L’Auberge du Dragon Dormant
Pour Rêve de Dragon
Denis GERFAUD
L’auberge du Dragon Dormant est une aide de jeu pour amorcer un nouveau
scénario, voire encadrer complètement une suite de scénarios. Il s’agit
d’un procédé pour mettre les personnages en situation du même type que
le gris rêve ou la sortie d’une déchirure. La différence est que
l’Auberge est beaucoup plus onirique: elle l’est même tellement qu’elle
risque de perturber certains joueurs, notamment ceux qui trouvent que
le monde de Rêve de Dragon manque déjà suffisamment de
« solidité ».
L’idée de base, puisque le monde n’est qu’un rêve, est que les
aventures des personnages en soient un également. Or, la seule façon de
montrer qu’une chose n’est qu’un rêve est de l’opposer à la réalité.
Cette réalité, ce peut être l’Auberge du Dragon Dormant.
Le principe est le suivant. Quand un scénario demande dans son entrée
en matière que les voyageurs soient « parachutés » dans le
rêve où se situe l’aventure, au lieu d’utiliser une déchirure ou une
sortie de gris rêve, commencer par une séquence d’Auberge du Dragon
Dormant.
C’est le soir (c’est toujours le soir à l’Auberge du Dragon Dormant),
les voyageurs sont attablés autour de la même table, laquelle est
parsemée de reliefs de repas, de cruches et de gobelets vides. Les
voyageurs ont l’estomac plein, ils ont bien mangé et bien bu; cela
ajoute à leur journée de voyage (supposée journée avant d’arriver à
cette auberge) fait qu’ils ont sommeil. Et tout en discutant, en se
remémorant et racontant leurs précédentes aventures, ils piquent du
nez…
C’est d’ailleurs ainsi que tout commence a priori. Chacun se réveille,
parmi les murmures des conversions, la faible lumière des chandelles,
dans la chaleur confortable de l’auberge, avec le sentiment qu’il vient
de piquer du nez et s’est endormi quelques instants. Et tout en
écarquillant les yeux pour rester éveillé et s’intéresser à la
conversation, chacun sent que le sommeil est proche de la gagner à
nouveau. Ce qui ne tarde pas à se produire effectivement. Toutefois,
quand le personnage se réveille encore, il n’est plus dans l’auberge,
il est dans le rêve où doit commencer l’aventure, prêt à entamer le
scénario.
Discutant entre eux, les voyageurs peuvent alors constater qu’ils ont
tous rêvé de la même auberge. Cela dit, leur présence dans les lieux où
ils sont maintenant reste un mystère - mystère qui peut s’expliquer
comme d’habitude par l’amnésie d’un profond gris rêve. Puis le scénario
se déroule… jusqu’à sa conclusion.
Et là, soit à la fin du scénario qui vient de se conclure, soit au
début du suivant, les personnages se réveillent avec le sentiment
qu’ils viennent un instant de piquer du nez, assis autour de la table,
le ventre bien plein, dans la torpeur de l’Auberge du Dragon Dormant.
Comme font tous les voyageurs quand ils se rencontrent, ils se
racontent les aventures qu’ils ont vécues. Mais les ont-ils réellement
vécues, ou n’est-ce qu’un souvenir de rêve, comme précisément
l’aventure qu’ils viennent de vivre, c’est-à-dire viennent de rêver,
tous constatant qu’ils ont fait le même rêve tandis qu’il piquaient du
nez autour de la table de l’Auberge du Dragon Dormant.
Puis la fatigue alliée au vin, à la digestion, à la douce chaleur du
lieu, fait que l’on repique du nez…
… Pour se réveiller complètement ailleurs, en situation, prêt à
commencer le scénario suivant. Et de constater qu’on a encore tous fait
ce curieux rêve d’auberge.
Noter que l’auberge peut aussi bien être utilisée sans qu’il y ait
forcément changement de rêve. Per exemple que ce soit ou non la fin
d’un scénario, les personnages montent leur camp à l’orée de la forêt
de Truque près du village de Chauze, s’endorment - en montant plus ou
moins bien la garde - se réveillent à l’auberge après avoir,
semble-t-il piqué du nez, discutent, constatent, et se rendorment dans
l’auberge, pour se réveiller au matin, toujours à l’orée de la forêt de
Truque près du village de Chauze, sans que rien n’ait changé.
Le procédé se répétant ainsi, plus ou moins régulièrement, une question
peut être soulevée : où est la réalité là dedans ? Est-ce le voyage,
c’est-à-dire les aventures (les scénarios), voyage parfois entaché de
poches d’amnésie, voyage au cours duquel les personnages rêvent de
l’auberge ? Ou bien la réalité n’est-elle que l’auberge, où les
voyageurs rêvent leurs supposées aventures ?
Faut-il réellement poser cette question dans le monde de RdD où rêve et
réalité ne sont qu’une même chose, tout en étant paradoxalement
distants; et si la pose tout de même, cette question, faut-il
réellement s’attendre à une réponse ?
Un autre paradoxe est naturellement que personne ne se souvient d’être
arrivé dans l’Auberge du Dragon Dormant, de s’être installé à la table,
d’avoir bu et mangé, etc. L’arrivée à l’auberge est elle même issue
d’un profond gris rêve. Au lieu qu’il ait lieu au début de chaque
scénario, il n’a lieu qu’une fois, une seule et définitive fois,
présument l’arrivée à l’auberge. Il n’a plus ensuite besoin d’être,
étant remplacé par la succession des réveil-rêve-réveil-rêve-etc.
Si l’on pense que c’est l’auberge qui est la réalité (et non pas à
l’inverse les aventures jouées), il s’agit d’une réalité qui est figée
dans le temps, un moment unique et privilégié d’un autre voyage des
voyageurs. Et de la même façon que les dragons sont peut-être rêvés à
leur tour par des dragons encore plus gros, peut-être les voyageurs
attablés et piquant du nez ne sont-ils en réalité qu’un autre rêve, un
rêve rêvé par d’autres eux-mêmes, pareillement attablés et piquant du
nez dans une autre auberge, une auberge qui serait cette fois la vraie
- encore que... D’autant que la mécanique fonctionne aussi dans l’autre
sens: tandis qu’au cours d’une aventure (un scénario), les personnages
descendent à l’auberge d’une quelconque cité, y dorment et rêvent - les
rêves alors rêvés ne sont-ils pas des sortes d’aventures vécues tandis
que les personnages sont en réalité en train de dormir dans une auberge
? C’est comme pour la chaîne des incarnations de l’archétype, il est
illusoire de prétendre en chercher aussi bien le début que la fin.
Pourquoi une auberge ? Le procédé pourrait fonctionner avec n’importe
quelle autre situation. Parce qu’une auberge est le lieu typique de
rassemblement des voyageurs, et que l’aide de jeu de l’Auberge ne se
limite pas à légitimer les changements de rêve. A l’Auberge du Dragon
Dormant, les voyageurs peuvent rencontrer d’autres personnages, PJ ou
PNJ, échanger des informations, des renseignements; former ou re-former
leur groupe, notamment retrouver un personnage mort (tué par exemple
dans le précédent scénario). Quoiqu’ayant connu une fin funeste dans
l’aventure, cette dernière n’étant qu’un rêve, le personnage est
toujours attablé à l’auberge, prêt à « repartir ». (Le joueur
a toutefois refait son personnage en repartant à zéro, selon la règle
usuelle.) Cette façon de retrouver un « mort » s’explique
alors beaucoup plus naturellement.
Mais l’auberge peut aussi servir à incorporer un autre personnage, PJ
ou PNJ. Les voyageurs ne sont pas les seuls. Il y a d’autres tables,
pareillement noyées dans la pénombre, où l’on discute, où l’on murmure
en piquant du nez. Si par exemple un joueur nouveau veut
« rentrer » un personnage en cours d’aventure, l’auberge peut
servir de tremplin. Une nuit, au cours de l’aventure (du scénario), les
voyageurs re-rêvent de l’auberge, et y font connaissance avec le
nouveau PJ. Ce dernier peut être directement installé à leur table, ou
être à la table voisine, et se retourner pour prendre part à leur
conversation, bref entrer en contact. Puis la torpeur étant la plus
forte, on repique du nez tous en chœur. Et au réveil, dans l’aventure
(le scénario), le nouveau PJ est là, avec les autres...
On peut ainsi imaginer que l’Auberge du Dragon Dormant est une sorte de
grand creuset à voyageurs et que tous s’y trouvent - tous c’est-àdire
tous ceux qui ont un jour été créés par les joueurs de RdD, de quelque
campagne que ce soit.
L’Auberge du Dragon Dormant est figée dans le temps, avons-nous dit.
Cela est important. En termes de jeu, il ne peut rien s’y passer
d’autre que des discussions. Les personnages sont même incapables de se
lever de leurs chaises. Ils le voudraient, ne serait-ce que pour sortir
pisser ou commander une autre cruche (détail important, on ne voit
jamais ni le patron ni les serviteurs), mais remettent ce moment à plus
tard: Mais soit cette minute ne vient jamais, soit le personnage
reporte sa décision à une autre minute. Rien de matériel ne peut être
utilisé, donné, échangé, pris, etc., à l’auberge. Les personnages le
voudraient éventuellement, mais la torpeur, la paresse sont les plus
fortes. En revanche, tous les échanges verbaux sont possibles. De cette
façon, l’auberge peut débloquer des situations de scénario où un
certain renseignement est capital, mais où les voyageurs ont tous
manqué, par exemple, un jet crucial de Légendes. Un petit tour à
l’auberge peut permettre la rencontre d’un PNJ qui éclaircira la
question. Notons enfin que les haut-rêvants sont trop épuisés pour
monter en TMR. Quoique harassés de fatigue, les personnages sont en
bonne forme à l’auberge; mais de retour dans l’aventure (le scénario),
ils retrouvent leur état physique tel qu’il était : éventuelles
blessures, etc.
Voilà donc une nouvelle idée que je propose. Aux gardiens des rêves de
la tester s’ils désirent donner un aspect résolument onirique, au sens
littéral, à leur campagne. Et que le rêve continue !