Article paru dans Casus Belli N° 63

Le sujet

Tout comme Le Cidre de Narhuit ou l’Acrobate (CB n°29), ce scénario propose une quête-souvenir. Ayant rêvé d’une cloche funèbre, les voyageurs vont être pris du désir intérieur d’entendre sonner le glas. L’intérêt d’une telle quête, outre les péripéties du voyage, est de poser un épineux dilemme. Qui dit glas, dit généralement deuil ou catastrophe. Et de fait, les voyageurs auront le choix: tout tenter pour empêcher le deuil, c’est-à-dire sauver la victime potentielle, mais se priver du glas, et donc échouer dans la quête; ou bien laisser faire, s’en laver les mains, et réussir.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement de tester l’altruisme des personnages. C’est un peu plus retors. Il y a promesse de récompense sonnante et trébuchante à qui sauvera la victime. Et la quête prend dès lors une autre tournure: agir et toucher la récompense, mais se priver des points d’expérience de la quête; ou ne rien faire et s’enrichir intérieurement, mais au détriment de la bourse. Quel que soit le choix, il ne peut se faire que «la mort dans l’âme».

Bréhaigne

Tout a commencé par le franchissement d’une déchirure du rêve. Quand les voyageurs reprennent leurs esprits, ils constatent qu’ils sont sur une grève de sable gris. L’air est saturé d’odeurs marines. C’est le soir, vers la fin de l’heure de la Lyre, et dans l’obscurité de la nuit presque complète, ils ne voient que des masses sombres de rochers au-delà de la plage. Sur la droite, le rivage s’élève graduellement.
A une centaine de mètres, une tour se dresse à l’extrémité d’un promontoire, noire sur le ciel indigo, telle un phare aveugle.

Bréhaigne est un îlot rocheux situé à 3km de la terre ferme proprement dite. Entre le continent et l’île, la baie est très plate, donnant une grande étendue à la marée, mais peu de profondeur. Comme le mont Saint-Michel, l’île peut être atteinte à pied (presque) sec à marée basse. A marée haute, par contre, elle redevient île véritable. Les marées hautes ont régulièrement lieu aux heures du Vaisseau et de la Lyre, et les basses à la Couronne et l’Araignée. La marée atteint son maximum au milieu de l’heure indiquée et reste étale jusqu’à la fin de l’heure.
D’environ 100m de long sur 50m de large, l’îlot n’est constitué que de rocher et de sable. Il n’y a pas un gramme de terre, et rien n’y pousse. La partie ouest, la plus basse, est constituée d’une plage de sable découverte même à marée haute. C’est à l’endroit marqué d’une étoile que se retrouveront les voyageurs. Vers l’est, le rocher s’élève progressivement pour former un promontoire en à-pic d’une douzaine de mètres de haut. C’est là, dans une vieille tour battue par les vents, que vivent les seuls occupants du lieu: la princesse Anaïs et son jeune serviteur, Renart.

Une longue attente

Cinquante ans plus tôt, par une fin de journée venteuse, une nef lourdement chargée abordait à ce même rivage. A bord, outre l’équipage et quelques serviteurs, se trouvaient deux amoureux: le prince Ikor de Roskovie et la princesse Anaïs, fille du roi d’Amerlique. Les deux pays étaient en guerre et Ikor venait d’enlever Anaïs. Fuyant les vaisseaux lancés à leurs trousses, Ikor crut reconnaître un certain îlot nommé Bréhaigne. Il y fit débarquer la princesse, lui assurant qu’elle y serait plus en sécurité, et, en compagnie d’une poignée de serviteurs, l’installa dans la vieille tour avec les quelques meubles qui se trouvaient à bord de la nef, entre autres un fort beau virginal de bois de rose (1). Puis Ikor reprit la mer, promettant à la princesse qu’il reviendrait la chercher dès que les choses seraient clarifiées. Tout cela se passait il y a cinquante ans, et la princesse attend toujours.
En vérité, ni la Roskovie ni l’Amerlique n’appartiennent à ce rêve. La nef d’Ikor avait franchi une déchirure, et en a probablement franchi une seconde. Quant à l’îlot, vestige oublié du Second Âge, peu importe son vrai nom: depuis l’erreur d’Ikor, ses habitants le nomment Bréhaigne, et il n’y a personne pour les contredire. La côte, en effet, est vide de population.
Au fil des ans, les serviteurs d’Anaïs ont disparu, qui de sa belle mort, qui emporté par les sables mouvants. Il ne reste plus aujourd’hui que Renart, un garçon de dix-huit ans, né sur l’îlot. Sa mère, une des servantes de la princesse, est morte de fièvre alors qu’il avait dix ans, et il n’a jamais connu son père qui a disparu dans les sables peu avant sa naissance. Pour le jeune homme, le monde se résume donc à l’îlot battu par les flots, à la baie qui l’entoure, et à la princesse. Sa principale occupation consiste à trouver assez de nourriture pour leur subsistance. Purée d’algues, quelques moules, une mouette imprudente abattue à la fronde, tel est le maigre ordinaire.
En véritable natif, Renart sait déceler les pièges de la baie et rien ne l’empêcherait de quitter définitivement l’îlot inhospitalier. Mais il ne saurait abandonner la princesse, et cette dernière ne partira pas. Tout le jour durant, elle reste à la haute fenêtre à guetter une voile à l’horizon, et le soir, elle s’assied au clavier de son virginal pour jouer le Branle du Carillon. C’était «leur danse», à elle et au prince. Or pour Renart, rien n’est plus merveilleux que le son du vieil instrument, et plus que tout, c’est cet émerveillement qui le retient à Bréhaigne. Non, il ne saurait abandonner la Damoiselle ni renoncer au Branle du Carillon!

La tour

La tour fait 15m de haut (5m par niveau), avec des murs de pierre de 75cm d’épaisseur, et un toit d’ardoises. Au sud et à l’est, elle donne directement sur l’à-pic du promontoire.

1. La partie servant de hall d’entrée ne comporte qu’un rez-de-chaussée. Les portes ont disparu depuis longtemps, leur bois utilisé comme combustible. Sous la fenêtre, une sorte de foyer a été aménagé avec des pierres. C’est là que Renart fait du feu quand il trouve des bouts d’épave.

2. Rez-de-chaussée de la tour proprement dite, où dort Renart sur un matelas d’algues. Quelques gamelles et ustensiles originaires de la nef. Dans l’angle N-E, une trappe non couverte révèle un puits d’eau salée. Il s’agit de l’ancienne cave, complètement envahie par la mer à marée haute.

3. La salle du premier étage est vide, nue et grise. L’âtre, bouché, n’a pas été allumé depuis des années, la fenêtre n’a plus de carreaux. La porte donnant sur la terrasse est la seule qui subsiste de toute la tour.

4. Le toit du hall d’entrée forme une terrasse crénelée. Des baquets y sont disposés pour recueillir la pluie, seul approvisionnement en eau douce de Bréhaigne.

5. C’est au dernier étage que vit la princesse Anaïs, entourée de quelques meubles. Autrefois confortable, la pièce sombre peu à peu dans la décrépitude. On y trouve encore un grand lit, à la couverture incrustée de sel et aux draps abritant d’étranges colonies d’algues parasites, une table avec de la vaisselle d’étain, trois chaises, le virginal au bois de rose devenu verdâtre, un coffre contenant quelques nippes, et un métier à broder. Quand elle n’est pas à guetter à la fenêtre ou à jouer du virginal, la princesse brode un portrait idéal du prince Ikor, «une surprise»… Anaïs ne quitte plus la chambre du haut. Petite, à peine 1,50m, blonde aux yeux bleus, elle ne fut jamais bien grosse, mais maintenant âgée de plus de soixante-dix ans, c’est devenu une silhouette si frêle et si émaciée qu’il semble qu’un courant d’air suffirait à l’emporter. Sa peau très pâle a acquis la transparence de la cire, ses cheveux sont comme du coton blanc, et quand elle est au virginal, ses doigts frêles courent sur les touches comme deux araignées blanches affolées. Seuls ses yeux ont conservé toute leur couleur. Quand elle vous regarde bien en face, de son regard qui ne cille pas, on dirait qu’ils crient, tels deux myosotis de lumière: «Il ne peut pas m’avoir oubliée, n’estce pas?…» Et ses larmes sont aussi claires qu’au premier jour. Pauvre petite princesse…

L’hospitalité

Les voyageurs seront accueillis par Renart, non sans une intense stupéfaction. Puis il grimpera prévenir la Damoiselle. C’est un jeune homme fluet, roux avec des taches de rousseur, vêtu de nippes rapiécées. Sa dévotion envers la princesse est manifeste. Celle-ci recevra les voyageurs avec dignité, assise à son métier à broder, flottant dans les plis de son ancienne robe blanche, que le temps a marbré de jaune.
Il ne devrait pas falloir longtemps pour comprendre que la princesse n’a plus toute sa tête. Elle croit fermement au retour du prince, comme s’il ne l’avait quittée que de la veille. Elle croit l’Amerlique toute proche et en demandera nouvelle aux arrivants. Qu’importe ce qu’ils lui répondront, elle interprétera les réponses à sa convenance. Les vérités les plus élémentaires (son isolement, sa pauvreté) ne l’atteignent pas. Elle parle de ses serviteurs, comme si Renart n’était que l’un d’entre eux. Puis, très grande dame, elle offrira son hospitalité. Le dîner consistera en une purée de goémon aux moules, avec au dessert, la rare friandise d’une lune de mer. Rien que d’en parler, les yeux de Renart brillent de convoitise. La lune de mer est la même chose qu’une étoile de mer, sauf qu’elle est en forme de croissant de lune.
Après le dîner, auquel la princesse touchera à peine, il y aura un intermède musical, et les voyageurs devront subir le Branle du Carillon pendant une heure entière. Comme son nom l’indique, c’est une danse dont les accords imitent un carillon de clochettes. Elle est en soi plutôt insignifiante. Le malaise provient de ce qu’il manque des cordes au virginal, par ailleurs désaccordé. Jouer un jet d’OUÏE/Musique à +4, et en cas de succès, faire un jet de Moral en situation malheureuse.
Le Branle du Carillon est une musique amerlicaine et aucun des personnages, même musicien, ne peut la connaître. Faire en sorte de les en dégoûter plutôt que de les amener à s’y intéresser. Rien ne doit leur faire supposer le rôle majeur qu’elle est destinée à jouer.
Au Gardien des Rêves d’improviser cette partie très jeu de rôle en développant à sa guise le pitoyable et l’absurde de la situation. Hormis des divagations sur une supposée Amerlique, la Damoiselle ne sait rien du monde qui l’entoure, et tout ce que pourra mentionner Renart du continent, c’est un «chemin», qui s’en va vers le nord. Mais il ne l’a jamais suivi que sur deux ou trois kilomètres et ne sait pas davantage où il mène. Puis les voyageurs pourront dormir dans la grande salle (n°3). Naturellement, rien ne sera fourni pour leur coucher, hormis la pierre nue et ils devront se débrouiller avec leurs propres manteaux ou couvertures. La princesse, cependant, semble insomniaque. Elle s’est remise au virginal. Et tandis que les voyageurs sombrent dans le sommeil, leur parviennent encore les lugubres accords assourdis: ding, dang, dung…

Un rêve souvenir

Tous les voyageurs vont faire le même rêve. Citadins, ils se trouvent sur la place publique d’une ville, parmi une foule d’autres citadins, chacun arborant un air grave et bouleversé. Et de fait, provenant d’un clocher tout proche, se déversent les funèbres accents d’un glas. Quel deuil, quel malheur signale-t-on ainsi? Aucun rêveur ne pourra le dire au réveil. Mais ce n’est pas le plus important. L’important, c’est la certitude profonde qui naîtra en chacun d’eux, que ce rêve était en fait un souvenir, l’écho d’une vie antérieure. Et chacun pourra se demander: «Mais qui étais-je, dans ce rêve antérieur? Qui étais-je sur cette place à m’inquiéter tout comme les autres?…» Et une autre certitude naîtra alors dans le coeur de chacun: que s’il pouvait maintenant, dans ce rêve-ci, réellement entendre sonner le glas, il pourrait reprendre son rêve interrompu et se souvenir de cette incarnation passée. Nul doute alors qu’il pourrait bénéficier à nouveau d’une ancienne expérience. Et chacun se sentira empli de l’importance de cette quête personnelle.
En termes de jeu, les voyageurs ont trois mois pour entendre sonner le glas, peu importe où et pour quelle circonstance exacte, du moment qu’il s’agit d’un glas véritable. C’est-à-dire, entendons- nous bien, qu’il ne suffit pas d’entendre une cloche grave sonner un rythme lent, il faut qu’il y ait une vraie raison malheureuse (deuil, catastrophe, etc.) pour cela. Les rêveurs recevront alors 35 points d’expérience à répartir directement dans les compétences de leur choix inférieures à l’archétype.

Les Landes

Le lendemain, Renart acceptera de les guider jusqu’à la côte à marée basse, c’est-à-dire durant l’heure de la Couronne. Au Gardien des Rêves d’improviser le chemin suivi par le garçon, en mettant l’accent sur les deux principaux dangers: les sables mouvants, et les Vaseux. Malgré les précautions (et peut-être parce qu’ils sont trop nombreux), les voyageurs peuvent effectivement attirer l’attention d’une de ces entités. Utiliser le Vaseux moyen, page 78 des règles. En ce qui concerne les sables mouvants, il n’y a rien à craindre tant qu’on suit Renart, mais privé de lui et d’une manière générale, la survie dans la baie (Srv en Marais) est de difficulté -5.
Avant de les quitter, Renart mettra les voyageurs sur le «chemin ». Il s’agit d’un vestige de route, au tracé difficile à suivre sous la mousse et les herbes. La voie avait apparemment pour but de mener à Bréhaigne. Dans les cas les plus difficiles, on peut la repérer avec VUE/Srv en Ext à 0.
Entre le delta de l’Assoape, à l’est, et la chaîne des basses et hautes Grognaffes, à l’ouest, les landes de Breh sont incultes. Rochers moussus, fourrés d’épineux, arbres tordus par les rafales constituent un paysage sauvage et répétitif.
Vers le nord, la route est jalonnée de ruines: dalles et pierres croulant sous la végétation. Il s’agit d’anciens villages abandonnés depuis des dizaines voire des centaines d’années. Il n’y a rien à y trouver, sinon la certitude qu’il n’y sonne même plus de glas depuis longtemps.
Normalement, et pour peu qu’ils explorent quelques ruines, ce n’est pas avant le lendemain midi que les voyageurs devraient arriver à Edax.

Edax

Ce n’est qu’un petit village aux maisons de bois, construit sur les ruines d’un site plus ancien, vivant d’un peu de culture et d’élevage de moutons. Son autarcie est complète et sa moyenne d’âge élevée: personne n’a moins de 40 ans. L’explication en est que, l’année dernière, tous les jeunes ont été pris ensemble du désir du Voyage et sont partis.
«Dans vingt ans, voire moins en cas d’hivers à Groins, dira un vieux, Edax ne sera plus que ruines à son tour…»
Mais en l’occurrence, autarcie ne veut pas dire ignorance complète, et l’on sait qu’une grande cité se trouve au-delà de la forêt: Toll, la cité des Sept Cents Cloches, ainsi appelée en raison du nombre de ses cloches. Lors, si un voyageur demande: «Même le glas?…» On lui répondra: «Glas, tocsin, chamade, premier et second service, rien n’y manque…» De quoi redonner un sens au voyage et à la quête.
Toutefois, les contacts avec Toll sont rarissimes, et l’on ne sait de la ville que ce qu’en racontent de rares voyageurs. Il faut dire qu’entre la cité et Edax se dresse la terrible forêt de Krokengriffe: le pire rassemblement de prédateurs au mètre carré qui ait jamais été rêvé par les Dragons! Si les voyageurs ont le courage de s’y aventurer, ils peuvent espérer atteindre le pont de Myde au bout de deux ou trois jours. Ce pont enjambe l’Assoape, une large rivière coulant vers le sud. Surtout ne bien traverser qu’au pont, ne pas tenter de passer à la nage: les abominations aquatiques sont encore pires que celles qui se faufilent entre les arbres de la forêt. Après le pont, la route est paraît-il meilleure, et au bout d’un autre jour de voyage, on arrive enfin dans la plaine de Toll…

Krokengriffe

C’est effectivement une effroyable forêt de branches emmêlées, d’impénétrables fourrés dominés par des rochers moussus et surplombant des ravins de hautes fougères. Les arbres tombés disparaissent sous l’enchevêtrement des ronces parmi l’inextricable toile d’araignée des lierres et des lianes chevelues. Des grappes de fleurs jaunes et pourpres exhalent des parfums âcres, tandis que des colonies de champignons se rassemblent silencieusement entre les racines des arbres moribonds. Dans les frondaisons, d’invisibles oiseaux s’interpellent de cris rauques; les insectes vrombissent, omniprésents: frelons, guêpes noires, mouches luisantes…
Dans la pénombre glauque, il est difficile de repérer le tracé de la route abandonnée, d’autant que loin d’être droite, elle contourne les caprices du terrain, les rochers et les brusques à-pic. D’une manière générale, Srv en Forêt y est de difficulté -5; et dans le meilleur des cas, les voyageurs ne peuvent espérer mettre moins de 7 heures draconiques pour atteindre le pont (5km/h dr environ).

Les rencontres sont laissées à la discrétion du Gardien des Rêves (fauves, loups, entités de cauchemar, serpents, insectes venimeux, etc.), l’essentiel étant non pas d’exterminer les voyageurs, mais de les dégoûter à jamais de cette forêt en sorte que, une fois à Toll, l’idée d’y retourner les fasse vraiment frémir.

Le pont

Comme on s’en doute, le pont de Myde est en ruine. Il n’en reste de chaque côté que le tronçon d’une arche: quelques mètres de maçonnerie croulant sous la mousse et le lierre. La rivière fait 80m de large.
Grosso modo, les voyageurs ont deux choix: soit ils construisent un radeau, soit ils continuent, hors route, à longer la rive droite. La première solution, quoique longue, est la meilleure. La seconde, qu’ils choisiront probablement, est un piège. Dans tous les cas, un examen attentif de l’Assoape les dissuadera de traverser à la nage: on y voit flotter entre deux eaux des formes ondulantes, serpentines, un rien tentaculaires, suggestives de monstruosités répugnantes. Si les voyageurs faisaient fi de ces avertissements, improvisez des cauchemars aquatiques, et cela sans aucun remords: ils étaient prévenus!
Construire un radeau demandera de posséder au moins une hache et des cordes. Avec épée en guise de hache, appliquer un malus de -2 aux jets suivants, et si l’on doit utiliser des lianes en guise de corde, ajouter encore un -1. Pour chaque heure de travail effectif, jouer DEXTÉRITÉ/Charpenterie à 0 ou DEXTÉRITÉ/Srv en Ext à -2, un jet par travailleur, puis noter les points de tâche obtenus selon les réussites: Ech. T. -4/Echec 0/Norm. +1/Sign. +2/Part. ou Crit. +3.
Outre qu’il procure -4 points de tâche, un Echec Total confère un malus définitif de -1 à tous les jets suivants, et ceci aussi bien pour le fauteur que pour les autres, le travail étant saboté pour tout le monde. Tous les personnages peuvent travailler ensemble ou seulement partie d’entre eux, chacun apportant ses points de tâche à la somme collective. Le radeau sera achevé dès que 8 points de tâche auront été additionnés au bout d’un quelconque nombre d’heures. Des personnages habiles peuvent y parvenir en une heure; des maladroits peuvent ne jamais y arriver. Naturellement, durant tout le temps de la construction, les voyageurs peuvent être harcelés par des prédateurs, et retardés d’autant.
Une fois le radeau correctement terminé, on supposera la traversée sans problème.

Les dongs

Du pont de Myde jusqu’à la lisière nord, la rive droite de l’Assoape est constituée d’un vaste marais de brume et de boue (Srv en Marais -6). Ses prédateurs les plus féroces sont d’énormes crapauds sauriens, 2m de long, 80 kilos, aux larges mâchoires bien plantées de crocs, dénommés «Dongs» à cause du son qu’ils produisent en gonflant leur jabot: imitation parfaite d’un tintement de cloche.
En les entendant au loin, dans la brume, les voyageurs penseront découvrir un clocher isolé (!), et leur déconvenue sera proportionnelle à leur bévue quand les monstres sanguinaires se rueront sur eux. Sans parler des autres dangers propres aux marais bourbeux. INTELLECT/Zoologie à -5 permet d’identifier les Dongs de visu; mais auparavant, aucun moyen de deviner que les tintements ne proviennent pas de vraies cloches.
Devant l’ampleur du marais, il est probable que les voyageurs délégué ensuite faire demi-tour et choisir la solution du radeau.

Toll

De l’autre côté du pont en ruine, la route est effectivement mieux conservée, en sorte que les voyageurs devraient maintenant rallier Toll ne moins de deux jours (40km).
La cité des Sept Cents Cloches mérite bien son nom. Construite de part et d’autre de l’Assoape, elle est entourée de remparts donc chaque tour est en fait un énorme beffroi, et entre les murs, rares sont les bâtiments, publics et privés, qui ne s’ornent de clochers, campaniles ou clochetons.
Chaque heure du jour, mais aussi chaque événement, commémoration, tendance, est souligné du carillon approprié, qui, s’il ne paraît qu’abrutissement confus pour l’étranger, est parfaitement explicite pour le Tolléen: perpétuel fracas sonore qui le renseigne sur la vie de sa cité.
C’est aux Clochards qu’il est dévolu de faire sonner les cloches, chacun étant attaché à un ou plusieurs clochers. Autrefois véritable travail, ce n’est plus aujourd’hui qu’une charge honorifique, véritable titre de noblesse héréditaire, le travail lui-même étant délégué à des subalternes. Les Clochards sont les aristocrates de la ville, et le Grand Clochard en est le souverain.
C’est au centre de la cité, dominant le Cloche-pont (le plus beau des trois ponts de pierre), à l’extrémité de la place du même nom, que se dresse le palais du Grand Clochard, avec ses vingtquatre clochers ajourés et le dôme du Grand Bourdon. Il y vit avec son épouse, la Grande Clocharde, et leurs deux enfants, le Grelot et la Grelotte.
Or l’une des premières nouvelles qu’apprendront les voyageurs en arrivant à Toll, c’est que la Grelotte, de son prénom Elzémone, tout juste âgée de seize ans, ne va pas bien, pas bien du tout même — et pour tout dire, on ne serait pas surpris si on se réveillait demain matin en entendant le Grand Bourdon sonner le glas…

La Morterêve

Elzémone souffre d’une Morterêve. C’est une maladie psychosomatique mortelle, généralement provoquée par un rêve, et qui se traduit par un désir, un remords, un regret, si lancinant et despotique que le sujet dépérit et meurt s’il ne parvient à l’exaucer. Or voilà déjà un mois que la Grelotte est alitée. Complètement anorexique, c’est à peine si on arrive à lui faire prendre un peu de miel ou de lait. Et tout ça parce qu’elle a rêvé d’une musique et n’a plus qu’un seul désir: l’entendre interprétée parfaitement! Réduite à une affreuse maigreur, la peau blême et luisante d’une mauvaise sueur, la tête noyée dans son grand oreiller de plumes, elle tente parfois d’en fredonner quelques notes. Elle en murmure le titre, puis ses grands yeux cernés implorent en silence: si personne ne peut la lui jouer, elle en mourra.
Mais personne ne connaît cet air dans la région, bien qu’une véritable cour de musiciens se soit succédée au palais durant les dernières semaines. C’est à se demander si la Grelotte ne l’a pas entièrement imaginé. Elle dit que ça s’appelle le Branle du Carillon!…
Le Grand Clochard a finalement promis une bourse de 35 pièces d’or à qui jouerait cet air à la satisfaction complète de sa fille, sur luth, harpe ou clavicorde, harmonie complète et juste mélodie. 35 pièces d’or! De quoi attirer tous les gratteurs de mandole dans la chambre d’Elzémone. «C’est pourquoi, précise l’ordonnance, quiconque jouera mal ou ne jouera point la bonne musique, en sorte qu’il aggravera l’état de la Grelotte Elzémone par acte de faux espoir et de lèse-assonance, celui-là sera condamné à être sonné; placé sous la cloche-bourelle, laquelle sera battue et rebattue jusqu’à ce que la cervelle lui sorte par les oreilles. Qu’on se le dise.»
Enfin, au moment où les voyageurs apprendront ces nouvelles, un communiqué du docteur Bledius, médecin du palais, annoncera que dans le meilleur des cas, il reste dix ou douze jours à vivre à la jeune fille.
INTELLECT/Médecine à 0 permet de savoir ce qu’est une Morterêve et que l’horreur de cette maladie mortelle provient effectivement de ce qu’il n’y a aucun remède autre que la satisfaction du fantasme qui l’a engendrée. Aucun rituel de guérison magique ne peut non plus être appliqué. Si un voyageur demande à voir le docteur Bledius et réussit un jet d’ELOQUENCE/Médecine à 0, celui-ci acceptera de conduire ce «confrère» au chevet de la Grelotte. Là, le personnage-médecin pourra se convaincre de la véracité de ce qui a été dit. Plus encore, en tendant l’oreille vers les lèvres émaciées de la jeune fille, il pourra reconnaître la mélodie murmurée. Le Branle du Carillon est bien celui que jouait la princesse Anaïs de Bréhaigne.

Suites et fins

Tel est donc finalement le dilemme. Les voyageurs peuvent s’installer à Toll et attendre placidement que le temps passe. Dans douze jours au plus tard, le Grand Bourdon sonnera le glas, et dans la cité attristée par le deuil, ils seront les seuls à être intimement satisfaits. Ou bien ils tentent de sauver la pauvre fille, mais alors, adieu le glas, adieu la quête-souvenir!
Bien que le morceau ait été joué plusieurs fois, aucun personnage ne peut prétendre s’en souvenir au point d’en connaître parfaitement la partition. Il n’y a dès lors qu’une seule solution: retourner à Bréhaigne et prendre des leçons. Cela signifie affronter à nouveau la forêt, la rivière, les landes, puis les sables mouvants et les Vaseux de la baie. Cette fois, point de Renart pour les guider. La princesse acceptera de leur enseigner le morceau, mais tout en leur faisant supporter son délire, une rude mise à l’épreuve des nerfs. Il n’est évidemment pas question qu’elle quitte Bréhaigne et les accompagne.
Pour jouer le Branle, il faut obligatoirement un instrument à cordes capable de produire des accords. L’apprendre demandera une journée entière et un jet d’OUÏE/Musique à 0. Selon la réussite du jet, noter le bonus d’apprentissage: Crit. ou Part. +3/Sign. +2/Norm. +1/Echec -2/Ech. T. -4. Pour le jouer ensuite, réussir DEXTÉRITÉ/Musique à 0 + bonus d’apprentissage. En cas d’échec lors de l’exécution, on peut recommencer à -1; et ainsi de suite jusqu’à la réussite ou l’Echec Total.

Dix jours ne devraient pas être de trop pour retourner à Bréhaigne, apprendre le morceau, et revenir à Toll. Hélas! quand les voyageurs franchiront à nouveau les portes de la cité, quel que soit le temps écoulé pourvu qu’il n’excède pas douze jours, les cloches se mettront lourdement à sonner, et sans erreur possible, battront le glas… Dans les rues, ce ne seront que regards consternés, mines apitoyées. «Pour qui sonne le glas? demanderont les voyageurs.— Hélas! répondra-t-on, elle est morte et nous l’aimions tant! — Qui est morte? La Grelotte? — Non, l’année! C’est le dernier jour de l’année tolléenne, que l’on marque toujours en sonnant le glas. Mais demain, on sonnera la Grande Volée en l’honneur de l’année nouvelle et ce sera beau jour de fête!…»
Ainsi, si le branle est joué correctement auprès de la Grelotte, la jeune fille guérira, la récompense sera versée, et la quête-souvenir néanmoins satisfaite. Les voyageurs auront gagné sur tous les tableaux.
Noter enfin que le calendrier sera analogue si les personnages choisissent la lâcheté. Environ dix jours plus tard, le glas sonnera pour marquer la fin de l’année. Mais le lendemain, il sonnera à nouveau pour la mort de la Grelotte, pour faire honte aux voyageurs et leur faire regretter ce qu’ils auraient pu gagner.

RENCONTRES

Anaïs, née à l’heure de la Lyre

71 ans, 1,47m, 32kg.
TAILLE 06 VOLONTE 19 VIE 08
APPARENCE 10 INTELLECT 10 ENDURANCE 27
CONSTIT 09 EMPATHIE 10 VITESSE 10
FORCE 05 ELOQUENCE 11 + dom -2
AGILITE 06 REVE 17 Protection -1
DEXTERITE 10 CHANCE 13
VUE 12 Mêlée 06
OUIE 11 Tir 11
ODORAT 07 Lancer 08
GOUT 03 Dérobée 10
Esquive niv -2
Chant 0/Discours 0/Discrétion 0/Broderie +4/ Musique virginal +3/Botanique -2/Légendes +3/Lire & Ecrire +3.

Renart, né à l’heure du Roseau

18 ans, 1,64m, 48kg.
TAILLE 07 VOLONTE 09 VIE 10
APPARENCE 10 INTELLECT 08 ENDURANCE 19
CONSTIT 12 EMPATHIE 14 Vitesse 12
FORCE 11 ELOQUENCE 07 + dom 0
AGILITE 13 REVE 12 Protection 0
DEXTERITE 11 CHANCE 13
VUE 11 Mêlée 12
OUIE 11 TIR 11
ODORAT 12 LANCER 11
GOUT 05 Dérobée 13
Gourdin niv 0 init 06 + dom -2
Corps à corps niv 0 init 06 + dom (0)
Esquive niv 0
Discrétion 0/Srv Extérieur (rivages) +6/Srv Marais (Bréhaigne) +10/Natation +6/Légendes -5.

Dong

TAILLE 12 VIE 13
CONSTITUTION 14 ENDURANCE 27
FORCE 16 VITESSE 14/32
PERCEPTION 12 + dom +2
VOLONTE 08 Protection d4
REVE 11
Griffes & crocs 13 niv +4 init 10 + dom +3
Esquive 10 niv 0
Esquive/saut 13 niv +4
Excellent sauteur, sa compétence de saut lui donne une seconde esquive de saut acrobatique.

scénario & plans - Denis Gerfaud
illustration - Rolland Barthelemy

(1) Instrument de musique à clavier et à cordes pincées, voisin de l’épinette.