Article paru dans Casus Belli N° 57
Le sujet

En explorant une caverne nouvellement révélée par une avalanche, les voyageurs vont tomber sur un vestige du Second Âge et découvrir un miroir. Détection d’Enchantement et Lecture d’Aura Magique leur révéleront que l’objet est magique.
Il permet de réfléchir la lumière du soleil même quand celui-ci n’est pas directement visible, par exemple dans une maison, une grotte, ou par temps couvert. Le problème est que la maîtrise du miroir est soumise à une condition : « refléter la lumière du soleil sur le cœur d’un krunderznap ». Or personne ne saura de quoi il s’agit... Parallèlement, un village voisin est terrorisé par un monstre nocturne, tapi le jour dans une caverne obscure, mais qui, selon la croyance, pourrait être anéanti par la lumière du soleil. Serait-ce le fameux krunderznap ? Certains indices amèneront, à tort, les voyageurs à le penser et à se heurter à un inutile dilemme : comment tuer le monstre avec le miroir si celui-ci ne peut être maîtrisé qu’une fois le monstre tué ?... La vérité sera peut-être découverte si les haut-rêvants songent à utiliser le rituel d’Hypnos Conjurer l’Oubli et l’utilisent à bon escient. On pourra alors apprendre que « krunderznap» est le nom donné à une petite fleur des cimetières, une sorte de pissenlit. Dès lors maîtriser le miroir, anéantir le monstre, gagner la gloire et la reconnaissance des villageois ne sera plus qu’un jeu d’enfant.

Tshikita

Vers la fin du Second Âge vivait une magicienne nommée Tshikita, puissante parmi les puissantes. Elle était par ailleurs fort belle et nombre de ses sortilèges visaient à entretenir cette beauté célèbre. Mais comme la plupart de ses pairs, c’est surtout dans la conception d’objets magiques qu’elle excellait. Il faut se souvenir qu’à cette époque les magiciens usaient et abusaient de leurs pouvoirs et créaient des quantités d’objets magiques au gré de leurs caprices — ce qui avait particulièrement le don d’irriter le sommeil des Dragons, tant et si bien qu’ils finirent par se réveiller pour les chasser de leurs cauchemars. Mais on n’oublie pas si facilement ce qui a été rêvé une fois. Le merveilleux castel de Tshikita disparut avec le Grand Réveil, mais une fois rendormis, les Dragons ne purent s’empêcher d’y rêver encore. La différence, c’est que, tout comme un puzzle qui a volé en éclats, ils n’en révèrent plus que quelques fragments, éparpillés au gré des rêves, en y associant parfois le souvenir de la beauté de la magicienne.
C’est ainsi que sa mémoire s’est perpétuée sous la forme d’un pan de falaise qui affecte exactement la forme d’un sein de femme. Dans le village voisin, quoiqu’on en ignore le pourquoi, on appelle ce rocher le Téton de Tshikita. Ce que l’on ne sait pas, c’est que juste derrière, un minuscule fragment de la demeure de la magicienne s’est également retrouvé rêvé, encastré dans la montagne. Et tout au fond, se trouve toujours intact un de ses objets magiques.

Les voyageurs

Au commencement de cette histoire, les voyageurs marchent vers le nord dans une région de collines escarpées, pentes boisées entrecoupées de massifs rocheux aux falaises abruptes. Une fois de plus, ils se sont débrouillés pour se retrouver hors des routes et des chemins (gris rêve, déchirure) et l’on peut penser qu’ils ont hâte de retrouver un semblant de civilisation. D’autant que le temps est déplorable, avec pluie, grêle et vent pour principaux compagnons. Seule conso­lation, le paysage offre une abondance de sites remarquables : cascades, ravins vertigineux, rochers évoquant des formes fantastiques, telle par exemple la protubérance rocheuse de cette haute falaise. On dirait exactement le contour galbé d’un sein de femme

L’avalanche

La ressemblance avec un sein est si évidente que les voyageurs ne peuvent manquer de la remarquer. Au moment où tout commence, ils se trouvent à cinq ou six cents mètres du rocher en question. Il est situé en aval, c’est-à-dire plus au nord, à mi-hauteur de la falaise ouest (sur leur gauche). La falaise fait une trentaine de mètres de haut, le sein en fait sept ou huit, sa base étant à une dizaine de mètres du sol de la vallée. Toutes ces constatations sont automatiques, c’est-à-dire sans jet de dés. La falaise est constituée d’un grès brun beige assez lisse, ce qui donne au sein une apparence délicatement hâlée.
Les voyageurs en seront sans doute à regretter que les « caprices de la nature » n’aient pas poussé plus loin le travail de sculpture, lorsqu’un autre motif de regret s’imposera brutalement. Cela commencera par une détonation sèche, suivie d’un grondement crescendo. Et dans un nuage de poussière et de gravats, le bout du sein s’écroulera dans la vallée en une soudaine avalanche. Après dispersion des poussières, et quand ils jugeront qu’ils peuvent s’en approcher sans danger, les voyageurs constateront que toute l’extrémité s’est détachée, comme le bout dé­capité d’un œuf à la coque.
Note. Il est important que l’avalanche ait lieu en présence des voyageurs. D’une part pour justifier qu’ils soient les premiers sur les lieux, mais surtout pour pouvoir leur montrer le sein avant sa destruction. Il faut en effet qu’ils puissent le mentionner comme tel au village pour avoir accès aux informations ultérieures.

La caverne

Vue/Srv en Montagne à 0 pourra convaincre les voyageurs qu’il ne s’agit finalement que d’une ordinaire avalanche due à l’érosion. Leur plus grande surprise sera de constater que l’intérieur du sein est creux. Une sorte de caverne s’ouvre maintenant dans la falaise, entre les bords déchiquetés de ce qui reste du mamelon. L’ouverture, à peu près ronde, fait 3m de diamètre; elle est située à 10 m de haut. D’en bas, même en pre­nant du recul, on ne voit qu’un trou sombre.
Le pied de la falaise n’est maintenant qu’un amoncellement de blocs de pierre en équilibre instable, et les voyageurs hésiteront peut-être à s’en approcher. Quel intérêt peut en effet présenter la cavité nouvellement révélée ? C’est alors qu’un jet de Vue/Srv en Extérieur à 0 pourra révéler un détail insolite : des éboulis dépasse une sorte de piquet de bois torsadé.
De près, les voyageurs constateront qu’il s’agit d’un pied de table artistiquement sculpté. Un peu plus loin entre les gravats, on distingue d’autres parties du meuble fracassé. Etrangement, le bois n’est pas vermoulu. C’est comme s’il avait séjourné à l’abri. Et d’ailleurs, les débris ne sont pas intégralement sous l’avalanche, mais semblent faire partie, comme si la table était elle aussi tombée du sein rocheux, comme si elle avait été contenue à l’intérieur de celui-ci. Et c’est en effet la vérité.
Pour accéder à l’ouverture, il faut réussir 2 jets d’Agilité/Escalade à -5, un tous les 5 m. Le bord de l’ouverture est instable et aucun grappin lancé d’en bas ne restera accroché solidement. Par contre, une fois parvenu dans la caverne, le premier grimpeur pourra facilement arrimer une corde. En s’aidant de celle-ci, les autres n’auront besoin de réussir qu’un seul jet d’Agilité/Escala­de à -2.
La caverne fait 8 m de long sur 3 à 5m de large et présente une curieuse conformation mi-naturelle, mi-artificielle. Le mur de droite est visiblement fait de pierres cimentées, tandis que la paroi gauche est de roc et irrégulière. De même le sol est constitué de dalles à droite et de roc brut à gauche. Le plafond est entièrement de roc naturel. Il est à 3 m à droite et descend progressivement jusqu’à 50cm à gauche. Tout près de l’ou­verture, se tient une chaise de bois sculpté. Elle est propre, en bon état, à peine poussiéreuse. Les motifs sculptés sont de la même inspiration que ceux de la table brisée, en bas. De toute évidence, il s’en est fallu de peu que la chaise ne suive le même chemin que la table.
Tout cela constituera probablement une énigme pour les voyageurs; mais plus étonnant encore, l’étrange caverne se termine, au fond, par une porte aux moulures ouvragées, avec une poignée élégante, comme une porte d’appartement. Il n’y a pas de verrou et quoiqu’elle frotte terriblement sur le sol, les voyageurs parviendront à la pousser. Derrière, il n’y a qu’un mince passage de 5 m de long, dont la largeur rétrécit progressive­ment de 1 m à quelques centimètres. A gauche et au plafond incliné, c’est le roc; à droite, le mur vertical est toujours maçonné.
C’est sur ce mur que se trouve accroché le miroir, à 3m de la porte. Le problème, c’est qu’à cet endroit le passage fait à peine 30cm de large. Seul un personnage de Taille 6 ou moins, non encombré, pourra aller le prendre. Par ailleurs, vu de la porte, on voit bien qu’un objet ouvragé est accroché au mur, mais il faut s’en approcher de près pour distinguer qu’il s’agit d’un miroir.
Il se peut qu’aucun des voyageurs n’ait la taille requise pour se faufiler dans le passage. Com­ment faire alors ?... Derrière les dalles du mur et du sol, il y a à nouveau le roc. Aucun travail de descellement n’aboutira. Par ailleurs, si des transmutations élémentales de terre en air ou en eau étaient utilisées pour agrandir le passage, nul ne saurait garantir la solidité de l’ensemble; et l’histoire pourrait bien se terminer par une seconde et définitive avalanche. Le plus simple est d’aller demander l’aide d’un(e) mince adolescent(e) du village voisin. La difficulté, naturel­lement, c’est qu’à ce stade de l’histoire, les voyageurs ignoreront probablement qu’il y a un village voisin

La table

Les voyageurs auront peut-être envie de fouiller les décombres au bas de la falaise, en quoi ils n’auront pas tort malgré les risques encourus. L’éboulement est instable et chaque chercheur devra réussir un jet de Dérobée/Escalade ou Srv en Montagne à -2. En cas d’échec de l’un d’eux, nouveau glissement des blocs de pierre. Tous ceux qui se trouveront alors parmi l’éboulement devront tenter un jet de Chance. Réussite : jet d’encaissement à -4; échec : à zéro; protection maximum : 1d2.
La table fracassée possédait un tiroir contenant trois feuilles de parchemin couvert de formules draconiques. Les trois formules ont une difficulté de lecture de -2. Il s’agit des rituels suivants :
O/H/N Détection d’enchantement ; O/H/N Lecture d’Aura Magique ; H Conjurer l’Oubli

Le miroir

C’est un miroir rond (20 cm de diamètre), en argent poli. Dans un médaillon du pourtour est enchâssée une gemme rouge (pureté 6, taille 5). Une fois maîtrisé, le miroir permet de capter et de réfléchir la lumière du soleil même si celui-ci n’est pas directement visible, c’est-à-dire même si un obstacle s’in­terpose entre lui et le miroir. Le soleil doit cepen­dant être levé, c’est-à-dire entre mi-Vaisseau et mi-Lyre. Il faut également que le miroir soit convenablement orienté. Cela peut se faire par tâtonnements jusqu’à ce que la lumière désirée en jaillisse soudain. Son utilité évidente est de servir de projecteur souterrain.
La gemme dépense 1 point de rêve par réflexion et/ou heure d’utilisation continue. Le miroir peut par ailleurs être utilisé comme tout miroir normal. Tous ces renseignements seront fournis par une Lecture d’Aura Magique correctement effectuée. Le pouvoir provient d’une Grande Ecaille de Narcos. Mais ladite lecture fera surgir un problème inattendu. La gemme possède également une Ecaille de Maîtrise.
Expliquons rapidement de quoi il s’agit. Un objet magique ne peut être maîtrisé qu’en ayant une idée de son pouvoir et en l’utilisant comme il (l’objet) doit être utilisé. Or certaines Grandes Ecailles de Narcos, de par leur nature, demandent que l’on pose également sur la gemme une Ecaille de Maîtrise, faute de quoi l’objet ne peut fonctionner. L’effet de cette écaille fait, d’une part, que le créateur ne maîtrise pas automati­quement son objet, d’autre part qu’il ne peut le maîtriser que dans certaines conditions, et même chose pour d’autres après lui. Par exemple utili­ser l’objet dans un certain lieu au moment de la maîtrise, ou en présence d’une certaine créature, d’un certain spectacle, etc. Chaque Ecaille de Maîtrise est spécifique à la Grande Ecaille de Narcos à laquelle elle correspond. Certaines Grandes Ecailles demandent une Ecaille de Maî­trise, d’autres non. Une Ecaille de Maîtrise posée sur une gemme n’a aucun effet si elle n’est pas nécessaire. Annuler une Ecaille de Maîtrise n’an­nule pas la Grande Ecaille, mais brise et em­pêche la maîtrise (et donc le fonctionnement de l’objet). Une Lecture d’Aura Magique effectuée dans la case exacte où a été posée l’Ecaille de Maîtrise révèle précisément les conditions à rem­plir pour maîtriser l’objet. Le jet de maîtrise reste quant à lui normal, -1 par aile active.
En ce qui concerne le miroir de Tshikita, la maîtrise ne peut se faire qu’en commençant par réfléchir réellement le soleil, mais pas sur n’importe quoi. Il faut « renvoyer la lumière du soleil sur le cœur d’un krunderznap ». En cas d’échec du jet de maîtrise, on peut recommencer normalement 12 heures plus tard, mais toujours sous condition d’être en présence d’un krunderznap, le même ou un autre, sur qui braquer la lumière du soleil.
La Lecture d’Aura Magique donnera au total les indications suivantes :
Inertie totale 15 / Enchantement en G7, 35 r dont 21 actifs / Permanence en E6 / Autonomie*** en F8 / Purification en I6 / Alliance en G5 / Ecaille de Maîtrise (Monts Salés B1 0) R-7 r 7 / Grande Ecaille de Narcos Miroir de soleil*** (Monts de Vdah M3) R-14 r 11 / Jet de Maîtrise : -3.

Si aucun des haut-rêvants ne possède déjà Détection d’Enchantement et Lecture d’Aura Magique, le temps de les apprendre avec les parchemins de la table, il peut se passer un certain temps avant que le miroir ne se révèle magique; et cette découverte risque même de n’être faite qu’à la fin du scénario.

Krunderznap

C’est le nom donné à une certaine variété de pissenlit, aux racines plus minces et plus molles que celles des pissenlits ordinaires, comme si elles étaient continuellement sucées par quelqu’un ou quelque chose. La fleur, dont le cœur est d’un beau jaune d’or, ressemble à celle du pissenlit ordinaire. Les krunderznaps poussent principalement dans les cimetières. Pour l’intérêt du scénario, on supposera qu’aucun voyageur ne possède cette connaissance, quel que soit son niveau en Botanique. Plus encore, on ne peut même pas savoir qu’il s’agit d’une plante.



Bizarte

Plus au nord, l’étroite vallée finit par déboucher dans une plaine arrosée par une rivière. De leur point de vue encore surélevé, les voyageurs pourront apercevoir la route qui la longe, et dans le lointain, les toits du village de Bizarte. Au-delà s’étend une sombre forêt.

Situé sur la rive sud de l’Ayponje, Bizarte est un petit village agricole à l’air accueillant, avec ses chaumières entourées de granges et de jardinets fleuris, sa Place du Pont ombragée de grands arbres, où donne une confortable maison des voyageurs, et même avec son petit cimetière où les tombes disparaissent sous les fleurs de toutes sortes et où il fait bon se promener aux heures chaudes de la journée. Les Bizartiens sont aimables, quoique un peu réservés, secrets et pensifs. Normalement, les voyageurs devraient y trouver bon accueil.

Au nord, la grande forêt doit son nom aux nom­breux champignons qui y poussent : les fluths, ou champignons siffleurs. Ces champignons élancés, oblongs et presque sans chapeau, poussent par groupes de 4 ou 5, reliés ensemble à la base. L’un d’eux émet de temps à autre un léger sifflement mélodieux, et toute la difficulté consiste à reconnaître lequel. Car dans un groupe de fluths, seul le siffleur est bon, les autres sont véné­neux. Quoique non mortels, ils rendent très malade. Le siffleur en revanche est non seulement comestible, mais délectable. Intellect/Botanique à -4 pour avoir connaissance de ces champignons, et Ouïe/Botanique au Srv en Forêt à -3 pour identifier le siffleur dans un groupe.


Les plus proches voisins de Bizarte habitent Panik et Perpeth, respectivement situés à 2 et 4 jours de marche.
Si les voyageurs ne font que passer à Bizarte sans poser de questions ni mentionner l’ava­lanche, ils risquent de perdre tous les bénéfices de cette histoire. Dans le cas contraire, s’ils mentionnent l’étrange rocher en forme de sein, on pourra leur répondre qu’il s’agit du Téton de Tshikita, mais on sera bien en peine d’expliquer pourquoi. Il en a toujours été ainsi. Cependant, s’ils réussissent alors un jet d’intellect/Légendes à -4, les voyageurs pourront se remémorer un quatrain des Oniries d’Astrodomus. Cet astrologue de la fin du Second Age avait prédit la catas­trophe du Grand Réveil et le sort réservé à la plupart des grands noms du haut-rêve. Méprisé et tourné en dérision à son époque, il s’est révélé depuis avoir vu juste dans un nombre troublant de cas. Ne disait-il pas au sujet de Tshikita :

« Tshikita balayée comme fétu de paille
En montagne encastrée avec que sa quincaille
Tant jambes que tétons aux pluies battant sans trêve
Gigante morcelée aux quatre coins du rêve. »


S’ils n’en ont pas encore eu l’idée, les voyageurs devraient dès lors avoir une bonne raison de supposer que le miroir est magique et procéder aux rituels de lecture. L’ordre dans lequel se succédera le reste des événements dépendra essentiellement de leur connaissance ou non des con­ditions de l’Ecaille de Maîtrise.

Le monstre

Dès la venue du soir, les villageois verrouillent soigneusement portes et fenêtres. L’hôtesse de la maison des voyageurs fera de même, prévenant : « Une fois la porte barrée, plus question de la rouvrir avant l’aube !...» Les voyageurs apprendront alors le pénible secret des Bizartiens.
Ce secret, la raison de leur manque de gaieté, c’est la présence d’un monstre hideux, terré dans une caverne dans les collines du sud, qui vient parfois terroriser le village. Le monstre ne date pas d’hier; aussi loin qu’on s’en souvienne, il a toujours été là, mais il est réputé invincible et nul villageois n’a jamais eu le courage d’aller lui régler son compte une fois pour toutes. Il faut dire que le monstre, ennemi de la lumière, ne sort en quête de proie que par les nuits très noires. Alors on s’en accommode. Ce serait dommage de partir, la vallée est si fertile Il suffit de bien se barricader quand les nuits sont sans lune, de se boucher les oreilles quand il hurle et d’éteindre les chandelles. La moindre lumière provoque en lui une folie destructrice, du moins en ce qui concerne celle du feu, car la lumière du soleil, par contre, aurait le pouvoir de l’anéantir instantanément.
Ce dernier fait est important et intriguera probablement les voyageurs. Les villageois seront bien en peine d’expliquer d’où ils tirent ce savoir. C’est comme pour le nom du téton rocheux, c’est quelque chose qu’on s’est toujours dit, qu’on s’est répété de père en fils. Le doyen du village, un vieillard édenté et tremblotant nommé Angus, confirmera même : « Quand j’étais gamin, un étranger est venu de l’ouest. Il venait de très loin, de Perpeth et même d’au-delà, Il avait entendu parler du monstre et de la récompense, et venait pour l’occire avec son épée et son grand bouclier. Je me souviens que mon père a haussé les épaules, — il n’y a qu’un seul moyen d’anéantir le monstre, a-t-il dit, c’est de l’exposer à la lumiè­re du soleil. Et comme sa caverne est profonde et qu’il ne sort que la nuit, il n’y a rien à faire. — J’irai quand même, a rétorqué l’étranger dégainant son épée, montrez-moi le chemin de sa tanière. On le lui a montré, sans trop s’appro­cher quand même. On l’a vu entrer. Et il n’est jamais ressorti ». Puis devant l’allure (peut-être martiale ?) des voyageurs, le vieillard ajoutera :
« Mais la récompense tient toujours... »
De telles informations susciteront probablement des questions. Comment s’appelle le monstre ? A quoi ressemble-t-il ? Quelle est la récompense ?
« Ici, on l’appelle le Bandersnatch, répondra le vieil Angus. Mais l’étranger téméraire lui donnait un autre nom, je ne me souviens plus lequel ». Si la Lecture d’Aura a déjà été faite et si on lui demande si cet autre nom ne serait pas krunderznap, par hasard ?, il répondra : « Krunderznap ? En effet, je me souviens que l’étranger a prononcé plusieurs fois le nom de krunderznap, mais je ne me souviens plus s’il voulait parler du monstre. C’était il y a si longtemps... En ce qui concerne son apparence, c’est difficile à dire. On ne l’a jamais bien vu. Mais imaginez un cra­paud plus grand qu’un bœuf, avec une tête de cheval, des ailes de chauve-souris, une peau écailleuse, des griffes comme des dagues et des pointes barbelées sur le dos... Quant à la récom­pense promise autrefois, nous n’avons point de raison de nous en dédire : à quiconque anéanti­ra le monstre hideux, le village reconnaissant offrira sur le champ une échelle, deux bottes de paille, une carpe et douze chandelles ». Si les voyageurs font la moue, les Bizartiens admettront que cette promesse date de plusieurs générations et qu’elle pourrait éventuellement être réévaluée, en ajoutant par exemple un demi-seau de farine ou toute autre suggestion venant des voyageurs, du moment que cela reste raisonnable.

Le problème

Comme dit précédemment, tout dépend de la connaissance des conditions de l’Ecaille de Maîtrise. En supposant ce fait connu, la quête des voyageurs est simple à énoncer : trouver un krunderznap.
Mais bien entendu, personne à Bizarte ne saura non plus ce que c’est. De fait, il pousse bel et bien des krunderznaps dans le cimetière, mais les Bizartiens les confondent avec les pissenlits ordinaires et en ignorent le nom. Seul Angus se souviendra vaguement que l’étranger téméraire a prononcé ce nom, mais rien de plus...
Grosso modo, le scénario peut alors adopter les voies suivantes : La solution réside dans le fait que l’étranger téméraire a prononcé le nom fatidique devant Angus enfant. L’homme savait apparemment de quoi il parlait, lui. Ne pourrait-on pas réveiller un peu les souvenirs d’Angus vieillard ? C’est là qu’intervient le rituel d’Hypnos : Conjurer l’Oubli.
Rappelons que chaque utilisation de ce rituel ne rappelle les souvenirs enfuis que par rapport à une question précise. Si l’on demande comment l’étranger appelait le monstre, Angus répondra d’une voix de somnambule : « Jabberwock ! Il l’appelait le Jabberwock ! » Et il ajoutera d’une voix à nouveau normale: «Pur non-sens, à mon avis... »
La meilleure question à poser est certainement :
« Qu’a dit exactement l’étranger en parlant du krunderznap ? A quoi Angus répondra d’une voix lointaine : « Il a dit : avant le combat, faites-moi la grâce de me servir une bonne salade de krunderznaps ! — On n’a pas de ça ici, a rétorqué ma mère. Alors il a dit en se fâchant presque : Et au grand dam des voyageurs, on n’en tirera rien de plus. Ensuite son père est arrivé et lui a dit de retourner à son travail. Plus tard il a escorté l’étranger jusqu’à la tanière du monstre avec d’autres jeunes. Et quant à cette histoire de krunderznaps, il n’en a plus jamais eu d’écho. Un incident sans importance, en vérité !
Vraiment ? Ce n’est peut-être pas ce que pense­ront les voyageurs. Car ils tiennent maintenant un indice de poids : le krunderznap, c’est quel­que chose qui se mange en salade. Il ne leur restera plus qu’à parcourir jardins et potagers et réfléchir le soleil sur tout ce qui est susceptible d’être mangé on salade. Dans les jardins, il pousse principalement des tomates, des oignons, des haricots et des citrouilles. La plupart des jardins sont de taille modeste. Or l’étranger a dit « dans votre grand jardin ». Si l’un des voyageurs comprend qu’il s’agit du cimetière et le visite, il ne trouvera guère que les pissenlits qui soient consommables en salade... Et c’est ainsi que le miroir devrait pouvoir enfin être maîtrisé.

Le Bandersnatch

Située au fond d’un ravin encaissé, la caverne du Bandersnatch présente une ouverture d’envi­ron 5m de diamètre. Il y fait noir comme dans un four. Intérieurement, la caverne se subdivise en plusieurs salles que le monstre occupe à tour de râle, selon son humeur. Toutes sentent horriblement mauvais. Des ossements rongés et à demi pourris traînent çà et là, tels les restes (sans importance) du malheureux étranger téméraire.
Si le miroir est maîtrisé, les voyageurs se rendront compte, à leur grand soulagement, que la légende est véridique. A peine le pinceau de lumière solaire aura-t-il touché le monstre qu’il poussera un hennissement démentiel on se met­tant à fumer de toutes parts. Puis il s’effondrera, complètement carbonisé.


Dans le cas contraire, le combattre ne sera pas une mince affaire. Physiquement, le Bandersnatch ressemble à la description donnée plus haut. Ses ailes, toutefois, ne lui permettent pas de voler. Ce sont plutôt des ailettes qui lui permettent de se déplacer par bonds. Ces bonds peuvent faire jusqu’à 35 m. Sa carapace dorsale le rend quasiment invulnérable : protection 2d6 +6. Le ventre est moins protégé : 1d6 +2 seulement. Mais pour le toucher au ventre, il faut réussir une significative au minimum. Enfin, le Bandersnatch résiste automatiquement aux sorts de Peur, Egarement et Non Agressivité. Il a un bonus de résistance à la magie de +30% pour les autres sorts. Et Air en feu ne lui cause qu’une blessure légère.


Le Bandersnatch
Taille 30 Vie 25
Constitution 20 Endurance 45
Force 24 Vitesse 16/35
Perception 15 +dom +12
Volonté 15 Protection 2d6 +6; d6+2 (sign)
Rêve 18
Attaque de griffes 20 niv +6 init 16 +dom+14
Parade des griffes 20 niv +6
Esquive 7 niv +3
Note. Le Bandersnatch attaque généralement à –8, ce qui lui laisse encore 80% de chances de réussite normale et 16% de particulière.


Conclusion

Si tout se passe bien, les Bizartiens seront fidèles à leur promesse. Et même, dans un élan d’enthousiasme, ils organiseront un grand banquet où les voyageurs seront les invités d’honneur.
Si les voyageurs ont déjà maîtrisé le miroir, l’histoire n’aura pas d’autre chute.
Si par contre ils n’ont combattu le Bandersnatch que par les armes et ont été déçus de ne pouvoir maîtriser le miroir sur son cœur, le Gardien des Rêves peut supposer un ultime incident lors du grand banquet pour les mettre sur la voie des krunderznaps.
Un étranger arrivera de l’ouest, disant avoir entendu parler du monstre et être venu le combattre. « Trop tard ! lui rétorquera-t-on sans doute, les voyageurs que voilà ont déjà fait tout le travail. Mais soyez néanmoins le bienvenu au banquet ! »

Texte : Denis Gerfaud
Plans : Denis Gerfaud
Illustration : Eric Larnoy