la tête de tous qu'il fallait être particulièrement prudent. Les auberges sont nombreuses, le vin abondant et bon marché... et une imprudence pourrait avoir des conséquences fatales pour tout le monde. Bref, depuis quelques semaines, la Caravane est installée à l'intérieur des remparts de la ville, dans une vaste zone en friche au nord-est de la cité, entre le Temple de ce qui ne S'appelle pas encore le Marais (voir plans page 68). Profitez de cette période de calme pour planter le décor, présenter quelques PNJ d'ambiance et vous amuser un peu. Pour des gens habitués à se déplacer sans cesse à travers la campagne, Paris représente un incroyable dépaysement. La ville est tout simplement trop énorme pour être compréhensible. Des quartiers entiers sont dépeuplés et tombent doucement en ruine. Mais à côté de ces zones mortes se trouvent des coins grouillants de vie el d'animation, où l'on construit. Il y a des dizaines d'églises, le Palais, les forteresses royales du Louvre et de la Bastille... el d'autres attractions moins gaies, comme l'immense « danse macabre » du cimetières des Innocents, ou le gibet de Montfaucon.

Voici quatre petits problèmes que vous pourriez poser à vos questeurs, histoire de les garder en alerte. Le dernier est le seul à avoir une véritable importance. Utilisez les autres pour « l'enrober ».

- Une pittoresque bande de crapules arrive à la Caravane, et exige de parler au « chef ». Ils représentent une truanderie voisine et vont tenter un racket très classique, avec chantage à la protection. Une démonstration de force serait une bonne solution, à condition qu'elle n'ait rien d'anormal. Après tout, une douzaine de questeurs costauds avec des bâtons, ça devrait pouvoir se trouver.

- Un noble engage la troupe. Il marie sa fille et veut un numéro dont les invités se souviendront. Il aimerait assez un ours opposé à quatre chiens dans un combat à mort. Il a beaucoup de mal à comprendre le sens du mot « non » (je comprends que vous ne vouliez pas perdre votre ours. Mais je vous en payerai un autre, ce n'est pas un problème.).

- Une bande de jeunes étudiants en provenance de l'Université (un quartier à part qui couvre presque toute la rive gauche, et qui dispose de ses propres autorités) assiste à un spectacle. L'un d'eux décide de séduire Louise, une novice. Même s'il n'est pas spécialement violent ou dangereux, il est très importun.

- Un accident ou une bagarre. Rien de grave, plutôt quelque chose d'idiot. Deux rodeurs avec des couteaux, un chariot qui verse... mais il faut qu'il y a ait au moins un mort, un novice du nom de Xavier. Il laisse une femme, Catherine, et un enfant très jeune, Yves. La veuve est très choquée, d'autant plus que son fils a presque atteint l’âge où il faut songer à se séparer des enfants. C'est le genre de situation où l'on a bien besoin d'une présence amie. Catherine se laissera réconforter, paraitra reprendre le dessus... Nous verrons bientôt ce qu'il en a été.

Une surprise !

Et de taille ! Un matin, vers la mi-août, Pierre, un membre récent de la Caravane, réveille tout le monde à l'aube, très excité. Une seconde troupe est en train de s'installer sur un autre terrain, hors des murs. Et ils sont pour le moins étranges, eux aussi, la nouvelle est totalement inattendue (dans les jours précédents, des représentants de ces gens avaient pris contact avec le prévôt, et obtenu l'autorisation de séjourner là. Mais la nouvelle ne s'est guère ébruitée). Ses descriptions paraissent légèrement incohérentes, et en tout cas parfaitement incroyables. Des gens noirs / Aussi nombreux que nous ? Et dans des chariots presque identiques / Cela mériterait une visite, non? Le Veneur est absent, et l'Initié ne s'y oppose pas. Et c'est donc dévorés par la curiosité que les personnages partent à la découverte... des premiers Tsiganes arrivés en France ! Les questeurs sont loin d'être les seuls touristes, soit dit en passant. Le terrain de la Chapelle-St-Denis va recevoir énormément de visiteurs, dans les semaines qui viennent.




Les nouveaux venus sont effectivement un peu plus d'une centaine. Ils ont des chariots qui ressemblent beaucoup à ceux de la Caravane, tirés par des chevaux étiques et des bœufs à peine en meilleure forme. Mais la ressemblance ne va pas plus loin, les gens ont effectivement le teint sombre, les hommes portent des anneaux d'or ou d'argent aux oreilles. Quant aux femmes, beaucoup présentent des tatouages sur le visage, leurs vêtements sont simples, encore plus que ceux des personnages. Il n'y a pas trace d'animaux savants, à part les habituels chiens et chats. En revanche, ils jonglent, chantent et dansent fort bien. Une bonne partie ne parle pas un mot de français. Par contre, ils ont tous quelques notions d'allemand. Qui sait, il est possible qu'au cours d'une visite dans l'est, les gens de la Caravane aient appris de quoi soutenir une conversation simple ? L’ennui est que les nouveaux arrivés ne semblent pas très désireux de bavarder avec des gadjos. Du moins tant qu'ils ignorent que ces derniers sont aussi des gens du voyage... Il suffira de peu de chose pour les dégeler. Se joindre à un numéro, ou en commencer un de leur cru fera l'affaire. Cela dit, ils resteront méfiants et réservés. Une attitude qui doit rappeler quelque chose à nos saltimbanques, non ? Si ce ne sont pas les PJ qui prennent l'initiative de rompre la glace, ce sera Pierre.

Les jours qui suivent sont consacrés à une prise de contact incertaine, mais prometteuse..., jusqu'à un certain point, l'Initié a dû insister encore une fois: prudence ! Quant aux Tsiganes, ils se ferment complètement dès qu'il est question de leur vie passée, de leur religion, de leurs coutumes… Inutile de jouer en détail les trois semaines qui vont suivre, mais vous pouvez quand même vous attarder sur quelques scènes, quitte à les séparer par un « et quelques jours plus tard... ». Essayez au moins de placer tout ce qui suit.

- les conversations avec Feren, un jeune homme fasciné par la Caravane sont particulièrement instructives. Il cherche surtout à comprendre le monde des sédentaires, mais se sent en sympathie avec ces curieux gadjos qui courent les routes.

- De nouvelles visites à leur camp permettront de comprendre comment ils ont survécu jusqu'ici. Ce sont certes de bons artistes, mais l'essentiel de leurs revenus vient de la bonne aventure, les femmes semblent toutes savoir lire les lignes de la main... moyennant finances, s'entend. Quant aux époux et aux enfants, ils font d'excellents pickpockets. Ils n'y mettent pas de malice, d'ailleurs. Il faut bien vivre.

- Dans le même ordre d'idée, ils sont plus prompts à la violence que la plupart des gens. Après tout, ils vivent dans un monde très dur et qui ne veut pas d'eux. S'il y a des bagarres avec des péquenots ivres, cela risque de mal se terminer... pour tout le monde, eux compris. Les hommes du guet ne sont pas beaucoup plus fins que nos flics modernes, et ils ont déjà tendance à poser l'équation « gitans = coupables ». Et comme les malheureux ne comprennent pas en quoi le fait de tuer quelqu'un qui les avait insultés peut leur valoir autre chose que des félicitations, ils vont avoir besoin d'aide... Sans mettre la Caravane en péril, bien entendu.

- Mentionnez en passant que le chagrin de Catherine semble se tasser, les Tsiganes ont fait diversion.

- Ne vous gênez pas pour inventer une galerie de portraits hauts en couleurs. Vieille sorcière hargneuse, jeune fille méfiante et jalousement gardée par des frères au couteau facile, mais si belle !, ancêtres radotant près du feu, gamins consumés de curiosité... les clichés et les stéréotypes ont un avantage pour ce genre de personnes, ils les « posent » tout de suite. Donnez-vous quand même un peu de mal pour les animer, leur donner un peu de vie…

- II y a gros à parier que nos chers questeurs vont passer un temps infini à essayer de s'assurer qu'il n'y a pas de garous chez leurs voisins. Ils auront beau élaborer des ruses mirobolantes et se donner beaucoup de mal pour les mettre en pratique, ils n'auront pas de réponse nette. A priori non, bien sûr, mais qui sait ? Après tout, ils pourraient fort bien être tous sous forme humaine. Et ils n'ont rien qui ressemble à un Veneur, mais est-ce significatif ? (leur troupe est dirigée par un nommé Farrej, qui porte pour les sédentaires le titre de « comte d’Égypte »). Disons-le tout net: pour moi, la réponse est non, pas de garous chez les Tsiganes. Cela dit, faites ce que bon vous semble...

La poursuite

Elle dépend complètement des animaux de vos questeurs, les plus pratiques sont bien entendu les rapaces (et vivent les reconnaissances aériennes !) ou un chien (un convoi d'une centaine de personnes, cela laisse des traces assez faciles à pister, l'odeur ne sera pas dissipée en 24 heures). Les gros prédateurs, et particulièrement les loups, sont déconseillés: le coin est assez peuplé pour qu'ils se retrouvent assez vite du mauvais côté d'une fourche, les faubourgs sont rapidement traversés. Viennent ensuite les champs, ponctués çà et là de fermes ou de petits villages. De nuit, c'est charmant. De jour, les cicatrices de la guerre sont clairement visibles. La région qui s'étend à l'ouest de Paris a été prise et reprise, puis pillée et ravagée par à peu près tout le monde... Les Tsiganes sont assez faciles à suivre. Ils sont lents, et ne cherchent pas à se cacher. Leur caravane est paisiblement rangée à la lisière d'une petite forêt. Bien entendu, il y a des guetteurs. Il faudrait être fou pour ne pas en placer, par les temps qui courent.

Catherine est 1à, bien entendu. Elle partage un chariot avec trois autres filles célibataires, et Yves. De jour, elle participe aux corvées habituelles, et passe beaucoup de temps avec les anciens. Aux PJ de décider de l'approche. S'ils ont du culot et des vêtements (ce qui n'est pas dit s'ils viennent de faire les recherches sous forme animale), ils peuvent parfaitement sortir de l'ombre, s'installer près du feu et demander à lui parler. On les salue comme si leur présence était totalement normale, et on va la chercher. Sinon, ils peuvent lui envoyer un émissaire discret. Il n'aura aucun mal à la trouver. Le problème sera plutôt de l'approcher à un moment où elle sera seule.

L'explication

D'une façon ou d'une autre, les personnages arriveront à trouver un moyen de communiquer avec elle. Il est évident qu'elle n'a pas été enlevée. Ils pourraient légitimement tourner les talons et rentrer chez eux. Mais ils préféreront sans doute avoir une explication. Elle ne demande pas mieux. Selon la quantité de sottises qu'ils auront commises, le cadre et le ton pourront changer (des PJ encerclés par les hommes du clan, couteaux brandis, à une discussion au calme, au plus profond de la forêt).

« Je ne reviens pas avec vous. Je perds peut-être beaucoup de choses, mais je ne veux pas le savoir, je garde mon enfant. Dites ce que voulez de ces gens, mais ils ne m'obligent pas à le livrer aux fauves, eux ! Ils m'acceptent sans poser de questions. Il n'y a rien qui me retient chez vous. Xavier est mort, je suis seule avec Yves et je veux le voir grandir. Et puis, je me sens bien ici. Il n'y a pas de mystères, pas de questions sans réponses, pas de Veneur ! Je n'en veux plus, de ce vieux fou et de ses secrets ! Allez lui dire tout cela de ma part, et que je ne revoie plus jamais aucun d'entre vous ! Adieu ! »

Les PJ sont sans doute des Chevaliers relativement avancés dans leur initiation. Ils savent que forcément, d'ici un siècle ou deux au plus tard, sa route croisera à nouveau celle de la Caravane. Mais ils ne peuvent pas lui dire. Pas plus qu'ils ne peuvent lui dire que Xavier reviendra, tôt ou tard, S'ils essayent de procéder par allusions, cela la rendra encore plus furieuse, Il ne leur reste plus qu'à s'incliner et à rentrer à la Caravane. Si par hasard vous étiez tombé sur un groupe obtus qui déciderait de la ramener contre sa volonté, vous n'avez pas de chance ! Eux non plus. Ils vont être poursuivis par tous les Tsiganes. Et une fois de retour à la Caravane, Catherine répétera son petit discours au Veneur. Il la laissera partir, bien sûr. Il ne reprochera rien aux personnages. Mais il aura un de ces regards de pitié qui font plus mal qu'une engueulade de l'Initié...

Une possibilité cruelle



(Dont vous auriez tort de vous priver…). Tout cela aura beaucoup plus d'impact si Catherine n'est pas un simple PNJ créé pour l'occasion. Le scénario sera plus crédible et plus efficace si les joueurs vivent ce déchirement « en direct », si vous avez une joueuse qui vous paraît de taille à relever le défi, et qui accepte de rester à l'écart de la caravane pour un certain temps, confiez lui le rôle. Sinon, faites-en un PNJ, présentez là au groupe une ou deux aventures à l'avance, arrangez-vous pour qu'elle épouse un des personnages ou au moins un PNJ connu... et veillez, sans trop tricher, à ce que ce dernier soit « en voyage » pour ce premier épisode. Il rejoindra la Caravane dans l'intervalle, recommencera son initiation, retrouvera ses souvenirs et... nous verrons la suite plus tard,

Si vous vous y prenez bien, ce scénario gagnera beaucoup en profondeur et en émotion. Mais si vous sentez que la sauce ne prend pas, et que vos joueurs ne s'impliquent pas suffisamment, tant pis ! Ne les forcez pas à mimer des émotions qu'ils n'éprouvent pas. Il n'y a rien de plus désagréable

Fondu enchaîné

Vingt ans s'écoulent. Ne me regardez pas avec ces yeux exorbités ! La suite va venir, en temps et en heure. En attendant, la Caravane va avoir beaucoup d'autres préoccupations, et vos questeurs également. Franchement, vous n'allez pas laisser passer tout ce temps sans leur faire jouer quelques scénarios, non ? Surtout que nous sommes à l'une des périodes les plus intéressantes de l'Histoire de France. Rien qu'avec le cas Jeanne d'Arc, il y a de quoi travailler... Et puis, il y a bien d'autres personnalités intéressantes, sur lesquelles cela vaudra la peine de se pencher. Gilles de Rais est l'exemple le plus évident, mais la haute noblesse de l'époque présente quelques autres cas de caractères mémorables. le plus fascinant reste encore les campagnes, les petits châteaux, les bourgs... bref tout ce qui fait le quotidien de la Caravane. Le plus amusant à observer risque d'être le revirement qui fera du jour au lendemain du « soi-disant dauphin » le roi de France dans l'esprit de ses sujets.




Deuxième partie - Normandie, an 144(?)

Promiscuité



Les Anglais sont partis. Il ne leur reste plus qu'une petite Aquitaine, Calais et des pans de Normandie. Ils achèvent de perdre cette dernière province en 1449. Les pillards, bandits et autres routiers se tiennent à peu près tranquilles... En cette belle année 1448, le Veneur a décidé que la Caravane suivrait la route du Grand Pardon du mont St-Michel. Le Mont est resté fidèle au roi même aux pires moments de la guerre, et saint Michel est le protecteur du royaume. Bref, c'est le pèlerinage le plus couru de France, drainant des centaines de personnes d'un bout à l'autre du pays. Il y a de quoi faire les réserves indispensables pour passer l'hiver. La campagne est magnifique en ce début septembre, les villages sont prospères, les fermiers accueillants. Bref, cela va trop bien pour durer... et effectivement, au bout de quelques jours les tristes spectacles reprennent. Il y a à nouveau des pendus aux arbres, des maisons brûlées et des récoltes dévastées. D'après les survivants, un fort parti de routiers anglais erre, cherchant à faire le plus de mal possible. Les évaluations de leur nombre varient, mais ils sont au minimum une cinquantaine. Autrement dit, suffisamment nombreux pour menacer sérieusement la Caravane, Du coup, celle-ci s'arrête quelques jours à l'abri derrière les solides remparts de St-Gildas, un gros bourg où leur spectacle trouve un accueil sympathique.

Laissez planer la menace des pillards pendant quelques jours. De petits groupes de voyageurs détroussés arrivent de temps en temps, heureux d'avoir eu la vie sauve. Le Veneur semble résolu à continuer. Et justement, un groupe de pèlerins fort d'une soixantaine de personnes, accompagné d'un petit contingent d'hommes d'armes, arrive en ville. Le soir même, le Veneur demande l'avis de tous : (je connais les règles aussi bien que vous, Nous ne devons pas mettre la Caravane en danger en y mêlant des errants....Mais les circonstances sont particulières... et les règles sont faites pour être transgressées en Certaines occasions. Si nous les accompagnons, nous formerons un groupe assez important pour ne plus craindre d'agression extérieure. Mais nous nous mettons à la merci d'une imprudence de la part de l'un d'entre nous. Bien entendu, je compte sur vous pour que cela n'arrive pas, mais... je vous écoute ». Le débat sera houleux, et l'avis des PJ écouté avec intérêt. En définitive, c'est la solution dangereuse qui sera retenue. Les pèlerins sont d'accord. Ils partent le lendemain matin. Avec eux, la Caravane et les divers isolés qui remplissaient les auberges et qui n'attendaient qu'une telle occasion, la troupe compte près de deux cents personnes, dont bon nombre de combattants entraînés. Il faudrait être un routier singulièrement courageux pour s'attaquer à une telle colonne. Le trajet ne durera qu'une petite semaine, au grand soulagement de tous les questeurs. La plupart des nuits se passent à la belle étoile. Quant aux journées, elles sont occupées par la résolution des multiples problèmes logistiques que pose le déplacement d'une telle foule. II faut que tout le monde marche au même rythme, en suivant un itinéraire où les chariots puissent passer, que tout le monde ait à manger, etc. Tout se déroule à merveille. La plupart des pèlerins respectent le désir d'intimité des saltimbanques. Mais il reste toujours un petit groupe de personnes trop curieuses pour leur propre bien...

Les pèlerins

Voici quelques membres de la troupe. A vous de les présenter aux personnages, et de les animer.

- Guillaume le Gris, 30 ans, sergent commandant de l'escorte. Il a déjà quinze ans de guerre derrière lui. Il a alternativement travaillé pour l'un et l'autre camp. Dans les périodes creuses, il fait comme les autres: il pille ou joue au mercenaire, selon les occasions. Ses hommes l'adorent. C'est un excellent professionnel. Il est taciturne, mais désagréablement observateur. De plus, il s'est mis en tête d'armer les hommes de la Caravane et d'en faire des guerriers...

- Paul, 62 ans. Un vieil homme qui se tient encore très droit. Il reste muet sur son passé, mais à en juger d'après des réflexions qui lui échappent parfois, c'était un militaire. Certains disent même qu'il est sans doute noble. Quoi qu'il en soit, il fait le trajet en chemise et pieds nus. Sa présence a un avantage pour la Caravane: son ou ses crimes suscitent énormément de curiosité, et détourne l'attention générale de certains étranges animaux savants...

- Michel le Nerra, 43 ans. Un marchand de draps, originaire du Midi. Il est accompagné de sa femme Louise et de leur plus jeune fils, Charles (6 ans; une vraie peste.) C'est un brave homme, mais il a tendance à s'écouter parler. Il s'était promis il y a dix ans d'aller au Mont, il tient parole.

- Dame Violette, 32 ans. Une fort belle veuve qui va prier saint Michel de lui trouver rapidement un nouvel époux. Fidèle adepte du précepte du Aide toi, le Ciel t'aidera, elle regarde tous les hommes d'un œil intéressé. Comme de bien entendu, elle jettera son dévolu sur l'un de nos questeurs. Comment l'éloigner sans lui faire de peine ! Et si l'imprudent troubadour cède, comment lui faire comprendre qu'il ne saurait être question de mariage ?

- Frère Jérôme et frère Sébastien. Une paire de moines engoncés dans des frocs noirs. Physiquement, ils se ressemblent un peu : ils sont aussi ordinaires l'un que l'autre. Mais là où le premier est un individu paisible, heureux de voir chacun faire son salut comme bon lui semble, le second est un parfait fanatique. Pour frère Sébastien, on ne prie jamais assez souvent, ni assez longtemps. II s'indigne quand on n'assiste pas aux messes qu'il donne tous les matins avant le départ. Il fulmine contre les « tièdes » qui ne communient qu'une fois par an (le minimum fixé par l'Eglise). Quant aux confessions, elles ne sont jamais assez sincères, ni assez publiques. Frère Jérôme a beaucoup de mal à le calmer. Quant aux questeurs, frère Sébastien devrait les terroriser. Il n'est pourtant pas si dangereux que ça. Il est tellement occupé à lire sa Bible et composer mentalement de fort beaux sermons sur l'Enfer qu'il serait presque possible de se transformer sous son nez sans qu'il remarque quoi que ce soit. J’insiste : presque.

- Les autres pèlerins forment un groupe bigarré, allant du hobereau originaire d'une province reculée au demi fou qui parle quotidiennement à St-Michel, quand ce n'est pas à Jésus. Amusez-vous un peu... De plus, de loin en loin, des nouveaux viennent se joindre au groupe. A l'arrivée au Mont, le groupe a grossi d'une cinquantaine de personnes supplémentaires. Soit dit en passant, les personnages doivent guetter les bandits. Vous pouvez parfaitement sortir un faux pèlerin de votre manche. Il se contentera d'espionner, et disparaîtra tranquillement au bout de trois ou quatre jours. Que les questeurs le repèrent ou pas, son rapport sera le même: ils sont trop nombreux pour qu'une attaque soit possible.

Le Mont




L'Île rocheuse, au milieu de la baie, est déjà un spectacle magnifique. Mais l'immense abbaye accrochée au sommet en fait l'un des plus beaux monuments du monde. A partir du moment où ils le verront dans le lointain, il faudra près d'une demi-journée aux pèlerins pour arriver au bord de la mer. La côte, presque déserte d'habitude, est couverte d'une véritable forêt de tentes. La Merveille, l'immense hôtellerie de l'abbaye, n'a pas suffi pour accueillir tout le monde. La Caravane quitte avec soulagement ses encombrants compagnons, et se trouve un emplacement abrité, au milieu des dunes. Le Veneur part vaquer à ses mystérieuses affaires. Il ne reviendra pas avant la fin du scénario.

L'Initié s'arrange pour organiser plusieurs représentations. Les pèlerins ont beau être en quête d'absolu, cela ne les empêche pas d'apprécier les tours des saltimbanques. Un personnage attentif pourrait repérer un jeune homme barbu, qui est au premier rang à toutes les représentations. Réflexion faite, il était déjà parmi les pèlerins, et il faisait partie des curieux qui tournaient autour de la Caravane. D'ailleurs, il continue. Son petit manège se prolongera plusieurs jours, de moins en moins discrètement, jusqu'à ce que les PJ y mettent un terme. Il se laisse arrêter sans résistance. Il répond aux questions très simplement. II prétend s'intéresser aux animaux depuis qu'il est tout petit, et vouloir apprendre les tours de dressage. La plupart des personnages ont un baratin tout prêt pour ce genre de problèmes, depuis le temps, mais il reste toujours quelques distraits qu'il est possible de prendre au dépourvu... Il paraîtra gober ce qu'on lui raconte, et disparaîtra pour un jour ou deux.

Il est possible de profiter du répit pour achever le pèlerinage. Des nuées de barques font la navette entre le Mont et le camp des pèlerins. Il est malheureusement impossible de le décrire en détail : un volume n'y suffirait pas. Si vous avez envie de faire faire un peu de tourisme à vos joueurs, documentez-vous vous même. Le barbu fera sans doute une ou deux apparitions, de loin. Il a l'air de surveiller les personnages, mais la foule est assez dense pour lui permettre de s'esquiver à chaque fois qu'ils veulent s'approcher de lui.

Il reviendra à la Caravane assez vite. Cette fois, il cherche à aborder un des personnages seul à seul, avec des mines de conspirateur. Il a l'air tendu, nerveux, l'allure de quelqu'un qui va brûler ses vaisseaux. « Je vous ai menti la dernière fois, dit-il. J'aime les animaux, bien sûr. Mais ce sont les rêves. Je rêve que j'en suis un. Un loup. Je cours dans la forêt, je chasse... le ne me souviens pas bien, mais je sais que votre caravane a quelque chose à voir avec eux... Et vos visages me disent quelque chose... »

Garou latent ou imposteur ? Voilà un problème délicat pour vos joueurs. Le Veneur est le seul qui pourrait trancher d'un coup d'œil, et il est absent. Quant à notre énigmatique barbu, il s'agit bien entendu du petit Yves. Il a eu le temps de grandir. De grandir chez les Tsiganes, auprès d'une mère qui a rejeté la Caravane... mais qui ne vieillit toujours pas, et qui parait maintenant plus jeune que lui. Il lui reste quelques souvenirs confus, ajoutés à quelques bribes d'information que sa mère a laissé échapper de temps en temps. Et puis, il l'a suivie, une nuit. Et il l'a vu se transformer. Il ne lui en a rien dit. Il est assez intelligent pour avoir compris bien des choses... et il est en train de tenter de s'infiltrer.

Nouvelle option cruelle

Xavier, son père, pourrait bien être tout juste revenu d'un voyage. En pratique, cela signifie que vous aurez à truquer les dés, mais quelle importance ? Par contre, pour une raison de cohérence évidente, veillez à ce que Xavier n'ai pas plus de dix-huit ou dix-neuf ans. Sinon, vous l’amèneriez à renaître... avant sa mort. Son fils et lui se ressemblent. Orchestrez une ou deux confusions (de nuit, les PJ prennent Xavier pour le mystérieux rôdeur barbu) et laissez l'idée faire son chemin dans la tête de vos questeurs, Yves s'attend plus ou moins à retrouver un père de son âge. Il sera sans doute beaucoup, beaucoup moins surpris que Xavier. Si ce dernier est un PJ ne vous gênez surtout pas pour mettre la rencontre en scène. Cela se passera mal. Yves est agressif, résolu à savoir - pourquoi sa mère l’a-t-elle quitté ! Ou pourquoi les a-t-il abandonnés ! Pourquoi ne vieillissent-ils pas ? Etc. Réponses que Xavier ne peut lui donner, sous peine de trahir ses amis... Si vous vous débrouillez bien, vous n'aurez pas besoin de grand-chose pour que cela se termine par des cris, voire des coups...

Sus à l'errant

La seule et très hypothétique possibilité qu'ont les questeurs de s'assurer de la véracité de son histoire passe par la Chimère et le Royaume du Rêve. Il devrait être possible, par exemple, de lui faire rêver les scènes qu'il a décrit - une vie de loup. Et visiblement, il ne réagit pas comme un loup. Mais vous devrez créer cet épisode sur mesure, avec vos joueurs et en fonction d'eux. Que ce soit à cause de cela ou d'une explication violente avec Xavier, Yves partira un matin. Selon toute probabilité, il proférera un certain nombre de menaces à haute et intelligible voix, qui démontrent clairement qu'il en sait beaucoup trop. Après quoi, il s'éloigne... Si des personnages nerveux essayent de l'attraper, arrangez-vous pour qu'il leur échappe (un petit groupe de passants innocents vient faire écran, il arrive au village de tentes ...). C'est une catastrophe de première grandeur : un errant qui sait, en liberté et a priori plein de mauvaises intentions ! Les PI peuvent décider d'agir d'eux-mêmes, S'ils sont un peu amorphes, l'Initié leur demandera de le retrouver et de le convaincre de garder le secret. A eux de jouer ! Xavier sera là, bien sûr,

Contrairement à celle d'il y vingt ans, cette poursuite-là sera un vrai calvaire. Yves s'attend à être traqué par des créatures dotées d'un excellent flair: aussi prend il grand soin de longer la grève, avec : les pieds dans l'eau la plupart du temps. S'il a le temps, il se rasera la barbe (ce qui le fait ressembler encore davantage à Xavier). Il essaye de rester au milieu de groupes, pèlerins sur le départ d'abord, villageois et pêcheurs ensuite. A condition de faire vite, de se donner du mal et d'être ingénieux, il sera toutefois possible de ne pas le perdre. Des PJ intelligents se renseigneront sur l'éventuel passage dans la région d'une caravane de gitans... qui sont justement passés voici peu. C'est le premier obfectif d'Yves. Il l'atteindra très vite. Ils sont à moins d'une journée de marche du Mont. Veillez à ce qu'il ait une certaine avance...

La traque

Tôt ou tard, la poursuite mène les questeurs au camp des Tsiganes, les chariots n'ont pas changé, contrairement à leurs occupants. Des gens que les personnages ont connus petits sont maintenant dans la force de l'âge. Des adultes d'il y a vingt ans, il en reste bien peu : une poignée d'anciens ravagés par la vieillesse. Ils sont totalement fermés et hostiles. Pas parce que les PJ n'ont pas vieilli, mais parce qu'ils sont à la poursuite de deux membres de la tribu. Ceci dit, la loi du silence n'est jamais totalement appliquée. Sur la centaine d'adultes que compte de groupe, il y en aura bien un ou deux qui se souviendront avec émotion de celui ou celle qui l'a fait sauter sur ses genoux, il y a bien longtemps. Il faudra plusieurs jours pour renouer des liens d'amitié avec ceux-là, mais cela reste faisable. Il ne leur restera plus qu'à faire comprendre qu'ils ne veulent aucun mal à Yves pour obtenir un ou deux renseignements.

- Il est venu et reparti presque aussitôt

- Sa mère l'accompagne. Oui, elle est toujours des nôtres, et elle n'a pas vieilli non plus. Ce doit être une puissante sorcière. C'est une très brave femme, et nous la respectons.

- Ils ne savent pas où ils sont allés, Ils ont fait leurs adieux comme s'ils partaient pour toujours... D'ailleurs, leur roulotte est presque vide,

A partir de là, la chasse se complique encore. D'autant que les PI demanderont sans doute aux gens s'ils ont vu passer un couple... Alors que Catherine a décidé de voyager sous sa forme animale, précisément dans l'espoir de dérouter les poursuivants. Et si beaucoup de gens ont vu un fauconnier qui partait vendre son oiseau au seigneur de la ville voisine, ils ne penseront certainement pas à le dire aux questeurs, à moins qu'ils ne posent des questions sur un homme et un animal (et vingt ans après, qui se souvient encore de la forme de Catherine ?), Cela dit, Yves est maintenant trop angoissé pour se soucier de dissimuler ses traces, et nos héros gagnent régulièrement sur eux. Au bout d'un ou deux jours infiniment désagréables, les personnages arriveront dans un petit port fortifié, directement sur les talons de leur proie. Les patrons de barque sont justement en train de parler du fauconnier qui est monté sur la barque du Gros Jacques. Ce dernier est un pêcheur qui vient de temps en temps ici vendre son poisson (il fait aussi un peu de contre bande). Comme le dit très flegmatiquement le vieux pêcheur qui répare ses filets sur le quai; « Ben, on lui a dit que c'était pas une bonne idée de partir avec Jacques, à vot'copain, mais il a rien voulu savoir. Ya une tempête qui se prépare, et Jacques est jamais qu'un cochon de goddam qu'est même pas foutu d'arrimer correctement ses voiles. Mais bon, l'avait l'air pressé de mourir. Oh, y sont pas loin. V'voyez le petit point, là-bas au fond ? Ça doit être eux. »

En mer

Plusieurs options sont possibles, la plus rationnelle est de trouver un autre marin disposé à tenter le coup. Ils sont tous d'accord sur un point : même avec cette avance, ils peuvent rattraper Jacques avant la nuit. En revanche, certains pensent que la tempête ne va pas tarder, alors que d'autres soutiennent qu'elle n'éclatera que le lendemain. Il est également possible pour un oiseau de se lancer tout seul à la poursuite de Jacques el de ses passagers. Cette solution présente deux inconvénients de taille; Cela divise le groupe et l'oiseau est limité à un rôle d'observation, Ah, et puis: aucun des volants de Hurlements n'est un oiseau de mer. Ils vont se sentir nerveux, à l'idée qu'il n'y a aucun perchoir en bas... Enfin, reste le cas d'un Chevalier de l'Eau qui se transférerait dans un poisson. Les problèmes sont les mêmes que dans l'hypothèse précédente. Oh, j'oubliais: il est également possible qu'ils se disent, « après tout, la tempête réglera ça à notre place. Bon débarras. » C'est déplaisant, et assez insatisfaisant du point de vue dramatique. Dans ce cas, Xavier saute dans la barque la plus proche et commence à ramer... La course entre les bateaux devient vite une lutte désespérée contre la tempête qui, bien entendu, a eu le mauvais esprit de se conformer aux prévisions les plus pessimistes. Ce n'est jamais qu'un gros orage avec un peu de vent. A terre, ce ne serait rien du tout. Mais ici, cela prend vite des allures de cataclysme. Profitez de l'occasion pour confronter les personnages à un milieu qui ne leur est pas familier. Faites-leur très peur pendant quelques minutes en décrivant méticuleusement les creux de plusieurs mètres, les masses d'eau énormes qui s'écrasent dans un bruit de tonnerre, leur coque de noix qui manque de chavirer à chaque seconde, leur pilote blême de peur... Les deux embarcations finissent par se rejoindre. Le faucon tourne autour du mât, en poussant des cris qui paraissent curieusement désespérés. C'est alors qu'ils entendent le bruit du ressac. Ce qui veut dire la terre... et des récifs.




A vous de mettre en scène le naufrage de façon spectaculaire, avec si possible peu de jets de dés, et quelques bonnes occasions de se conduire en héros (ou simplement de sauver sa peau, ce qui n'est déjà pas si mal). Yves passe par-dessus bord. Catherine reprend forme humaine et plonge pour l'empêcher de couler. Le pilote des PJ s'assomme contre un rocher. Il faudra le soutenir jusqu'à la grève. Et ainsi de suite. Après quelques minutes confuses et terrifiantes passées à lutter contre l'océan, tout le monde arrive sur la plage. Il y a beaucoup de contusions, probablement un ou deux bobos plus graves, mais rien de dramatique (à moins, bien entendu que vous n'ayez d'autres idées, ou qu'ils aient été vraiment très mauvais).

L'explication finale

Quel meilleur endroit pour une conversation de ce genre qu'une plage balayée par le vent, la pluie et les vagues ? En plus, tout le monde est sur les nerfs... Une partie de vos joueurs espérera sans doute vaguement que le Veneur arrive, révèle Yves et ramène tout le monde dans un endroit chaud et sec. Ben non. Pas cette fois. Yves est et restera un errant. Et pour le moment, il n'a rien perdu de son potentiel de nuisance. Il parlera assez peu, d'ailleurs. Le grand, l'immense premier choc sera, comme de juste, les retrouvailles entre Xavier et Catherine. Si Xavier est un PJ et que le joueur qui l'incarne arrive à trouver quelque chose d'intelligent à dire, félicitez-le de ma part. Sinon, il restera presque muet. Quant à Catherine, elle passera par la joie (« il est vivant »), la stupeur (« mais je l'ai vu mort ! ») et la colère (« ce doit encore être un tour de l'autre vieux sorcier ! »). À partir de là, tout repose sur les talents d'acteurs de vos joueurs. A eux d'essayer de lui expliquer la situation après tout, elle est des leurs, même si elle a quillé la Caravane il y a vingt ans -, sans trop lui en dire: elle a toute son initiation devant elle. Bref, la quadrature du cercle. Une fois qu'elle sera un peu calmée, il faudra envisager rationnellement l'avenir de la famille. Même en supposant que Xavier et Catherine veuillent rentrer à la Caravane, il reste Yves. II va avoir besoin de temps pour retrouver un peu d'équilibre, accepter que la Caravane lui soit définitivement fermée et commencer à vivre sa propre vie. Il faudra l'y aider (et surtout, lui faire jurer le secret sur tout ce qu'il sait). Quant aux esprits brillants qui décideraient de leur propre chef de le ramener à la Caravane, arguant « qu'avec tout ce qu'il sait, il vaut mieux que nous l'ayons sous la main », ils ont tout faux. Yves n'est pas stable. Qu'est- ce qu'il deviendrait s'il devenait le seul mortel ordinaire d'une caravane de quasi-immortels, vieillissant et vieillissant jusqu'au jour où il semblera être le père de ses parents ? Ce que les personnages peuvent espérer de mieux, c'est un Yves stabilisé, fixé quelque part et prêt à aider la Caravane quand par hasard elle passera dans la région. Ce serait déjà un beau résultat. Une fois les passions humaines et les éléments apaisés, il faudra encore retrouver le village et rentrer à la Caravane.

Le Veneur est de retour, lui aussi, et tout le monde repart le lendemain vers d'autres voyages...


Texte : Tristan Lhomme & Illustration : Florence Magnin


Inspirations

Sans vous noyer dans une documentation indigeste, voici quelques ouvrages que je vous conseille chaudement si vous voulez préparer un peu ce scénario.

Sans vous noyer dans une documentation indigeste, voici quelques ouvrages que je vous conseille chaudement si vous voulez préparer un peu ce scénario.

Quand il s'agit, comme cette fois, d'une histoire datée avec précision, et qui laisse une large place à l’ambiance et au « tourisme », mieux vaut avoir un certain nombre de données et de descriptions toute prêtes. Prenez votre temps, ne plongez pas les joueurs immédiatement dans l'action, laissez leur le temps de découvrir leur environnement. Ceci dit, vous connaissez vos joueurs mieux que moi. Si vous pensez que cela risque de les ennuyer de passer trois semaines à Paris au début du XVe' siècle, condensez-les en trois phrases et tant pis pour eux ! Même chose pour l'épisode du mont St-Michel. Qu'ils visitent, qu'ils prient s'ils en ont envie, qu'ils se laissent surprendre par la marée ... bref, qu'ils se donnent un peu de mal pour exister hors du scénario !

Lieu et action principaux

Journal d'un bourgeois de Paris, Livre de Poche, collection lettres gothiques. Le plat de résistance de ce bonus. Ecrit par un citoyen anonyme, ce gros volume couvre les années 1405 à 1449, vues par les yeux d'un lettré, sans doute clerc et membre de l'Université. Ses analyses sur l'Histoire qui se déroule sous ses yeux sont complètement fausses (il est vrai qu'il est Bourguignon, et donc pro-anglais), mais il a collecté une quantité de faits gigantesques, dont beaucoup présentent un intérêt pour les maîtres de jeu amateurs de données précises. Par exemple, ses lamentations sur la cherté de la vie sont parfois un peu fastidieuses, mais comme il donne à l'appui de ses dires le prix des principales denrées, on lui pardonne. Il s'intéresse aussi aux exécutions, à la marche des opérations militaires, à la vie de la famille royale, et bien entendu à tout ce qui peut se produire d'inhabituel: épidémies, inondations, scandales, affaires criminelles... C'est une mine de scénarios. Par exemple, l'épisode des Tsiganes est tiré des entrées 466-469 du journal, sans que j’ai eu à ajouter grand-chose. Si vous avez envie de respecter l'histoire dans le détail, sachez qu'ils sont arrivés à Paris le 17 août 1427, et qu'ils en sont repartis le 8 septembre. De même, j'ai appris par lui l'existence du pèlerinage au mont St-Michel et le fait qu'il ait attiré énormément de monde dans les années 1440 (la saint Michel se célèbre, deux fois l'an: les 8 mai et 29 septembre). Et il y à près de 900 autres paragraphes, qui n'attendent que vous... la langue n'a pas trop vieilli, le texte reste lisible par tout le monde, à condition de se reporter de temps en temps aux notes. Ajoutez à cela un dossier historique bien fait, avec chronologie, cartes, plans, liste des personnages principaux et du vocabulaire, et vous avez de quoi patienter en attendant un éventuel Hurlelune consacré au XVe siècle…

Plan de Paris à la fin du XIVe siècle, presses du CNRS, disponible dans les FNAC et certaines librairies. Une grande carte en couleur, qui fera le bonheur de ceux qui n'arrivent pas à jouer sans avoir une représentation du terrain sous les yeux. Elle ne doit plus être totalement juste pour le scénario, qui se déroule une trentaine d'années après, mais la passion de l'historicité a ses limites, la fonction des principaux bâtiments est indiquée, ce qui réserve parfois quelques surprises (saviez-vous que la forteresse du Temple était le siège du Grand Prieuré des hospitaliers, à cette époque ?) Sans être indispensable (d'autant qu'elle est assez chère !), elle peut être très utile.

Le mont St-Michel, Découvertes Gallimard. Si vous avez envie de détailler un peu l'épisode du Mont et de le présenter de manière plus complète à vos questeurs (et que diriez-vous d'une petite course poursuite dans les rues du village entre le barbu el les personnages !), vous devriez acheter ce petit livre, l'iconographie est particulièrement abondante, ce qui est toujours utile comme support aux descriptions, d'autant qu'il présence certains coins mal connus de l’île. Sinon, n'importe quel guide touristique de Normandie lui consacre au moins un chapitre. Et pour vous procurer des idées scénarios intermédiaires entre les deux épisodes:

En BD, la série Jhen de Jacques Martin, est tout à fait recommandée.

Bien sûr, l'histoire évolue autour du personnage de Gilles de Rais à la fin de sa vie, ce qui n'est pas tout à fait dans la fourchette 1420 - 1440, mais les reconstitutions de décors, de costumes et des mentalités sont de qualité, De quoi fixer les idées aux joueurs qui voudraient savoir à quoi ressemble l'intérieur de telle auberge, ou quelle tête a tel PNJ ...

Enfin, bien que ce soit un peu dense, La guerre de Cent Ans, de Jean Favier, chez Marabout ou Fayard. Je ne vais pas m'attarder dessus, j'en ai déjà parié il n'y a pas bien longtemps dans les Inspi Universalis de Casus Belli. Disons juste qu'il y a de quoi se faire une culture sur le sujet, et sans doute concocter pas mal de scénarios...

Musique d'ambiance. Si vous tenez à sonoriser, Malicorne et Tri Yann feront l'affaire.