Casus Belli N° 51

Lon Chaney n’avait rien vu !

Quelque part en France, en plein Moyen Âge. Une caravane de saltimbanques amnésiques erre de ville en ville, menée par un individu étrange qui se fait appeler le Veneur. Pour gagner leur vie, les voyageurs organisent des spectacles de cirque. La plupart des numéros présentent des animaux dressés, qui accomplissent des tours époustouflants, jamais vus... Mais, au fait, comment se fait-il qu’en dehors des spectacles, on ne voit jamais les animaux ? C’est tout simple les forains et les animaux ne font qu’un. Et les joueurs avec. Ils vont devoir se mettre dans la « peau » d’un garou et errer sur les routes de France et de Navarre avec leur nom pour seul souvenir et la caravane pour seul horizon... Ah pardon, j’oubliais: au programme se profilent également des hordes de paysans primitifs armés de torches et d’épieux, au cas où par malheur ils trahiraient l’existence de leur « double vie ». Parce qu’être garou, aux environs de l’an mil, ce n’est vraiment pas la joie! C’est bien pour cela que le Veneur a recueilli tout son petit monde, d’ailleurs (vraiment?) leurs chances de survie sont plus grandes en groupe, et sous une couverture anodine.
Si je devais vous suggérer quelques « inspi » pour vous permettre de mieux cerner l’ambiance du jeu, ce serait

Un soupçon de technique...

Hurlements se situe nettement dans la lignée des jeux qui s’attachent à gommer les règles au profit de l’atmosphère. La création du personnage est un bon exemple de cette démarche. Le joueur aura en tout et pour tout à tirer deux dés : 1d4 pour définir son origine sociale (même s’il est amnésique au début du jeu, le meneur de jeu peut avoir envie, de temps en temps, de lui offrir un « flash-back » et ld12 pour déterminer sa « nature » animale (à propos de cette dernière, la liste couvre à peu près tout ce que les joueurs peuvent désirer... et même plus : qui avait jusqu’à présent imaginé jouer un rat-garou ?).
A partir de ces deux éléments, le meneur de jeu va devoir décrire au joueur sa première rencontre avec le Veneur. C’est un moment important, et pour éviter qu’il soit bâclé, les auteurs ont consacré six pages à nous fournir des exemples de prise de contact.
Tous les aspects « techniques » de la création du personnage sont également entre les mains du meneur de jeu. Ce n’est pas un très gros travail : il n’y a que trois caractéristiques (Réflexes, Physique, Mental), notées sur cent. Leur score se calcule en additionnant la note « humain standard » et celle de la forme animale du personnage-joueur.
Le système de résolution est simple. Chaque fois que le joueur tente une action, le meneur de jeu lui indique la caractéristique concernée, plus un éventuel bonus. Le joueur jette ld100. S’il fait moins que le montant indiqué, il réussit. Pour aider le meneur de jeu à décider quelle caractéristique est utile pour réaliser telle action, il existe une liste d’aptitudes très complète, avec en regard la caractéristique concernée... Il est conseillé de ne pas la donner aux joueurs - rien ne doit les distraire de leur rôle. Après une ou deux parties, ce système obligera le meneur de jeu à un peu de paperasserie : le système d’expérience prévoit en effet que chaque aptitude progresse séparément des autres, et il faudra qu’il en garde une trace.

Quelques bastons...

Le système de combat réussit à être simple et efficace, tout en étant très détaillé. Il tourne sur des principes éprouvés (déclaration d’intention par ordre de Réflexes croissants, puis résolution dans l’ordre inverse, les plus adroits frappant les premiers), mais prend en compte des éléments comme le moral des combattants, la fatigue (à chaque round, un petit malus sup-plémentaire aux compétences de combat), la localisation des coups, etc. A propos de la localisation, on peut remarquer que la bonne vieille « silhouette » qui sert à savoir à quel endroit se situeront vos prochaines cicatrices glorieuses, est plus détaillée que d’habitude (« Et pan ! Dans l’œil ! »).
Il y a trois compétences de combat (armes de poing, de jet et mains nues). Il est un peu dommage d’avoir confondu les deux premières en une seule catégorie sur la table de résolution des combats. Cette dernière est toute simple: la personne qui porte le coup lance ld100. Selon le résultat, son adversaire subira divers dommages, allant d’un simple bleu à la fin tragique et prématurée.
C’est très bien d’avoir supprimé le calcul des points de vie, mais on aurait aimé avoir quelques explications sur, par exemple, la différence entre une blessure « sérieuse» et une blessure « grave ». Bon, ce n’est pas dramatique. Un autre os fera par contre sauter au plafond les joueurs un peu « simulationnistes»: les animaux sont toujours considérés comme armés. Autrement dit, les petites dents pointues du rat-garou et la grosse papatte pleine de griffes de l’ours-garou font virtuellement les mêmes dommages...
Mais je suis bien tranquille : n’importe quel meneur de jeu ayant un minimum d’habitude se fera sa règle sur ces deux points

… et énormément de mystère

Le jeu mérite largement son sous-titre de « jeu de l’initié ». C’est bien pour cela que les joueurs n’ont pas le droit de fourrer leur nez dans les livrets de règles : ils doivent faire leur initiation sur le terrain. Car... la métamorphose n’est que le premier des mystères de Hurlements. Ceux qui craindraient de se sentir un peu à l’étroit dans le cadre imposé de la caravane peuvent être rassurés : ils auront l’occasion d’accomplir d’autres... voyages (ça, c’est a private joke pour initiés). J’aimerais bien vous en dire un peu plus, mais ça reviendrait à galvauder en quelques phrases une révélation que les auteurs mettent deux livrets à vous distiller. Ce serait aussi déplaisant que de vous recommander un polar en disant : « Et on ne devine pas avant la fin que c’est Mr Dupont l’assassin ». Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a beaucoup de choses « au-delà » du quotidien de la caravane.
Simplement deux remarques en passant : Tous ces nouveaux éléments sont quand même à manier avec précautions, notamment si on joue avec des débutants, sous peine de les dérouter complètement.

My garou is rich, my history is poor

Traduit en bon français, cela donne les renseignements « zoologiques » sur les animaux que les joueurs sont susceptibles de devenir sont très intelligemment faits, détaillés et joliment illustrés. Par contre, les renseignements sur le contexte historique sont succincts, Une petite douzaine de pages pour couvrir.., cinq cents ans, de l’an mil à la fin de la Guerre de Cent Ans. Je me console en me disant que somme toute, les livres sur le Moyen Age ne sont pas si difficiles à trouver. De plus, les auteurs promettent des suppléments qui décortiqueront la vie quotidienne et les événements intéressants, siècle par siècle, avec en plus de nouveaux scénarios.
Et puis, à plus long terme... Hurlements se déroule théoriquement n’importe quand entre 1000 et 1900. Alors, vivement les Hurlelune consacrés aux grandes chasses aux sorcières du XV1e siècle, ou à la Bête du Gévaudan, pour ne citer que deux exemples au hasard.

Ramage et plumage

C’est toujours agréable de lire des règles claires et bien écrites. Quand, en plus, les auteurs se permettent des ajouts « littéraires » très réussis (la nouvelle d’introduction et le scénario n° 2), on applaudit. A la lecture, on profite constamment d’un brillant « jeu de bascule » entre réalité et fiction (Chut ! me soufflent les Voix Dans La Coulisse), et on a envie de tirer son chapeau.
Qui mieux est, ce texte excellent est très bien présenté, avec une maquette claire, ni bugs ni coquilles (2) (juste une question toutefois qu’est-ce que le chapitre « Royaumes » fait dans le deuxième livret ? Il semble plus à sa place dans le premier !). Quant aux illustrations, elles sont à la fois jolies et évocatrices (avec notamment, oh la bonne idée !, le portrait de la plupart des personnages non-joueurs des scénarios). Mon seul regret concerne l’écran : il fait un peu austère en « noir et or ». (Tiens, au fait, je m’interroge : avant Hurlements, Laborinthus était déjà dans ces couleurs. L’imprimeur n’aurait-il que ces deux-là sur sa palette ?)

En guise de conclusion...

Tout le monde sera d’accord sur un point : Hurlements est un jeu au thème très original. Par contre, il y a de fortes chances que le système de règles ne plaise pas à tous, certains le trouveront génialement simple, d’autres protesteront qu’il présente des lacunes graves. Personnellement, je l’aime bien, même si je me dois faire un ou deux ajouts quand je maîtrise une partie...
L’autre aspect qui risque de poser problème sera l’exploitation de « l’initiation » des personnages. Beaucoup de meneurs de jeu risquent de se trouver embarrassés quand il faudra faire franchir certaines étapes aux personnages (et d’autres estimeront que c’est un challenge passionnant). Il serait souhaitable d’avoir rapidement des suppléments qui expliqueraient comment s’y prendre. Avec ça, des scénarios et quelques précisions de règles, Hurlements aura tout ce qu’il faut pour être un succès. D’ici là, achetez-le, ça en vaut la peine.

INVENTORIUM

Jeu de rôle français publié par les Editions Dragon Radieux.
Auteurs : Valérie et Jean-Luc Bizien.
Illustrateurs : Benoît Dufour, Didier Le Cler.
Présentation : boite/livret en carton fort de 32 x 21 x 3 cm.
Contenu : C’est une bonne idée de l’avoir mis dans la boîte... en revanche, les dés manquent (d4, d10, d12, d20, mais ça devient une habitude...).
Prix :189 F.

Tristan Lhomme - Illustration : Ben

  1. Voir la rubrique Têtes d’affiche de ce numéro.
  2. NDLR : Même s’il y a une ou deux coquilles, c’est quand même approximativement quatre cent cinquante-trois fois moins que dans d’autres jeux.