Lon Chaney n’avait rien vu !
Quelque part en France, en plein Moyen Âge. Une caravane de
saltimbanques amnésiques erre de ville en ville, menée par un individu
étrange qui se fait appeler le Veneur. Pour gagner leur vie, les
voyageurs organisent des spectacles de cirque. La plupart des numéros
présentent des animaux dressés, qui accomplissent des tours
époustouflants, jamais vus... Mais, au fait, comment se fait-il qu’en
dehors des spectacles, on ne voit jamais les animaux ? C’est tout
simple les forains et les animaux ne font qu’un. Et les joueurs avec.
Ils vont devoir se mettre dans la « peau » d’un garou et errer sur les
routes de France et de Navarre avec leur nom pour seul souvenir et la
caravane pour seul horizon... Ah pardon, j’oubliais: au programme se
profilent également des hordes de paysans primitifs armés de torches et
d’épieux, au cas où par malheur ils trahiraient l’existence de leur «
double vie ». Parce qu’être garou, aux environs de l’an mil, ce n’est
vraiment pas la joie! C’est bien pour cela que le Veneur a recueilli
tout son petit monde, d’ailleurs (vraiment?) leurs chances de survie
sont plus grandes en groupe, et sous une couverture anodine.
Si je devais vous suggérer quelques « inspi » pour vous permettre de
mieux cerner l’ambiance du jeu, ce serait
- Trois Saigneurs de la Nuit anthologies de Jacques Finné
parues chez NéO. Chacun des trois volumes contient une ou deux très
bonnes histoires lycanthropiques.
- Toute l’œuvre de Claude
Seignolle pour l’aspect « folklore ». En dehors des Histoires
Maléfiques édité chez NéO, le reste était autrefois disponible chez
Marabout et risque donc d’être un peu difficile à trouver.
- Le cirque du Dr Lao (J’ai Lu n° 948), pour la « caravane ».
- Et deux films : Hurlements (tiens, justement...) et Le loup-garou
de Londres.
Un soupçon de technique...
Hurlements se situe nettement dans la lignée des jeux qui s’attachent à
gommer les règles au profit de l’atmosphère. La création du personnage
est un bon exemple de cette démarche. Le joueur aura en tout et pour
tout à tirer deux dés : 1d4 pour définir son origine sociale (même s’il
est amnésique au début du jeu, le meneur de jeu peut avoir envie, de
temps en temps, de lui offrir un « flash-back » et ld12 pour déterminer
sa « nature » animale (à propos de cette dernière, la liste couvre à
peu près tout ce que les joueurs peuvent désirer... et même plus : qui
avait jusqu’à présent imaginé jouer un rat-garou ?).
A partir de ces deux éléments, le meneur de jeu va devoir décrire
au joueur sa première rencontre avec le Veneur. C’est un moment
important, et pour éviter qu’il soit bâclé, les auteurs ont consacré
six pages à nous fournir des exemples de prise de contact.
Tous les aspects « techniques » de la création du personnage sont
également entre les mains du meneur de jeu. Ce n’est pas un très gros
travail : il n’y a que trois caractéristiques (Réflexes, Physique,
Mental), notées sur cent. Leur score se calcule en additionnant la note
« humain standard » et celle de la forme animale du personnage-joueur.
Le système de résolution est simple. Chaque fois que le joueur
tente une action, le meneur de jeu lui indique la caractéristique
concernée, plus un éventuel bonus. Le joueur jette ld100. S’il fait
moins que le montant indiqué, il réussit. Pour aider le meneur de jeu à
décider quelle caractéristique est utile pour réaliser telle action, il
existe une liste d’aptitudes très complète, avec en regard la
caractéristique concernée... Il est conseillé de ne pas la donner aux
joueurs - rien ne doit les distraire de leur rôle. Après une ou deux
parties, ce système obligera le meneur de jeu à un peu de paperasserie
: le système d’expérience prévoit en effet que chaque aptitude
progresse séparément des autres, et il faudra qu’il en garde une trace.
Quelques bastons...
Le système de combat réussit à être simple
et efficace, tout en étant très détaillé. Il tourne sur des principes
éprouvés (déclaration d’intention par ordre de Réflexes croissants,
puis résolution dans l’ordre inverse, les plus adroits frappant les
premiers), mais prend en compte des éléments comme le moral des
combattants, la fatigue (à chaque round, un petit malus sup-plémentaire
aux compétences de combat), la localisation des coups, etc. A propos de
la localisation, on peut remarquer que la bonne vieille « silhouette »
qui sert à savoir à quel endroit se situeront vos prochaines cicatrices
glorieuses, est plus détaillée que d’habitude (« Et pan ! Dans l’œil !
»).
Il y a trois compétences de combat (armes de poing, de jet et
mains nues). Il est un peu dommage d’avoir confondu les deux premières
en une seule catégorie sur la table de résolution des combats. Cette
dernière est toute simple: la personne qui porte le coup lance ld100.
Selon le résultat, son adversaire subira divers dommages, allant d’un
simple bleu à la fin tragique et prématurée.
C’est très bien d’avoir supprimé le calcul des points de vie, mais
on aurait aimé avoir quelques explications sur, par exemple, la
différence entre une blessure « sérieuse» et une blessure « grave ».
Bon, ce n’est pas dramatique. Un autre os fera par contre sauter au
plafond les joueurs un peu « simulationnistes»: les animaux sont
toujours considérés comme armés. Autrement dit, les petites dents
pointues du rat-garou et la grosse papatte pleine de griffes de
l’ours-garou font virtuellement les mêmes dommages...
Mais je suis bien tranquille : n’importe quel meneur de jeu ayant un
minimum d’habitude se fera sa règle sur ces deux points
… et énormément de mystère
Le jeu mérite largement son
sous-titre de « jeu de l’initié ». C’est bien pour cela que les joueurs
n’ont pas le droit de fourrer leur nez dans les livrets de règles : ils
doivent faire leur initiation sur le terrain. Car... la métamorphose
n’est que le premier des mystères de Hurlements. Ceux qui craindraient
de se sentir un peu à l’étroit dans le cadre imposé de la caravane
peuvent être rassurés : ils auront l’occasion d’accomplir d’autres...
voyages (ça, c’est a private joke pour initiés). J’aimerais bien vous
en dire un peu plus, mais ça reviendrait à galvauder en quelques
phrases une révélation que les auteurs mettent deux livrets à vous
distiller. Ce serait aussi déplaisant que de vous recommander un polar
en disant : « Et on ne devine pas avant la fin que c’est Mr Dupont
l’assassin ». Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a beaucoup
de choses « au-delà » du quotidien de la caravane.
Simplement deux remarques en passant :
- Le jeu est réellement complet. On n’a pas à souffrir de
l’exaspérant « les Secrets Ultimes vous seront révélés dans un
supplément à paraître ». Les auteurs ont joué cartes sur table. Au
point qu’on est parfois un peu suffoqué par l’accumulation de nouveaux
éléments, d’où l’angoissante question : « Mais qu’est-ce-que je vais
bien pouvoir faire de tout ça ? ». Je pense que chaque meneur de jeu
prendra ce qui lui plaît, et forgera sa propre caravane avec. Et puis,
les trois scénarios fournis aident beaucoup à la compréhension de
l’ambiance.
Ceux qui aiment « jouer un rôle » peuvent se précipiter
d’emblée sur Hurlements, ne serait-ce qu’avec les interactions entre
les personnages, les voyageurs et le Veneur (surtout le Veneur !), ils
pourront passer des soirées entières sans jeter un dé...
- Le
système de règles qui sous-tend l’ensemble est maigrelet, pour ne pas
dire inexistant. Dans un sens, ce n’est pas gênant. Le meneur de jeu
n’aura qu’à trancher arbitrairement. D’ailleurs, c’est souvent ce qu’il
fait... Mais certains maîtres pourront se sentir complètement perdus
sans un Livre omniscient qui dirait : « Si le joueur remplit les
conditions suivantes (ici une formule mathématique absconse), on lance
les dés sur la table X27 ». Je ne peux rien leur dire d’autre que : ce
n’est pas grave accrochez-vous, ça en vaut la peine... et rien ne vous
interdit de compliquer un peu les règles.
Tous ces nouveaux éléments sont quand même à manier avec précautions,
notamment si on joue avec des débutants, sous peine de les dérouter
complètement.
My garou is rich, my history is poor
Traduit en bon français,
cela donne les renseignements « zoologiques » sur les animaux que les
joueurs sont susceptibles de devenir sont très intelligemment faits,
détaillés et joliment illustrés. Par contre, les renseignements sur le
contexte historique sont succincts, Une petite douzaine de pages pour
couvrir.., cinq cents ans, de l’an mil à la fin de la Guerre de Cent
Ans. Je me console en me disant que somme toute, les livres sur le
Moyen Age ne sont pas si difficiles à trouver. De plus, les auteurs
promettent des suppléments qui décortiqueront la vie quotidienne et les
événements intéressants, siècle par siècle, avec en plus de nouveaux
scénarios.
Et puis, à plus long terme... Hurlements se déroule théoriquement
n’importe quand entre 1000 et 1900. Alors, vivement les Hurlelune
consacrés aux grandes chasses aux sorcières du XV1e siècle, ou à la
Bête du Gévaudan, pour ne citer que deux exemples au hasard.
Ramage et plumage
C’est toujours agréable de lire des règles
claires et bien écrites. Quand, en plus, les auteurs se permettent des
ajouts « littéraires » très réussis (la nouvelle d’introduction et le
scénario n° 2), on applaudit. A la lecture, on profite constamment d’un
brillant « jeu de bascule » entre réalité et fiction (Chut ! me
soufflent les Voix Dans La Coulisse), et on a envie de tirer son
chapeau.
Qui mieux est, ce texte excellent est très bien présenté, avec une
maquette claire, ni bugs ni coquilles (2) (juste une question toutefois
qu’est-ce que le chapitre « Royaumes » fait dans le deuxième livret ?
Il semble plus à sa place dans le premier !). Quant aux illustrations,
elles sont à la fois jolies et évocatrices (avec notamment, oh la bonne
idée !, le portrait de la plupart des personnages non-joueurs des
scénarios). Mon seul regret concerne l’écran : il fait un peu austère
en « noir et or ». (Tiens, au fait, je m’interroge : avant Hurlements,
Laborinthus était déjà dans ces couleurs. L’imprimeur n’aurait-il que
ces deux-là sur sa palette ?)
En guise de conclusion...
Tout le monde sera d’accord sur un
point : Hurlements est un jeu au thème très original. Par contre, il y
a de fortes chances que le système de règles ne plaise pas à tous,
certains le trouveront génialement simple, d’autres protesteront qu’il
présente des lacunes graves. Personnellement, je l’aime bien, même si
je me dois faire un ou deux ajouts quand je maîtrise une partie...
L’autre aspect qui risque de poser problème sera l’exploitation de
« l’initiation » des personnages. Beaucoup de meneurs de jeu risquent
de se trouver embarrassés quand il faudra faire franchir certaines
étapes aux personnages (et d’autres estimeront que c’est un challenge
passionnant). Il serait souhaitable d’avoir rapidement des suppléments
qui expliqueraient comment s’y prendre. Avec ça, des scénarios et
quelques précisions de règles, Hurlements aura tout ce qu’il faut pour
être un succès. D’ici là, achetez-le, ça en vaut la peine.
INVENTORIUM
Jeu de rôle français publié par les Editions Dragon Radieux.
Auteurs : Valérie et Jean-Luc Bizien.
Illustrateurs : Benoît Dufour, Didier Le Cler.
Présentation : boite/livret en carton fort de 32 x 21 x 3 cm.
Contenu :
- 2 livrets de 64 pages
- Introduction (15 pages !), système et principes, le jeu.
- Le Moyen Age (rapide présentation de la société et
chronologie), les races animales, les Royaumes (chut !) et trois
scenarios.
- un écran à 3 volets regroupant les quelques tables nécessaires au
jeu.
C’est une bonne idée de l’avoir mis dans la boîte... en revanche,
les dés manquent (d4, d10, d12, d20, mais ça devient une habitude...).
Prix :189 F.
Tristan Lhomme - Illustration : Ben
- Voir la rubrique Têtes d’affiche de ce numéro.
- NDLR
: Même s’il y a une ou deux coquilles, c’est quand même
approximativement quatre cent cinquante-trois fois moins que dans
d’autres jeux.